Taxe Gafa : "Nous ne faisons que rétablir la justice fiscale", Bruno Le Maire
Discours de Bruno Le Maire concernant l'examen du projet de loi portant sur la création d'une taxe sur les services numériques au Sénat. Le projet de loi a définitivement été adopté ce 11 juillet par le Parlement.
Je m'abonne"Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je suis heureux de vous retrouver ce matin pour l'adoption définitive d'un texte important qui porte à la fois sur la révision de la trajectoire de l'impôt sur les sociétés et sur la taxation des géants du numérique.
Je tiens à saluer le sens des responsabilités du Sénat qui a su trouver un accord avec l'Assemblée Nationale pour que nous ayons un texte identique et je tiens à vous remercier pour la qualité du travail qui a été fourni pendant l'examen de ce texte pour en améliorer certaines dispositions, notamment comme cela vient d'être rappelé par Albéric de Montgolfier sur la taxation des géants du numérique.
Le premier volet de ce texte porte sur la baisse de l'impôt sur les sociétés. Je tiens à redire que l'engagement du Président de la République qui était de parvenir à un taux d'impôt sur les sociétés à 25 % pour toutes les entreprises d'ici 2022 sera tenu.
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Toutes les entreprises françaises, sans exception, auront un taux d'impôt sur les sociétés qui passera de 33,3 à 25 % d'ici 2022. C'est une question de compétitivité qui est vitale pour nos entreprises. Cette baisse d'impôt leur permettra de dégager les marges de manoeuvre pour investir, pour innover, pour réussir dans le combat technologique du XXIème siècle. C'est aussi un élément clé d'attractivité. Et si nous sommes devenus aujourd'hui le pays le plus attractif pour les investisseurs étrangers en Europe c'est parce que nous avons pris des engagements fiscaux pour rendre le territoire français plus attractif, développer des investissements et développer des emplois dans nos territoires.
Cette baisse sera mise en oeuvre pour toutes les entreprises dès 2020. Et je veux rassurer notamment les entreprises qui ont un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros, elles seront, elles aussi, concernées par cette baisse de l'impôt sur les sociétés puisque leur taux passera de 33,3 à 31 %. Pour les autres entreprises, le taux passera de 31 à 28 %.
J'ai parfaitement conscience du décalage qui peut exister par rapport aux précédentes annonces du gouvernement puisque le taux passe à 31 % pour les entreprises de plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires. Mais l'impôt sur les sociétés baisse, il est normal qu'il baisse un peu moins rapidement pour les plus grandes entreprises car cela nous permet de dégager 700 millions d'euros et cela nous permet de participer au financement des baisses d'impôt sur les ménages. C'est une question justice de demander aux plus grandes entreprises de faire un effort un peu plus important, tout en maintenant, je le redis, la baisse de l'impôt sur les sociétés et l'objectif des 25 % en 2022.
Deuxième sujet qui nous rassemble ce matin c'est la taxation des géants du numérique. Je veux juste rappeler que cette taxation n'est le fruit ni du hasard ni d'une quelconque lubie de certains États européens. Elle repose d'abord sur un diagnostic : nous sommes confrontés à nouveau modèle économique. Aujourd'hui la valeur est créée par les données, par leur accumulation, leur concentration et leur commercialisation qu'elles soient privées ou pour certaines publiques. C'est ce qui permet de faire de la publicité ciblée, c'est ce qui permet aux plateformes de développer leur activité économique. La donnée fait la valeur. Et pourtant la taxation de la donnée qui crée de la valeur n'est pas la même que celle des autres biens, notamment les biens de service ou les biens manufacturés. C'est à la fois totalement injuste et totalement inefficace.
La responsabilité des pouvoirs publics est de tenir compte de cette nouvelle réalité économique et d'arriver à avoir une taxation qui soit juste entre ceux qui continuent de produire des biens manufacturiers, ceux qui continuent de produire des services et toutes ces nouvelles entreprises qui créent de la valeur à partir des données. Or la situation actuelle - la Commission européenne le détaille clairement - est injuste : la taxation des données est 14 points inférieure à celle des autres activités économiques. Nous ne faisons donc que rétablir de la justice fiscale. Nous voulons donc imposer à ce nouveau modèle économique les mêmes règles fiscales que celles qui s'appliquent à toutes les autres activités économiques. C'est une question de justice et une question d'efficacité. Comment est-ce que demain nous pourrons financer nos biens publics, nos investissements environnementaux, nos écoles, nos crèches, nos hôpitaux, nos collèges si nous continuons nous ne taxons pas les activités qui créent le plus de valeur.
C'est donc un principe de justice et un principe d'efficacité qui nous a guidé dans ce combat que je mène depuis 2 ans avec le président de la République. Nous sommes allés convaincre les Etats européens, un à un, de se joindre à nous.
La taxe que nous vous proposons ce matin est une taxe à 3 %. Elle porte, je le rappelle, sur le chiffre d'affaires qui est aujourd'hui la seule donnée disponible et crédible qui nous permette de mettre en place cette taxe. Elle ne porte que sur les entreprises qui ont un chiffre d'affaires numérique supérieur à 750 millions d'euros au niveau international et 25 millions d'euros au niveau national. Enfin, cette taxe est temporaire et je le redis à cette tribune : dès que l'OCDE aura adopté une solution crédible de taxation des activités du numérique, la France retirera sa taxe nationale.
Quelles sont les conclusions que nous pouvons tirer du débat que nous avons eu et des différentes réactions que cette taxe nationale sur le numérique suscite ?
D'abord une conclusion nationale : la sécurité juridique de cette taxe est confirmée. Au niveau national, par le Conseil d'Etat, et au niveau européen par la Commission européenne puisque le dispositif que nous prenons est le dispositif qui avait été proposé par la Commission européenne. Je pense qu'il est de bonne politique, et je veux en remercier les sénateurs, d'avoir prévu un rapport sur l'évaluation et l'évolution des négociations internationales.
Il est légitime et sage de prévoir un rapport sur l'évolution de ces négociations internationales.
Il y a des conclusions à tirer aussi au niveau européen. Je me suis battu depuis 2 ans pour convaincre nos partenaires européens. Au début nous étions 2, puis 5, à partir d'octobre 2017 : l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France. A la fin du mois d'octobre 2018, un an plus tard, nous étions 19 Etats. Il y a eu une proposition de la Commission européenne, elle a été débattue au long de réunions de ministres des finances. Nous avions 24 États en toute dernière étape qui étaient prêts à adopter cette solution de taxation du chiffre d'affaires des géants du numérique par souci de justice et d'efficacité. Quatre États européens ont pu bloquer l'accord qui a été trouvé avec les 23 autres : la Suède, la Finlande, le Danemark, et l'Irlande. Je ne me résigne pas à ce qu'en Europe une minorité puisse bloquer la majorité. Je considère que s'il y a une conclusion à tirer de ces débats européens, c'est la nécessité de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée sur les décisions portant sur certaines dispositions fiscales.
Enfin, nous avons eu une réaction américaine. Le représentant américain au commerce, Robert LIGHTHIZER, m'a écrit pour me signaler que l'administration américaine allait ouvrir une procédure au titre de la section 301 en raison de l'adoption de cette taxe sur les géants du numérique. J'ai eu hier une longue conversation avec le secrétaire américain au Trésor, Steven MNUCHIN, qui m'a aussi averti de l'ouverture de cette procédure au titre de la section 301 par l'administration américaine.
Je voudrais rappeler que c'est la première fois dans l'histoire des relations entre les États-Unis et la France que l'administration américaine décide d'ouvrir une procédure au titre de la section 301. Je crois profondément qu'entre alliés, nous pouvons et nous devons régler nos différends autrement que par la menace. La France est un État souverain, elle décide souverainement de ses dispositions fiscales et elle continuera de décider souverainement de ses décisions fiscales.
Enfin, je veux redire à nos partenaires américains que cette taxe nationale doit être une incitation à accélérer encore plus les travaux pour atteindre une solution internationale à l'OCDE. Nous aurons, d'ici 10 jours, le G7 des ministres des Finances, qui se tiendra à Chantilly. Le secrétaire américain au Trésor sera présent. Accélérons les travaux au niveau international, trouvons une solution commune, trouvons une solution au niveau de l'OCDE et passons par des accords plutôt que par des menaces. Cela me semble de meilleures politiques pour traiter cette question fondamentale de la taxation des géants du numérique.
De manière plus générale, chacun voit bien que nous sommes confrontés aujourd'hui à l'émergence de géants économiques, qui ont un caractère monopolistique. Ils veulent non seulement contrôler le maximum de données mais aller encore plus loin que cela en échappant, faute de décision, à l'impôt. Ils mettent en place des instruments d'échange qui pourraient, demain, prendre la forme d'une monnaie souveraine. Je crois que c'est notre responsabilité, à nous élus, pouvoirs publics, d'éviter l'émergence d'entreprises qui deviendraient des États privés, qui auraient tous les privilèges des États sans les contraintes et les contrôles qui vont avec.
Ma détermination à mettre en place une juste taxation du numérique est donc totale, par souci de justice et par souci d'efficacité. Ma détermination avec l'ensemble de nos partenaires européens à mettre en place un cadre de régulation des données qui protège la vie privée de nos concitoyens est totale également. Et ma détermination à faire en sorte que le projet d'instrument d'échange mis en place par Facebook - Libra - ne devienne pas une monnaie souveraine qui pourrait concurrencer la monnaie des États. Je n'accepterai jamais que demain, des entreprises deviennent des États privés.
Je vous remercie."