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Fabien Esnoult (Sprint Project) : « La ville est l'enjeu n°1 de la supply chain durable du futur »

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Fabien Esnoult (Sprint Project) : « La ville est l'enjeu n°1 de la supply chain durable du futur »

Spécialiste des innovations et des enjeux de transformation dans le secteur de la supply chain, Fabien Esnoult est président de SprintProject. Une société d'open innovation mutualisée dont l'objectif est de détecter et d'analyser les signaux faibles, tendances et innovations des start-up internationales susceptibles de faire évoluer la filière. L'occasion d'aborder en profondeur la transformation du secteur.

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Pouvez-vous nous présenter SprintProject ?

Fin 2017, j'ai créé cette entreprise de veille avec pour objectif de faire du renseignement sur toute la filière supply chain, notamment sur l'innovation. L'idée est de mutualiser les moyens des grandes entreprises pour organiser une veille structurée et de monter des programmes collaboratifs avec des start-up pour les grands groupes, en facilitant les échanges. Nous sommes dans un domaine d'activité où les entreprises ne dégagent pas de fortes marges, sauf quelques exceptions, aussi les capacités R & D demeurent limitées. Il est donc compliqué pour un acteur européen ou français d'investir en même temps sur l'intelligence artificielle, la robotique, le big data, le last mile... SprintProject est en quelque sorte une usine de connaissances au service des entreprises.

Qui sont vos clients ?

Nous avons deux typologies de clients : d'abord nos membres qui paient une cotisation annuelle pour accéder à nos données et à notre programme collaboratif. Nous comptons ainsi une douzaine de grandes entreprises sectorielles : FM Logistic, DB Schenker, le groupe Savoye... Nous ne travaillons qu'avec les présidents et quelques membres des Comex car nous sommes sur des données extrêmement sensibles et stratégiques. Nous avons également une activité de conseil dédiée à ces acteurs (Renault, La Poste, etc.) sur des missions de réflexion stratégique par rapport à des enjeux du moment (positionnement sur le dernier kilomètre...). Nous sommes souvent interrogés sur des sujets de croissance externe, soit pour entrer sur le marché de la supply chain ou pour acquérir des compétences dans un domaine.

Quelles sont vos actions ?

En 2020, nous avons été à l'initiative d'un partenariat stratégique européen entre DB Schenker, fournisseur international de services logistiques et la start-up Convelio spécialisée dans le transport international d'objet volumineux. Nous avons un rôle de tiers de confiance où nous garantissons les intérêts de chacune des parties. Autre exemple, avec la métropole de Troyes. Nous avons été pionniers sur le lancement d'un programme de test d'un véhicule autonome en ville, avec l'accord du maire, le soutien de La Poste et d'un certain nombre d'entreprises. Nous avons mis en place un programme collaboratif pour à la fois comprendre les effets sociologiques, d'un point de vue métier, si le véhicule a du sens mais aussi technologiquement, s'il y a des failles. Le but est d'avoir un temps d'avance en France sur ce type de sujets.

Un mot sur vos résultats ?

En 2020, nous avons enregistré une très belle croissance. Nous avons signé d'importants clients comme le groupe Fraikin, Geopost... L'an dernier, nous avons de nouveau connu une très forte année avec plus 50 % de croissance.

Quelles sont les perspectives de cette année ?

Nous espérons atteindre entre 20 et 50 % de croissance. Nous préparons une opération de croissance externe pour intégrer des compétences métiers, dans l'ingénierie, que nous n'avons pas. Cette supply chain industrielle est spécifique via des enjeux dans le risk management : problématiques liées à la pénurie des matières premières, à l'augmentation d'un certain nombre de coûts, etc. J'ai également ouvert le capital : deux associés nous rejoignent sur l'activité conseil. Nous avons vocation à devenir une entreprise internationale. Nous travaillons depuis la France mais nos clients sont pour la grande majorité des sociétés internationales.

Quelles problématiques observez-vous actuellement dans le secteur de la supply chain ?

La géopolitique actuelle en Europe est évidemment un sujet compliqué pour un grand nombre d'acteurs très exposés sur les marchés des pays de l'Est. La Russie reste un gros marché pour beaucoup d'entre eux. Cela crée des inquiétudes et des contraintes d'organisation. Par ricochet, d'autres entreprises subissent les répercussions. Nous avons également une crise des matières premières. Les supply chain sont donc sous tension. Lorsque vous avez des matières premières manquantes, les chaînes d'approvisionnement sont perturbées. Enfin, nous observons une hausse tarifaire des matières premières.

Quels sont les enjeux du moment ?

La transition énergétique est une préoccupation absolument majeure car les métiers de la supply chain sont directement concernés.

Cette problématique a des conséquences en cascade sur de nombreuses activités et la transformation des organisations. Ce bouleversement, engagé il y a un certain nombre d'années, va prendre encore du temps. Les grands donneurs d'ordres poussent leurs fournisseurs puis cela descend au fur et à mesure dans les différentes strates. Toute la filière est en train de s'adapter. L'autre enjeu est le last mile et la livraison : « Comment aborder la ville dans les années à venir ? » Ce sujet est lié à l'industrialisation des véhicules du dernier kilomètre. Pour mettre en place des triporteurs électriques, etc. dans une nouvelle approche de la distribution urbaine, les transporteurs ont besoin que cela soit à grande échelle. La chaîne industrielle doit donc suivre en termes de quantité. Autre sujet, la mutualisation des flux avec les enjeux de réglementation, d'infrastructure, de typologie des véhicules, d'urbanisme... Enfin, la loi Agec - réglementation gouvernementale sur le cycle de vie des marchandises - oblige depuis le 1er janvier 2022 à donner une seconde vie aux objets récupérés lors de la livraison d'un article pour éviter leur destruction. Les acteurs de la filière doivent ainsi réfléchir à leur stratégie parce qu'ils engagent leurs responsabilités. Cette loi a un réel impact sur nos métiers.

Et concernant les tendances ?

Nous observons l'avènement du circuit court. Avec le Covid, nous avons tous constaté l'essor d'une consommation plus locale. Le circuit court attire de plus en plus les gens, au-delà même que la production soit bio ou pas. Cette tendance induit la problématique des consignes et la réutilisation des emballages. Cela oblige à réinventer des supply chain qui n'existent pas. Nous revenons ainsi à la consigne que nous avions abandonnée. Nous allons devoir tracer l'emballage comme nous le faisons pour le contenu des produits dans cette logique d'imaginer une transition énergétique en profondeur de notre filière.

Justement, comment répondre à l'équation conjuguant une livraison de plus en plus rapide et ces enjeux environnementaux?

C'est une grande schizophrénie (rires). Selon moi, le vrai sujet n'est pas l'urgence mais la précision. Nous confondons souvent les deux. Veut-on vraiment un produit en dix minutes chez soi ou avons-nous besoin d'être certain qu'il arrivera bien le soir à notre domicile ? Or, la précision est plus en phase avec les enjeux de développement durable que l'urgence. Celle-ci a un coût énergétique. Nous avons observé l'explosion récente des dark stores et du quick commerce. Du jour au lendemain, ces acteurs ont réalisé des levées de fonds absolument stratosphériques sur des sociétés à peine naissantes et une logique business peu aboutie. Le quick commerce a provoqué de nombreux impacts dans les villes, avec des lieux survalorisés, des nuisances locales... En moins de deux ans, ces acteurs ont grossi aussi vite qu'ils se sont écroulés. Les consommateurs demeurent les arbitres de ces changements, ce sont eux qui acceptent ou pas ces nouvelles tendances. Nos métiers les suivent. Il y a une dichotomie entre ces enjeux de responsabilité environnementale et de consommation rapide.

La logistique urbaine est devenue un sujet stratégique. Quels sont les défis à relever ?

Elle est éminemment complexe car il n'y a pas de solution unique. Chaque micro-zone géographique peut être un cas spécifique. Par exemple à Paris, nous ne pouvons pas raisonner logistique urbaine dans son ensemble mais par quartiers. Chacun a ses spécificités : taille de la voirie, des trottoirs, nombre d'habitations au kilomètre carré (hauteur des immeubles), etc. Tous ces facteurs sont des discriminants logistiques. La logistique urbaine comprend un ensemble de micro-sujets. Les points communs de ces villes passent par la mutualisation des flux pour augmenter l'efficacité des moyens opérationnels et diminuer l'emprise dans la circulation des véhicules de livraison. La mutualisation permet aussi l'usage de véhicules innovants sur le dernier kilomètre. Néanmoins, les centres logistiques reculent à Paris de cinq kilomètres tous les six ans. Dans les années 70-80, les centres logistiques étaient plutôt sur les grands boulevards. Quarante ans après, ils sont au-delà de la Francilienne et se rapprochent des villes-satellites de Paris comme Chartres, Tours... en raison de pression immobilière, de massification des flux et de la hausse de la population. Nous avons créé des noeuds logistiques. Aujourd'hui, nous remettons de la logistique urbaine dans les villes avec l'apparition de plateformes logistiques intra-urbaines. La ville est l'enjeu numéro un de la supply chain durable du futur.

Quel est votre regard sur la livraison collaborative ?

Depuis très longtemps, des start-up se lancent sur ce sujet : le voisin de confiance, le relais chez l'agriculteur... Ces projets se sont multipliés en Europe mais ils ont tous échoué. Je ne pense pas que cette livraison collaborative pèsera fortement sur le marché mais elle a sa place. Dans la ruralité, elle évite aux colis de réaliser de très grandes distances et permet de créer du lien social. Aujourd'hui, nous voyons de nouveau l'émergence de jeunes pousses (Pickme, Welco...). Les mentalités et technologies changent, elles trouveront peut-être leur place dans cet ensemble. Tout l'enjeu est d'avoir un business model qui s'autofinance.

De nombreuses entreprises mettent en place des technologies d'automatisation dans leurs entrepôts, quelle est votre position?

L'automatisation existe depuis très longtemps, notamment dans l'automobile. Nous assistons plutôt à l'avènement de la robotisation. Quand on parle de robotisation, on oublie souvent qu'elle est liée à l'intelligence artificielle et au big data. L'IA aide à interpréter ces data pour réaliser des prévisions, du pilotage des flux... Néanmoins, la robotique ne peut pas remplacer l'homme, reproduire la main humaine dans certaines opérations demeure très compliqué et coûteux. Enfin, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une filière en crise de recrutement, à tous les niveaux.

La robotique et l'automatisation doivent être au service du ROI des entreprises et de l'efficacité du service client rendu.

Son parcours :

2008

Fabien Esnoult cofonde Colizen, une entreprise spécialisée dans la livraison des particuliers sur rendez-vous. La start-up, devenue leader en quelques années, voit entrer à son capital Chronopost, filiale de Geopost, membre du Groupe La Poste en 2013.

2009

La société Colizen est cédée intégralement au groupe La Poste. Fabien Esnoult rejoint GeoPost comme directeur délégué innovation. Dans
le cadre de ses fonctions,
il identifie les orientations clés pour l'avenir du Groupe en animant un réseau européen de correspondants afin d'accélérer l'innovation dans les différentes filiales.

2017

Il crée SprintProject, une cellule d'innovation ouverte mutualisée entre des acteurs majeurs de la supply chain. Fortement impliqué dans l'univers associatif, Fabien Esnoult est membre actif de France Supply Chain (anciennement l'Aslog - Association pour la supply chain et la logistique française) dont il est administrateur depuis 2010 et référent du programme Evolue.

 
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