Le marché publi citaire sur le Web va mettre cinq ans pour être mature
Après une année 2000 euphorique, le marché de la publicité en ligne traverse une période de vaches maigres qui n'est pas faite pour rassurer les régies. Pourtant, fort des promesses affichées par le média Internet, le directeur marketing et communication d'AdLINK refuse de sombrer dans la sinistrose et se montre optimiste quant aux chances de voir la situation s'inverser. Explications.
Je m'abonnePouvez-vous dresser le bilan de santé d'AdLINK France ?
Si l'on compare les résultats de 2000 avec ceux de 1999, il est
incontestable que l'année passée fut exceptionnelle. 2001 en revanche, comme
pour la plupart des acteurs de l'e-pub, sera beaucoup plus décevante. Nous
sommes en train de recalculer nos objectifs 2001 sur ceux de 1999. Cette année,
nous nous sommes basés sur un doublement de notre croissance, et le moins que
l'on puisse dire, c'est que nous en sommes très loin. Mais ce phénomène ne nous
affecte pas plus que d'autres régies, au contraire. La solidité du réseau
AdLINK nous assure un avenir serein sur le long terme. Cette année, les
professionnels de l'e-pub estiment que le marché pèsera 700 millions de francs,
c'est-à-dire 30 % de moins que l'an passé. Ce chiffre me paraît être une bonne
estimation.
Comment cette révision s'est-elle traduite concrètement chez AdLINK ?
Par deux phénomènes principaux : le gel du
recrutement en interne et une baisse de la visibilité sur le marché. En 2001,
nous avons une visibilité sur le chiffre d'affaires prévisionnel en moyenne de
dix-huit jours, alors qu'il y a encore un an, nous avions une visibilité de
deux-trois mois.
Qu'avez-vous entrepris pour éviter de subir cette situation ?
Notre priorité est à la diversification des moyens de
communiquer. Cela passe donc par le développement d'une activité d'e-mailing,
l'intégration de moyens de production et l'intégration de technologies comme le
streaming vidéo, par exemple. Sur le marché des régies externes, nous n'avons
plus qu'un seul concurrent, Hi-Media, qui a d'ailleurs été capable de
diversifier ses activités bien avant nous, notamment en e-mail marketing. Pour
notre part, les premières grosses campagnes d'e-mailing démarreront dans le
mois. Mais l'e-mail est une solution momentanée de grosse source de revenus.
Pourquoi momentanée ?
Parce qu'il commence déjà à
s'éroder aux Etats-Unis où les fichiers ne sont pratiquement jamais
dédoublonnés par les brokers. Et de plus en plus d'internautes se révoltent
face à la pression publicitaire qu'ils subissent. C'est un produit qui va avoir
son heure de gloire, car il ne l'a pas encore, et qui va faire comme en pub,
c'est-à-dire qu'il va y avoir un phénomène de concentration, d'érosion des
tarifs et un problème de qualification des données.
Justement, en ces temps agités, quelle analyse faites-vous du marché de la pub en ligne ?
C'est enfoncer une porte ouverte que de dire qu'il y a trop
d'offres par rapport à la demande. Il n'y aura pas de reprise réelle avant au
moins le deuxième semestre 2002. On assiste à un phénomène de concentration sur
les régies externes qui me semble salutaire. Mais il existe des concurrents
parallèles, qui sont les régies comme IP, qui couplent le on et le off line,
renforçant ainsi leur puissance de proposition, et les intégrées du style
Wanadoo Régie ou iBazar Régie, qui sont aujourd'hui incontournables et très
bien structurées. Tout cela forme un ensemble qui ne demande qu'à se
solidifier.
AdLINK, en tant que régie externe, se situe dans la catégorie la plus fragile
Oui, mais ce qui peut nous aider, c'est
la raréfaction et l'homogénéisation de l'offre. Pour notre part, nous nous
sommes concentrés sur des sites de marques qui sont de puissants relais médias
et qui génèrent de la valeur ajoutée, comme Le Figaro, La Tribune ou Radio
France. Et ce que nous avons réussi à lever lors de notre introduction en
Bourse en mars 2000 nous permet de tenir pour le moment.
Comment expliquez-vous l'arrêt des activités d'une régie comme 24/7 Media et les difficultés actuelles de Real Media ?
24/7 s'est introduit en
Bourse il y a plus de deux ans et ils ont brûlé tout le cash qu'ils
possédaient. Leur stratégie de développement mondial très rapide, soit
d'implémentation, soit de rachat de régies existantes était risquée. Tant qu'il
y avait de la croissance, ils pouvaient reporter leurs dettes sur les mois
suivants. Mais en crise, sans cash, ils ont perdu la confiance des
investisseurs. Real Media, c'est encore pire puisqu'ils n'ont pas eu le temps
de s'introduire en Bourse. Jusqu'à présent, ce sont les banques suisses qui les
soutenaient. Mais il arrive un moment où les banques refusent de poursuivre
leurs investissements sans résultats derrière.
Comment jugez-vous le média Internet aujourd'hui ?
Internet n'est pas encore
considéré comme un vrai média par les annonceurs. Le problème c'est, qu'en
temps de crise, ces derniers coupent en priorité les budgets de communication,
et que, malheureusement pour nous, ils coupent d'abord les budgets de
communication on line avant de couper ceux du off line. Et, à l'inverse, si la
situation s'améliore, ce sont les médias off line qui reprendront avant les
médias on line. Internet est en fait devenu un véritable indicateur de crise
pour les autres médias.
Que suggérez-vous pour inverser cette tendance ?
Chacun sa stratégie. Certains pensent qu'il faut
continuer à brader les tarifs, et d'autres pensent qu'il faut au contraire
accentuer le discours média et parler davantage de taux de couverture et de
GRP. La première vision est une vision à court terme (6-8 mois), mais qui
assure en tout cas aux actionnaires sur 2001 un chiffre d'affaires minimum. La
seconde est faite pour ceux qui ont les reins solides. Donc pour AdLINK.
Dans ce schéma, quel est le rôle du e-syndicat, dont vous êtes l'administrateur ?
Le rôle du e-syndicat est de défendre les
intérêts des régies. Pour cela, il existe en son sein trois grands groupes : un
qui se charge d'optimiser et de gérer les relations avec les centrales d'achat,
un autre qui gère les relations avec les éditeurs et un troisième qui se
concentre sur les informations du marché. Il faut lui laisser un peu de temps
avant de juger son action, car il a à peine un an d'existence. En neuf mois,
nous avons néanmoins remarqué que les niveaux de connaissance du média Internet
et des outils médias par rapport au monde de l'off line restent encore faibles
Il y a donc un travail important d'éducation à faire.
Qu'est ce qui pèche dans la connaissance du média ?
Internet ayant explosé d'un
coup d'un seul, les régies ont eu un brusque besoin de vendeurs. Elles ont donc
recruté des têtes brûlées, au profil de juniors, mais qui n'étaient pas des
vendeurs en provenance de l'off line. Ils se sont faits tout seul, en vendant
énormément en appel entrant. Mais, maintenant qu'il s'agit de convaincre par
appel sortant, ils ont plus de mal. Et aujourd'hui, on constate que le niveau
global des régies on line est beaucoup plus faible que celui des régies off
line.
Quels regards portez-vous sur les nouveaux formats publicitaires prônés par l'IAB notamment ?
Ils ne peuvent que nous
être profitables. Internet est quand même le seul média où les emplacements
publicitaires sont aussi petits par rapport au rédactionnel. La surface
publicitaire sur les sites représente aujourd'hui moins de 5 % de la surface
rédactionnelle. La bannière ne peut donc que progressivement disparaître ou en
tout cas grossir en taille. Et, si ces nouveaux formats impliquent des
intégrations publicitaires beaucoup plus intrusives, je ne peux qu'être pour,
car il n'y a pas de raison qu'Internet fonctionne différemment des autres
médias.
Augmenter la taille des formats publicitaires ne résoudra pas tout. Le support Web n'en sera-t-il pas, du même coup, diminué ?
C'est vrai qu'en augmentant la taille de la surface
publicitaire, vous grossissez le poids de la page et que vous ralentissez son
affichage, ce qui ne peut que nuire au confort de navigation de l'internaute.
La solution, aujourd'hui, est donc de renégocier les tarifs de bande passante,
d'optimiser davantage le poids des éléments publicitaires, et surtout de
demander à tous les éditeurs d'optimiser le poids de leurs propres pages.
Que représente l'activité de production chez AdLINK ?
La production de formats originaux représente entre 10 et 15 % de notre
business.
Et l'e-mail marketing ?
D'ici 6-8 mois, il
représentera au moins 20 % de notre activité.
Quels sont les autres produits que vous avez dans vos cartons ?
Nous souhaitons sortir
de l'achat à l'audience et vendre de l'espace publicitaire par niveau de
couverture, c'est-à-dire par GRP. Mais cela va mettre beaucoup de temps parce
que les études ne sont pas encore suffisamment fiables pour tenir ce discours.
Le problème est que, pour arriver à ce genre de produit, nous sommes obligés de
travailler avec des panels, exactement comme en télévision. Or, concernant
Internet, ces panels ne sont que des panels foyers. En négligeant les
connexions à l'entreprise, on sous estime donc l'audience réelle du média. Mais
les mentalités commencent à changer et nous devrions y venir relativement
rapidement.
Qu'est-ce qui aujourd'hui, vous autorise à être optimiste quant à la reprise du marché ?
Jusqu'au 11 septembre,
nous avions des indices en provenance des Etats-Unis qui nous permettaient
d'espérer, dans la mesure où les banques ont recommencé à affecter des budgets
de communication sur le Web. Nous nous sommes dits que, si les gros
établissements financiers américains agissaient ainsi, cela signifiait que le
même phénomène se produirait en Europe et en France dans les six prochains
mois. Mais les attentats du mois dernier ont marqué un nouveau coup d'arrêt.
Et, étant donné la situation actuelle, la reprise risque de mettre plus de
temps que prévu pour s'amorcer. Je crois que le marché publicitaire sur le Web
deviendra mature de la même façon que le sont devenues les radios libres. Cela
va prendre cinq ans. Elles n'ont commencé à avoir de vrais outils et de vraies
structures commerciales qu'à partir de 1985-1986. Et les commerciaux des radios
libres étaient aussi des têtes brûlées à leurs débuts.
N'avez-vous pas été tenté de profiter de l'explosion soudaine de l'audience sur le Web pour faire des offres commerciales "spécial événement" aux annonceurs, lors des attentats survenus le 11 septembre dernier aux Etats-Unis ?
Pour
être tout à fait honnête, chez AdLINK nous nous sommes posés la question. Mais
nous ne pouvions décemment pas faire de l'argent sur 5 000 morts. Cela aurait
été, de toute façon, très mal vu par bon nombre d'annonceurs. Et puis, en
France, aucun annonceur ne joue l'événement. Profiter de ce genre d'explosion
d'audience n'est pas politiquement correct et n'est pas économiquement
réalisable.
AdLINK Internet Media en bref
Le réseau de la régie AdLINK est présent dans les douze pays de la communauté européenne ainsi qu'en Suisse. La filiale française (anciennement Accesite), créée il y a cinq ans, compte plus de 20 employés et offre près de 90 sites dont une majorité est issue de marques provenant de l'off line : La Tribune, Le Figaro, Investir, Radio France, Kompass, DNA, La Voix Du Nord, Ouest France ou encore Le Télégramme de l'Ouest. AdLINK organise son offre commerciale en sept catégories : Eco-fi, B to B, Actu News (Généraliste), e-commerce, Services, Sport et Wireless (SMS, PDA, Wap). AdLINK offre d'autre part la puissance de son réseau avec 52 % de pénétration sur la cible foyers "Internautes" (Source MMXI/mars 2001).
Biographie
Après une licence d'histoire et une maîtrise en communication obtenue à Sup de Pub, Pierre-Louis Fontaine, 33 ans, entre comme chef de publicité chez Ogilvy, sur le budget Ford. Il devient chef de groupe deux ans plus tard. En 1994, il rejoint Mindshare, l'agence médias d'Ogilvy et, début 1996, accompagne son client IBM dans ses premiers pas sur le Net. En 1997, il devient directeur du département interactif de Mindshare avant de rejoindre AdLINK en novembre 1999 comme directeur marketing et communication.