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Vincent Barbat, Kearney : "Le rapport au luxe s'est un peu normalisé"

D'après l'étude annuelle du cabinet de conseil en stratégie Kearney, le secteur du luxe traverse actuellement une période difficile, marquée par un ralentissement significatif après plusieurs années de croissance exceptionnelle. Vincent Barbat, Associé au bureau parisien de Kearney, dresse un tableau contrasté d'un marché en pleine mutation.

Publié par Jérôme Pouponnot le - mis à jour à
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Vincent Barbat, Kearney : 'Le rapport au luxe s'est un peu normalisé'
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Quels sont les grands enseignements de votre dernière étude sur le marché du Luxe ?

L'année 2024 marque une véritable rupture pour l'industrie du luxe. Après les années fastes post-pandémie caractérisées par une demande en forte hausse dans toutes les catégories, le secteur connaît désormais un net ralentissement. De 495 milliards d'euros en 2023, le marché mondial du luxe a atteint péniblement les 500 milliards en 2024, affichant ainsi une croissance quasi nulle. Parler de rupture n'est pas galvaudé dans le sens où le moteur asiatique (notamment chinois) s'est essoufflé. A fortiori, cette situation contraste fortement avec la dynamique des années précédentes : 422 milliards en 2021, 447 milliards en 2022, puis 495 milliards en 2023.

Dans ce contexte morose, les résultats des différents acteurs du luxe sont très hétérogènes. Alors que Hermès survole le marché avec des taux de croissance et de rentabilité phénoménaux, le Groupe LVMH présente quant à lui une situation contrastée. Si Louis Vuitton ou Loro Piana, positionnées sur le segment du "quiet luxury" ont bien résisté, d'autres maisons du Groupe ont connu plus de difficultés.

Le secteur de la beauté n'est pas épargné, avec des résultats inquiétants pour Estée Lauder et des performances en deçà des attentes pour L'Oréal. Les vins et spiritueux constituent la catégorie la plus problématique, avec des évolutions négatives significatives dans les habitudes de consommation sur les marchés américain et chinois.

Comment expliquez-vous cet atterrissage brutal après l'euphorie post-Covid pour le marché du luxe ?

Plusieurs éléments expliquent ce ralentissement brutal. En Chine, la croissance économique a considérablement ralenti, avec une projection de seulement 4,4 % pour 2025. Un taux qui n'est pas suffisant pour faire fonctionner à plein régime le marché chinois. Le niveau de confiance des consommateurs chinois est d'ailleurs très bas et le travel retail a lourdement chuté, avec un manque à gagner estimé à 9 milliards d'euros.

Par ailleurs, les hausses de prix répétées des marques de luxe commencent également à peser. Il est bon de préciser que certaines sociétés ont doublé de taille ces dernières années, non pas tant en volume qu'en valeur, grâce à des effets catégoriels (comme le déport de la toile vers le cuir plus cher) et des effets de prix très significatifs.

En outre, les tensions sur le plan géopolitique, notamment entre la Chine et les États-Unis, ainsi que la manière dont l'administration Trump utilise désormais le levier des taxes douanières à l'encontre des produits européens, assombrissent les perspectives du secteur.

Quelles sont les perspectives ?

Pour la période 2025-2027, Kearney prévoit une croissance modeste de l'ordre de 1 à 3 % pour le marché du luxe. Il faut bien comprendre que nous sommes entrés dans une période où le rapport au luxe s'est un peu "normalisé" sur certains segments, avec des produits qui n'en sont pas, à proprement parler, mais qui y ressemblent et qui satisfont en partie les attentes des consommateurs. Cette normalisation se manifeste notamment par l'émergence de marques locales, particulièrement en Chine, parfois encouragées par les autorités qui répondent à une volonté croissante de consommer des produits nationaux.

Idem avec le phénomène des "Daegu" (ces intermédiaires sud-coréens qui achètent des produits en masse pour les revendre sur le marché intérieur) qui perturbe également l'équilibre du secteur, notamment dans la beauté. Quand vous jouez avec les Daegu, vous pouvez certes maximiser vos ventes... mais au risque de voir ces produits revenir en boomerang sur les marchés domestiques en concurrence frontale et à moindre coût sur les offres classiques.

Face à ces multiples défis, l'industrie du luxe devra s'adapter à cette nouvelle période, où le marché doit devenir plus lisible et plus compréhensible. Un marché qui est moins exclusivement guidé par la "désirabilité de la marque" mais davantage sur des règles économiques classiques.



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