Arnaud Bodzon, LVMH : "La data peut être utilisée pour mieux comprendre les habitudes de paiement"
Data, sécurité et fluidité, à l'occasion de Paris Retail Week, Arnaud Bodzon, responsable du paiement chez LVMH et mentor du salon, partage sa vision des tendances en matière de parcours de règlement.
Je m'abonneQuelles sont les grandes tendances en matière de paiement ?
Pour ma part, j'identifie trois grandes tendances. La première n'est pas nouvelle, c'est l'évolution des parcours et des méthodes de paiement : Toujours plus d'omnicanalité, avec des parcours d'achat non linéaires où les clients vont préparer leurs achats en naviguant entre les boutiques, les sites e-commerce, les applications mobiles, les réseaux sociaux, etc., avec une part toujours plus importante du smartphone. Cela s'accompagne également de nouvelles méthodes de paiement, adaptées à ces usages digitaux : ApplePay, GooglePay, bientôt Click-to-Pay et Wero en Europe ou Paze aux USA, etc.
La seconde tendance concerne l'exploitation de la data liée au paiement. La donnée de paiement est très riche. Elle permet d'enrichir la connaissance du client et de ses habitudes de consommation. Elle permet aussi de réduire la friction et augmenter la conversion. Elle permet de comprendre les commissions payées par le commerçant afin de challenger ses fournisseurs et chercher des optimisations. Et enfin la data permet de lutter contre la fraude.
Enfin, une troisième tendance, plus prospective, serait le recours à l'orchestration des paiements. C'est un sujet plus technique, qui consiste à utiliser une passerelle multi-fournisseurs de paiement. L'objectif est de simplifier l'intégration à plusieurs PSPs, afin de faciliter l'ajout de méthodes de paiement alternatives ou locales, d'optimiser les taux d'autorisation et de redonner du pouvoir de négociation au commerçant qui peut plus facilement router ses flux vers l'un ou vers l'autre. Cependant c'est une technologie encore jeune, dont le business model n'est pas encore éprouvé donc on peut s'attendre à de la consolidation dans les années à venir. Et, côté commerçant, cela demande beaucoup de maturité et d'expertise : je pense qu'il ne faut s'attaquer à l'orchestration qu'après avoir mis en place toutes les autres optimisations possibles, à commencer par une lutte contre la fraude efficace.
Les retailers sont-ils au point sur l'exploitation de la data du parcours de paiement ?
Certains retailers sont très avancés sur le sujet et ont compris l'intérêt de la donnée de paiement pour optimiser la conversion, réduire les coûts et orienter les décisions stratégiques. Mais ce n'est pas encore le cas de la majorité des retailers.
Par rapport au parcours client, la data peut par exemple être utilisée pour mieux comprendre les habitudes de paiement des consommateurs, notamment en ce qui concerne leurs mouvements d'un canal à un autre voire, pour une clientèle très internationale comme celle du luxe, d'un pays à l'autre.
Un autre usage de la data de paiement, qui me semble primordial, c'est pour la prise de décision et la définition de sa stratégie de paiement. Sans data, comment savoir si tel PSP offre effectivement un meilleur taux d'autorisation que tel autre ? Sans data, comment savoir si l'ajout de telle solution de Buy Now Pay Later a réellement tenu ses promesses d'augmentation de la conversion, d'augmentation du panier ou d'attraction de nouveaux clients ? Sans data, comment savoir si l'ajout de tel nouveau wallet a bien permis d'augmenter la conversion ou s'il a simplement cannibalisé un autre moyen de paiement moins cher ? Quid de l'impact de telle méthode de paiement sur la fraude ou les retours ? Exploiter les données de paiement pour calculer leurs propres KPI est un enjeu majeur pour les retailers qui souhaitent piloter efficacement leur stratégie de paiement.
Quels sont les principaux points de frictions qui causent encore des abandons de panier ou poussent les consommateurs à changer d'enseigne ?
L'étape de paiement est régulièrement citée parmi les causes d'abandon de panier. L'une de ces causes est le manque de confiance de certains clients envers les sites e-commerce : le client a des doutes sur la façon dont ses données de paiement seront sécurisées.
Un autre point de friction important est l'absence de la méthode de paiement préférée du client. Par exemple, un client pourra préférer payer avec ApplePay quand il fait un achat sur son mobile, dans le métro par exemple, pour ne pas avoir à sortir sa carte bancaire et rentrer ses numéros. C'est pourquoi proposer les bonnes méthodes de paiement est un critère différenciant pour une marque.
Enfin, un point de friction majeur pour les consommateurs est le paiement refusé, encore trop souvent lié à une erreur technique. Et pour identifier ces erreurs et les corriger, il faut de la data.
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Quelles sont les bonnes pratiques pour éviter les paiements refusés ?
Pour commencer, c'est basique, mais il faut guider le client dans sa saisie et éviter d'envoyer en autorisation des données que nous sommes capables d'identifier comme fausses. Pour illustrer, il s'agit par exemple de regrouper visuellement les numéros de carte tels qu'ils apparaissent sur la carte et de signaler au client une saisie incorrecte si on détecte que la clé de Luhn est erronée ou la date de validité dépassée.
Ensuite, il y a d'autres bonnes pratiques plus "techniques" : rechercher des exemptions à l'authentification 3DSecure pour simplifier le parcours tout en évitant la fraude, transmettre les bonnes données afin de maximiser les chances d'autorisation, privilégier le réseau de paiement national quand il existe, comme Cartes Bancaires en France, pour augmenter les chances d'autorisation tout en réduisant les coûts...
Quelles sont les principales qualités que doit fournir un retailer de luxe en matière de parcours de paiement ?
Comme pour la fabrication du produit, le luxe doit fournir une qualité de service supérieure au retail traditionnel. Nous devons donc être plus exigeants sur nos performances (taux d'autorisation, fraude, etc.) car les paniers moyens sont plus élevés, donc le risque est plus élevé, et donc les acteurs de la chaîne sont plus frileux à délivrer des autorisations.
De plus, notre clientèle est très internationale, donc il faut pouvoir proposer les méthodes de paiement locales mais aussi internationales. C'est le cas avec l'acceptation des réseaux China Union Pay, Alipay, WeChat Pay, JCB, des wallets tels que KakoPay pour les Sud Coréens, etc.