Automobile en ligne : de nombreux prétendants à la pole position
Les constructeurs automobiles, forts de leur puissance historique, financière et technologique, voient d'un oeil méfiant l'émergence de sites portails qui montent au créneau depuis quelques mois en France. A ce stade, les distributeurs saisissent les opportunités, qu'elles soient B to B ou B to C. Et les sites portails, véritables challengers, essaient de se placer au mieux, apportant chacun leurs spécificités.
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Un marché colossal, des internautes plus nombreux que la moyenne, un
produit passionnel... Toutes les conditions semblent réunies pour faire de
l'automobile l'un des secteurs les plus prometteurs en matière de commerce
électronique. On dénombre aujourd'hui en France une cinquantaine de sites de
constructeurs, des dizaines de sites consacrés aux véhicules d'occasion ou
dédiés aux concessionnaires, et, en deux ans, a surgi une poignée de sites
portail indépendants qui apportent un ton nouveau à un univers jusqu'alors régi
par les grands constructeurs. Ainsi, Renault et PSA Peugeot Citroën, les
mastodontes français, respectivement n° 2 et 4 en Europe, n'ont pas raté le
tournant de la nouvelle économie. Tous les deux sont entrés dans la ronde de
l'Internet en créant des sites internationaux, institutionnels et
promotionnels, à vocation purement informative. Peugeot avait ouvert la voie en
1995, suivi par Citroën en 1996, puis par Renault deux ans plus tard. Pour eux,
comme pour leurs concurrents étrangers, Internet est un enjeu capital. Car, à
travers leur activité on line, ce n'est pas seulement l'image de la marque qui
est en jeu. Développer une activité sur le Net implique une remise en cause de
nombreux composants et une réorganisation partielle du réseau de distribution
des véhicules de la marque. Peugeot, le précurseur, s'est doté dès 1996 d'un
site à vocation commerciale : peugeot.fr. « Le site présente la gamme des
modèles neufs et des véhicules d'occasion, mais propose également des services
variés, et permet surtout aux internautes d'entrer directement en contact avec
les concessionnaires pour essayer la voiture ou demander une documentation »,
indique Jean-Yves Denis, responsable du projet Internet chez Peugeot France.
Chez Citroën, le site n'a pas de vocation purement commerciale. « Le Web nous
apporte 30 % d'affaires que nous qualifions de chaudes, c'est-à-dire des
contacts de clients potentiellement intéressés, mais pas des ventes directes »,
précise Pierre Nicolas, chef de projet Internet de la marque aux chevrons. Même
discours chez Fiat, où l'on a opté pour un déploiement multiple, mais « en
aucun cas, dans le but de vendre directement des véhicules en ligne », indique
Bruno Zaccone, responsable du développement Internet et adjoint au marketing
relationnel chez Fiat Auto France. En fait, pour chaque constructeur
automobile, s'implanter sur le Net signifie créer autant de sites qu'il possède
de marques. Le groupe Fiat en possède ainsi trois : fiat.fr, alfa-romeo.tm.fr
et lancia.fr. « Mais la stratégie des constructeurs est également de répondre à
la demande des clients en leur apportant de nouveaux services, estime Jean-Luc
Rieussec, responsable marketing France de Citroën. Nous avons constaté que 80 %
des connectés au site citroen.fr se rendaient dans la rubrique véhicules
d'occasion. Il fallait donc mettre à disposition des internautes un parc de
véhicules d'occasion par le biais de sites dédiés, qui sont en plus un atout
complémentaire certain pour les franchisés et les succursales de la marque. »
Et le volume de voitures proposées par ces sites n'a rien de négligeable.
Occasionsdulion.com de Peugeot possède 7 000 véhicules en stock, et le tout
récent site eurocasion.citroen.fr, inauguré en avril dernier, est sans doute à
l'heure actuelle l'un des plus gros sites de marque en volume et en nombre avec
9 800 véhicules disponibles. Par ailleurs, certains constructeurs, à la manière
des créateurs de mode, présentent leurs derniers modèles sur des mini-sites
événementiels. En ce sens, et pour rejoindre la volonté de Fiat qui, depuis un
an, « est de développer la communication sur Internet », affirme Bruno Zaccone,
Fiat France a lancé le 6 juin dernier, pour la première fois en France, le site
alfasportwagon-fr.com, 11 jours avant la mise en circuit du véhicule dans le
réseau. Cette initiative ressemble à ce qu'avait fait la marque en Italie pour
le lancement international de fiatpunto.com et fiatmultipla.com.
Des tentatives européennes de vente en ligne
Cette
solution offre l'avantage de laisser davantage parler la créativité des
concepteurs du site, qui le rendent plus dynamique grâce à l'animation et plus
interactif. Jouant la carte du ludique, Citroën mise plutôt sur l'animation et
les jeux sur son site avec, par exemple, la découverte de la Xsara Picasso en
3D grâce à des lunettes qui sont envoyées gratuitement à la demande chez
l'internaute. A l'occasion du lancement de son dernier modèle, Sharan, en juin
dernier, sur sharan.volkswagen.fr, le premier constructeur européen,
Volkswagen, a fait accéder le futur client dans un espace panoramique de 360°
proposant, par exemple, une animation de la modularité intérieure du coffre. Un
"configurateur" permet chez certains constructeurs, Citroën et Renault
notamment, de choisir une voiture qui n'existe pas forcément en concession...
Mais les expérimentations ne s'arrêtent pas qu'aux talents des ergonomes,
infographistes et développeurs. Plusieurs essais de vente en ligne au niveau
européen ont été lancés depuis l'année dernière : la Barchetta de Fiat en
Italie, du 30 août au 31 décembre 99, au même prix que dans les concessions ;
mais aussi la e-Corsa de Opel et la New Beetle de Volkswagen en Allemagne,
depuis mai dernier, dans le cadre d'une série limitée. Et même si les résultats
obtenus n'ont pas toujours répondu aux espoirs des constructeurs - deux
Barchetta seulement ont été vendues, mais 391 des 4 000 New Beetle sont parties
dès le premier jour de vente -, ces initiatives ont au moins eu le mérite de
tester le comportement des internautes. L'enseignement que l'on peut en tirer
est que la population des internautes prêts à acheter une voiture via Internet
est très disparate d'un pays à l'autre. Selon une étude menée par la Sofres en
septembre 1999 (voir encadré), seulement 9 % des Français interrogés sont prêts
à faire des achats liés à l'automobile sur Internet, contre 42 % en Allemagne.
« Les Français sont moins équipés en informatique que les Américains ou les
Suédois, et la peur des transactions en ligne est un véritable frein à la
consommation on line », argumente Bruno Zaccone. « Ces expériences sont des
indicateurs précieux qui servent à analyser tous les mécanismes du commerce
électronique, de l'aspect législatif et fiscal au problème de la maintenance »,
expliquait Paolo Cantarella, administrateur délégué de Fiat, dans
Autoactualités du 22 mai 2000. Poursuivant sur sa lancée, Fiat souhaite
expérimenter courant 2001, et uniquement en Italie dans un premier temps, l'OBS
(on line buying service), qui permettra de choisir les caractéristiques du
véhicule (options, couleurs...), de calculer le devis, de faire une
préréservation avec un acompte en ligne et de prendre rendez-vous avec le
concessionnaire le plus proche. Pour l'heure, une étude de la Sofres, réalisée
fin 1999, révèle que seulement 12 % des internautes européens se rendent sur
les sites de constructeurs automobiles et de leurs réseaux. Il ressort
également d'un mini-sondage, réalisé en septembre 1999 par le Journal de
l'Automobile auprès des constructeurs et des importateurs, que la présence de
services, de produits détaillés et de nouveautés sont indispensables pour
capter l'intérêt des visiteurs, alors que les ventes en ligne, les photos et
autres économiseurs d'écran sont secondaires. Pour l'heure, la visite du site
d'un constructeur permet avant tout une consultation avancée d'un véhicule neuf
ou d'un véhicule d'occasion, et de configurer un véhicule à son goût : choix de
la marque, du modèle, de la motorisation, de la catégorie, du kilométrage, du
prix, des couleurs et des options. Dans certains cas, le client peut archiver
les propositions dans son "shopping kit", formule consacrée de Renault, qui
n'est ni plus ni moins qu'un espace personnalisé. L'avant-vente va parfois
jusqu'à une simulation ou une préacceptation de financement personnalisée, en
fonction de l'apport de départ, en partenariat avec des organismes de
financement (ex. : Diac chez Renault). Les engagements "Or" de Renault font
office de garde-fou dans le processus d'achat, tout en offrant les mêmes
avantages que lors d'un achat dans une concession (délai de garantie, satisfait
ou remboursé, contrôle gratuit...).
Au croisement du système : les filiales et les franchisés
A l'échelle locale, le réseau des
succursales, concessionnaires et agents revendeurs font l'objet de toute
l'attention des constructeurs. « Nous avons voulu que le réseau s'approprie
l'outil Internet d'abord, et qu'il y adhère ensuite », indique Jean-Luc
Rieussec. La politique de Citroën a d'abord été d'unifier le réseau avant
d'ouvrir le site de véhicules d'occasion. Au sein du dispositif, le
concessionnaire peut à sa guise aménager sa charte graphique. L'Intranet du
réseau de Renault sera mis en ligne à la fin de l'année, et, depuis juillet,
Fiat a choisi la France comme pays pilote au niveau européen pour la création
de 220 sites concessionnaires. Au dernier salon du CNPA (Conseil National des
Professionnels de l'Automobile), les concessionnaires et les négociants ont
largement fait part de leur intérêt pour ces nouveaux modes de
commercialisation destinés pour une part aux particuliers, d'autre part aux
échanges entre professionnels. D'après Pierre Guillemier, secrétaire général de
la branche concessionnaires du CNPA, « Internet n'est pas une menace pour les
concessionnaires. Ils considèrent au contraire que c'est une opportunité, qui
leur permet d'avoir plus de contacts avec leur clientèle et qui peut leur
apporter une nouvelle clientèle. La vente sera toujours l'apanage des
concessionnaires car l'achat d'une voiture nécessite un budget conséquent
(moyenne de 50 000 à 60 000 F pour un véhicule d'occasion dans une concession)
qui implique une visite. » Il est vrai qu'autant un consommateur peut acheter
un véhicule neuf sans le voir, autant il serait hasardeux de ne pas savoir à
quoi ressemble la bonne affaire d'occasion même sans beaucoup de kilométrage.
Selon Didier Rivière, Dg associé d'Onlycar, « 87 % des concessionnaires sont
aujourd'hui sur Internet et 17 % d'entre eux développent un site qui permet de
faire du commerce en ligne. » On voit ainsi apparaître des "cyber-concessions"
au sein desquelles l'internaute peut consulter un catalogue donnant un
avant-goût du show-room du concessionnaire.
Un marché qui attire les convoitises
La concurrence entre les 5 000 concessionnaires de
France, dont les marges sont relativement faibles, est telle que la mise en
ligne de leurs véhicules d'occasion est non seulement un plus, mais est
quasiment devenue une nécessité. Mais les constructeurs ne portent pas leur
unique attention sur les concessionnaires. Ils portent également un regard
attentif sur l'émergence de nouveaux concurrents. C'est que les 5 millions de
véhicules d'occasion présents sur le marché français suscitent bien des
convoitises. Et depuis un an, les sites 100 % Internet proposant leur propre
parc automobile foisonnent sur le réseau (février pour Autoplanet ; mars pour
Autovalley ; mai pour Degrifcar ; juin pour Carboulevard ; septembre pour
Autoplanet). Pour Pascal Charlier, directeur commercial de Procar, « cela
s'explique par le manque d'organisation du marché. Et si nous privilégions le
marché de l'occasion, c'est pour la bonne et simple raison que nous sommes
moins exposés face aux grands constructeurs qu'en proposant des véhicules
neufs. » Certains sites se sont donc spécialisés en voitures anciennes, de
collection ou de sport. D'autres font de la vente aux enchères pour
professionnels ou augmentent leur offre en proposant des motos ou des pièces
détachées. Ils donnent des informations sur les modalités de vente, des
adresses de garages ou de centres auto, parfois des offres de financement, mais
sans réelle stratégie commerciale. La tendance depuis quelques mois est à la
professionnalisation, et les offensives musclées dépassent la simple mise en
relation acheteur/vendeur ou la dimension non interactive de la petite annonce.
Elles se placent avec plus ou moins de réussite sur le terrain de l'efficacité
(rapidité des recherches et des liens, stocks importants, photos des
véhicules), de la séduction et du ludique (ergonomie pensée, pages d'accueil
animées...) et du contenu rédactionnel (newsletter, actualités, conseils...).
A défaut d'être aussi ambitieuses que la dernière-née carboulevard.com, qui
veut être "l'Amazon du marché de l'auto", ces start-up ont la volonté de
générer du chiffre d'affaires. D'où l'assaut de certaines sur le terrain des
voitures neuves. A ce titre, l'une des pionnières en matière de vente de
voitures neuves en France, Autovalley, fait figure d'exception car elle jouit
d'une solide assise financière par son appartenance au groupe BNP-Paribas.
Autre avantage : la société fait également partie du pôle Internet développé
par le groupe et qui bénéficie d'un investissement de 700 millions d'euros sur
trois ans. Pascal Charlier définit bien le créneau qu'occupent quasiment tous
ces nouveaux intervenants dans le monde "marchand" de l'automobile sur Internet
en France : « Nous nous différencions d'abord des sites vitrine qui présentent
les gammes de véhicules et qui n'ont pas pour vocation de vendre à des
particuliers. Nous sommes également loin des sites dont la vocation est
d'essayer de vendre des véhicules à la place des concessionnaires, comme cela
se voit aux Etats-Unis ou encore récemment en Angleterre (Ndlr : voir encadré).
Nous aidons les internautes à faire un choix, en leur donnant des conseils, en
mettant à leur disposition des véhicules, en organisant un rendez-vous physique
avec un concessionnaire. Nous avons en fait un statut de facilitateur. »
Autrement dit de prescripteurs, ou "d'infomédiaires", à la frontière entre la
prestation de services et le travail commercial, entre le concessionnaire et le
client, mais en aucun cas de brokers. Sur un marché aussi dense, le nerf de la
guerre repose sur le stock de véhicules présentés en ligne et réellement
disponibles. La mission de départ pour les sites qui démarrent leur activité
sur le Net consiste à ratisser les réseaux de franchisés, liés à des
constructeurs ou non. « Nous nous sommes au départ plus orientés vers le B to B
et l'Intranet, axé sur des services aux concessionnaires, en créant avec eux un
système de gestion de parc », précise Didier Rivière.
Neuf ou occasion : un choix nécessaire ?
Aujourd'hui, le marché du neuf
est encore sous-exploité vis-à-vis du marché de l'occasion, même si proposer
des voitures neuves est tout à fait légal dès lors que la loi d'exemption est
respectée (cf. voir encadré). Seule Autovalley a pris le parti de développer en
priorité le neuf pour les particuliers, l'occasion étant plus une vitrine
supplémentaire pour son site portail. Le groupe Cica a contourné ce clivage en
regroupant 6 sociétés au sein d'une holding baptisée Exlinea, parmi lesquelles
proveo.com et degrifcar.com, orientées B to C. La première, créée en 1997, gère
une offre professionnelle de véhicules d'occasion toutes marques. La seconde,
née en mai dernier, gère un parc de véhicules récents issus des stocks de
concessionnaires. De son côté, Autoplanet s'enorgueillit de traiter à la fois
l'occasion et le neuf. Eric Ibled, son directeur général, est convaincu que «
il existe une passerelle naturelle entre les deux marchés. Il suffit de compter
le nombre de clients qui viennent en concession dans l'idée d'acheter un
véhicule neuf et qui repartent avec un véhicule d'occasion, et inversement ».
Loin d'être des novices, les patrons de tous ces sites ont bien souvent une
expérience précieuse de l'univers de l'automobile. Ainsi, Olivier Tarbe de
Saint Hardouin, aujourd'hui directeur de degrifcar.com, a travaillé plusieurs
années chez Renault à la direction commerciale, mais a aussi été directeur de
concession. Jean Triomphe et Philippe Dutilleux, cofondateurs de Procar,
étaient auparavant respectivement secrétaire général du Groupement des
Concessionnaires Renault et P-dg du groupe SCAC Automobile. Parfois, cette
expérience est également privilégiée au niveau de l'équipe commerciale. Les
conseillers-vendeurs du call center d'Autovalley sont ainsi pour la plupart
d'anciens vendeurs de voiture. Au-delà de la commercialisation, la mission des
équipes commerciales terrain est de trouver les bons arguments pour convaincre
les concessionnaires d'adhérer à une charte de qualité les liant au site sans
qu'ils aient à signer un contrat d'exclusivité : « Nous leur apportons la
garantie d'un certain volume d'affaires », explique Laurent Schlosser,
responsable du développement réseau chez Autovalley. Pascal Charlier évoque
également un argument de poids : « Nous leur faisons profiter de notre
exposition publicitaire sans qu'ils n'aient à débourser un centime. » La
campagne télé grand public de Procar, lancée en juin dernier, s'est par exemple
insérée entre deux chansons de Johnny Hallyday lors de son spectacle au Champ
de Mars retransmis en prime time sur TF1. Mais tous ne fonctionnent pas ainsi
: onlycar.com a su par le bouche à oreille faire reconnaître ses compétences
auprès des concessionnaires qui lui ont fait confiance depuis ses débuts, en
octobre 1998, avant d'entamer une campagne de communication dès septembre.