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Vincent Mayet (Havas Commerce) : "Notre rapport à la consommation reste bousculé par l'inflation"

Publié par Christine Monfort le - mis à jour à
Vincent Mayet (Havas Commerce) : 'Notre rapport à la consommation reste bousculé par l'inflation'

Directeur général de Havas Commerce, Vincent Mayet scrute les évolutions du commerce mondial. Le discount a gagné en attractivité et les Français y succombent de plus en plus largement. Ce segment très agile n'a pas fini de bouleverser nos modèles de distribution.

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L'étude The New Discount menée par Havas Commerce en mars 2024 montre un plébiscite pour le discount. Cet engouement est-il uniforme dans tous les pays étudiés ?

C'est un des éléments que nous voulions creuser d'autant qu'une précédente étude avait montré que la France était le marché le moins avancé dans l'évolution des gammes de produits vers le discount. L'étude The New Discount a donc été lancée sur onze pays : France, Allemagne, Espagne, Italie, Portugal, Belgique, Autriche, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis et Brésil. Le terme "discount" correspond à une définition assez cohérente d'un pays à l'autre. Le retour de l'inflation est évidemment central dans son plébiscite général et global. La France est le pays qui ressent le plus fortement la baisse de son pouvoir d'achat (92 % contre 85 % au global). Le discount bénéficie d'une très bonne image. Les consommateurs ne voient plus de différence sur la qualité des produits, plus tellement non plus sur l'innovation. 77 % considèrent que le discount est "moins cher mais pas moins bien" (83 % au Brésil et 68 % en France), 82 % que c'est un modèle d'avenir... Je ne m'attendais pas à des scores aussi élevés.

Y a-t-il toutefois des différences notables ?

Deux groupes se dégagent. L'un, plutôt de type anglo-saxon, dans lequel plus on est riche et moins on fréquente le discount. Dans ces sociétés, les écarts de salaires ont un impact assez fort sur les styles de vie. Aux États-Unis, les plus aisés fréquentent moins d'enseignes de distribution alimentaire car prendre ses repas hors domicile, recourir au traiteur et aux livraisons est devenu un mode de vie. Dans l'autre groupe, où se situent la France et l'Europe du Sud, toutes les catégories de revenus fréquentent le discount. Ces pays sont certainement moins inégalitaires, les écarts de mode de vie et de consommation moins marqués en fonction des revenus. En France, le développement du discount est relativement récent. De nombreuses personnes le découvrent avec beaucoup de gourmandise, y compris chez les plus aisés.

Les clients "usent de tous les stratagèmes" pour contrer la baisse de leur pouvoir d'achat, indique l'étude. Comment s'y prennent-ils ?

Ils achètent davantage de marques premier prix (41 %), de promotions (40 %), de marques de distributeurs ou "MDD" (37 %) et de la seconde main (31 %). Je suis assez bluffé par leur maîtrise des typologies de produits. Les distributeurs augmentent leurs références en MDD, qui peuvent être des produits assez premium. Ils ont raison. C'est leur travail et leur responsabilité que d'apporter ces propositions attendues des clients.

Consommer discount ne serait-il plus un problème pour les Français qui ont longtemps été réticents à s'y engager ?

Pour certains consommateurs français, acheter des marques était le dernier rempart avant la pauvreté. C'est en train de changer et le discount, organisé autour de références essentielles qui sont montées en gamme, attire désormais une clientèle large. L'écart de prix sur les produits ne se justifiant plus, beaucoup mettent leur orgueil de côté d'autant que ces enseignes ont changé leur image avec des millions d'euros investis en communication et dans de beaux magasins. Surtout, 59 % des Français estiment faire chez les discounters plus de 11 % d'économies sur leurs achats. C'est considérable ! Il y a en France une "discount mania" incroyable ou inquiétante, qui montre que la consommation est en train de changer.

Les distributeurs traditionnels français doivent-ils donc s'inquiéter ?

Un peu car, lorsque les discounters seront capables de fournir suffisamment de gammes pour concurrencer les petits hypermarchés, la bascule des consommateurs vers le discount pourrait se faire de façon assez violente. Toutes les enseignes traditionnelles sont en train de réagir et vont sans doute trouver des solutions, mais le sujet est là.

Le discount est une tradition allemande. Il y a aussi un modèle français de la grande distribution. Faut-il y voir un choc entre deux cultures ou deux modèles ?

À l'origine, l'hypermarché à la française était un format de prix bas avec une corrélation entre la taille, la puissance d'achat du magasin et le prix qu'il était capable de proposer. Cela s'est perdu au fil des ans avec des modèles qui se sont un peu "embourgeoisés". Le discount est un modèle agile, très orienté sur la chasse à l'économie sur tous les postes, qui ne s'embourgeoise pas. Le développement d'Action en France s'est fait à bas bruit en cinq ans et ce discounter d'origine néerlandaise a été désigné "enseigne préférée des Français" en 2023 et 2024. Les discounters ont un peu ralenti leurs ouvertures de surfaces commerciales et sont au bout de la refonte de leurs magasins. Comme ils sont à même de servir tous types de clientèle, leur potentiel est assez énorme. S'ils appliquent correctement leur modèle, ils continueront à gagner des parts de marché et seront capables de disrupter tous les distributeurs, y compris les mieux placés.

Le manque de choix est une des principales raisons pour ne pas fréquenter les enseignes discount. Vers quels types de produits pourraient-elles élargir leur offre ?

Les attentes se portent vers le textile, l'hygiène et la cosmétique, la culture, le voyage. À côté de ces achats plaisirs, d'autres produits sont plus fonctionnels : l'ameublement, l'énergie ou la téléphonie, le transport avec les vélos... Les discounters ont déjà dépassé les distributeurs traditionnels sur les systèmes d'arrivages de non alimentaire à bas prix. La force de Lidl, Aldi et Action consiste à commander de grandes quantités de produits pour les vendre dans toute l'Europe. Ils peuvent se concentrer dans un premier temps sur les plus grands pays puis vendre les stocks restants sur des marchés plus petits avec encore plus de discount.

Quel serait le bon équilibre entre peu d'offre et plus d'offre ?

Les néofréquenteurs du discount étaient jusqu'à présent clients des distributeurs traditionnels, où la montée en gamme - et celle du prix du panier - se fait de manière assez mécanique. Ils sont en train de passer à des produits plus sobres. En termes d'expérience, c'est un choc. La dimension de plaisir, de foisonnement et de choix pose un problème au développement des discounters, mais aucun aux marketplaces comme Temu ou AliExpress qui explosent parce qu'elles fournissent à la fois du prix et du choix. Avec tout ce que l'on peut faire comme commentaires sur le prix et le choix...

Dans quelle mesure les enseignes discount ont-elles intégré l'e-commerce dans leur offre ?

On est dans un combat de modèles. Pour concurrencer Amazon aux États-Unis, Walmart a développé une marketplace qui fait entrer dans ses magasins un choix qu'ils n'ont pas aujourd'hui. De manière très judicieuse, ils ont aussi intégré dans leur programme de fidélité Walmart + une réduction sur l'essence, qu'Amazon ne propose pas. Lidl a également développé une marketplace pour répondre au manque de choix. Ces enseignes peuvent facilement organiser des livraisons de non alimentaire en magasin. Je pense qu'à terme, elles viendront aussi sur l'alimentaire. L'inflation a baissé. Les habitudes prises chez les discounters vont-elles perdurer ? L'angoisse de l'inflation va rester dans un contexte où les plus pauvres souffrent davantage et où les autres se disent qu'il faut quand même faire attention car le déclassement peut les guetter. Notre rapport à la consommation reste bousculé par l'inflation et le sera de plus en plus compte tenu de la conjoncture économique. Avec le discount, les consommateurs sentent qu'ils peuvent acheter quantitativement plus. Pouvoir consommer contribue largement au plaisir et au sentiment de faire partie de la société. On est dans la même promesse de démocratisation de la consommation que lorsque les hypers ont en leur temps donné accès au vélo, au caméscope, à l'appareil photo numérique... De quoi doit se méfier le plus la distribution traditionnelle ? Elle ne doit pas perdre de vue que la promesse centrale est le prix. Elle gagnerait à travailler avec les fabricants pour construire des MDD qui monteront en puissance et des produits à valeur ajoutée. Pour maîtriser leurs marges, toutes ces enseignes devront revenir au modèle Tesco d'il y a 10 ou 15 ans avec quatre ou cinq niveaux de prix. Auchan accélère sur les MDD, Lidl vend des produits sous ses marques... Je pense qu'on se dirige vers un équilibre des forces. Les grandes enseignes traditionnelles vont lancer des gammes discount pour répondre à l'émergence des discounters. Sur le non alimentaire, soit les enseignes arrêtent mais perdent un argument face aux discounters, soit elles trouvent la parade avec un mix entre MDD et produits de fabricants pour que les clients continuent à les fréquenter pour le non alimentaire. On se dirige vers une saine concurrence où chacun va pousser ses arguments.


Son parcours :

1991 : Diplômé de l'ISCP, il commence sa carrière comme chef de pub chez Equateur, avant de devenir directeur commercial chez Synergie puis Euro RSCG GBHR (groupe Havas), et d'être nommé responsable du développement chez Euro RSCG Works.

2002 : Chez Euro RSCG 360, il est successivement manager, directeur général adjoint de l'ensemble des sites de l'agence (2008), directeur général délégué (2010) et vice-président (2011).

2012 : Il devient co-CEO avec Matthieu Habra de Havas 360 (ex-Euro RSCG 360).

2016 : Dans la continuité de sa carrière au sein du groupe Havas, il devient directeur général de Havas Paris et fonde Havas Commerce, une structure qui analyse les transformations du commerce dans le monde.

 
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