La mue digitale des retailers
Hybride, connecté, cross canal, le commerce n'a plus de frontières. Les nouvelles règles de la distribution sont régies par la technologie, le service et la mobilité. Si l'e-commerce capitalise sur ses points forts, les points de vente, de plus en plus agiles, ripostent et gagnent du terrain.
Je m'abonneL'écosystème du retail on line et off line est en pleine ébullition. Contraints à repenser sans cesse leur offre, les pure players comme les points de vente traditionnels cogitent sous le diktat d'un consommateur ultra-connecté, en quête d'expériences nouvelles. Le lèche-vitrine n'est plus un passe-temps. À l'heure du shopping connecté, chaque point de contact avec une enseigne est devenu source d'expérimentations. Le Saint Graal ? La "customer journey" parfaite, un parcours d'achat sans couture, fluide et rentable.
" Les magasins doivent intégrer les bénéfices de l'e-commerce in-store en amenant de la valeur au consommateur. Il peut, alors, effectuer ses achats auprès du même retailer au travers d'une large gamme de points de contact, tant digitaux que physiques, avec le même confort d'achat et sans rupture d'expérience. C'est ce que nous avons appelé le responsive retail ", analyse Vincent Druguet, DGA de DigitasLBi et responsable du centre d'excellence dédiée au commerce connecté.
De fait, la question de la cannibalisation entre les canaux physiques et digitaux ne fait plus débat. Bien au contraire, l'heure est à la fusion du meilleur des deux mondes. Le modèle click & mortar est de plus en plus pertinent. En témoignent les LDLC, Miliboo et bien d'autres. Un modèle plébiscité par les consommateurs eux-mêmes qui ont, d'un côté, intégré les outils technologiques et les opportunités offertes par le Web pour faciliter leur parcours shopper et, de l'autre, ont envie de retrouver des points de vente "réenchantés". Tous les indicateurs font état d'une circulation alternée entre boutiques virtuelles et boutiques réelles. Si l'e-commerce poursuit sa progression en France, les enseignes physiques traditionnelles ont déjà préparé la riposte et, pour certaines, avec succès.
En tout cas, les magasins ont toujours la cote, puisque 90 % du CA du commerce de détail sont réalisés en boutique (source : étude Xerfi-Precepta). Les avantages du shopping physique pèsent dans la balance : tester le produit, en disposer immédiatement et ne pas avoir à le retourner s'il ne convient pas. Une récente étude du cabinet PwC (Consommateurs connectés La distribution à l'ère digitale, novembre 2014) indique que 58% des e-acheteurs préfèrent le magasin pour rechercher ou acheter un produit, tandis que 28 % préfèrent l'achat en ligne. Selon Sabine Durand-Hayes, associée chez PwC, " les Français restent très attachés à l'expérience en magasin pour toucher le produit et repartir avec. Certains consommateurs reviennent également en magasin après une mauvaise expérience lors d'un achat en ligne ".
En parallèle, le Web fait valoir ses atouts : la praticité, le prix et le choix. " Le client doit pouvoir faire des allers-retours entre canal digital et physique. Exit les silos, 2015 est l'année du commerce connecté ", assure Aurélien Cumin, manager d'Elia Consulting, auteur d'une étude sur le sujet avec Ipsos. Cliquez ici pour continuer la lecture sur la page suivante.
INTERVIEW : Valérie Legat, directrice générale Business lab
Spécialisée dans le netchandising depuis 1998, l'agence Business lab suit de près l'évolution des points de vente et du phénomène de digitalisation. Le point avec Valérie Legat, spécialiste du retail.
Le commerce connecté est-il une réalité aujourd'hui ?
Nous scrutons différentes initiatives, en France et à l'étranger. Ce qui est sûr, c'est que le niveau d'exigence du consommateur augmente. Le cyberacheteur ne veut plus se déplacer en magasin s'il ne vit pas une expérience shopping différenciante. Le retail connecté peut aider les distributeurs à atteindre cet objectif. La démarche s'appuie sur quatre piliers : l'introduction du monde social dans le lieu de vente (je partage avec ma communauté dans le processus décisionnel), la personnalisation du parcours client, la simplification du processus transactionnel et la collecte de la data.
Comment accompagnez-vous les acteurs dans ce déploiement ?
Nous développons une méthodologie baptisée "Customer experience map", qui dresse un état des lieux de tous les points de contact entre la marque et le client pour identifier les "moments of truth" et les "pain points". Et ainsi, mettre en place un processus d'amélioration pour fluidifier le parcours client. Notre démarche est très user centric, parce qu'au final, c'est le client qui choisit. L'étape de l'écoute est donc essentielle. C'est à ce moment-là que nous détectons la réalité des besoins du client pour être en phase avec lui.
De nombreux pure players développent des réseaux de boutique. Cette tendance va-t-elle s'accentuer ?
Oui, d'ailleurs le point de vente est un point de connexion, dans le parcours client, où doit se développer une posture relationnelle et de nombreux services. Il complète la signature expérientielle du distributeur. Rien ne remplacera l'expertise d'un vendeur en magasin. Ce qui se passe en boutique est unique. Le commerce doit être envisagé comme un service rendu. Toute l'intelligence du distributeur doit se concentrer dans la gestion de la cadence de la relation et le rythme des interactions avec le consommateur.
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Si l'achat se fait majoritairement en magasin, le digital est crucial, dans le parcours d'achat. Le premier réflexe des Français, en amont d'un achat, indique l'étude de PwC, est de consulter un moteur de recherche en ligne (pour 63 %) ou aller directement sur le site web de l'enseigne ou de la marque recherchée (19 %), bien avant de se rendre en magasin (10 %).
Aussi, pour améliorer leurs résultats, les distributeurs se sont adaptés au numérique en s'inspirant des pure players. Le retour en force des enseignes s'explique par les investissements effectués par les distributeurs pour développer les solutions multicanales qui répondent aux attentes des consommateurs. Concernant le click & collect, pas moins de 75 % des enseignes citées dans l'étude proposent ce service pour répondre aux 46 % de e-acheteurs qui apprécient cette option pour obtenir une livraison gratuite. Autre fonctionnalité attendue par les consommateurs : la vérification en ligne des stocks des magasins. Selon l'étude, 34 % des enseignes ont développé ce service pour que les prospects ne se déplacent pas pour rien. Enfin, sur le sujet des retours en magasin, 44 % des enseignes intègrent, désormais, cette option en réaction aux 40 % de cyber-acheteurs qui abandonneraient leur panier d'achat si cette option n'était pas proposée.
L'omnicanalité, un enjeu de taille
Sur ce territoire où les canaux se font écho, de nombreux éditeurs se chargent de rappeler aux distributeurs la nature des enjeux. En ligne de mire, un parcours d'achat simplifié et sans couture. Le cross canal favorise une démarche "customer centric", avec toujours plus de services et une personnalisation accrue de la relation client. Selon Bruno Mentaux, directeur de Cylande CS, éditeur de solutions logicielles pour la distribution (United Retail) : " Le client choisit le canal, le moment et le lieu d'achat. L'objectif est de respecter une cohérence dans le parcours client. Notre solution adresse tous les canaux (caisse, table interactive, vitrine virtuelle, cabines interactives, tablettes vendeurs) nativement, pour gérer la traçabilité et partager les informations, quel que soit le canal ".
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De fait, la démarche se veut globale. " Il faut enrichir la data. Passer du prisme shop centric à customer centric ", note Stéphanie Brenzelli, managing director France Experian Marketing Services. La stratégie omnicanale doit se déployer en amont (parcours achat) et en aval (enjeux de fidélisation et d'e-réputation via le CRM). Entre les deux, l'expérience sur le point de vente se nourrit de sensations (design) et de services (technologies).
Plus globale, la nouvelle solution de l'agence The Links, baptisée Frex (fusion retail expérience) combine marketing, design et technologie, dans le but de " fusionner le meilleur des deux mondes, physique et digital, et de recréer le contact utile avec le client, explique Cyrille Chaudoit, directeur de l'innovation de The Links. Nous tendons vers une expérience holistique du commerce connecté. Il y a une différence entre digitaliser un point de vente et connecter un client à ce même point de vente. La boîte à outils est large pour équiper les magasins, mais quelle expérience fait-on vivre aux clients ? "
Le Web in store : éviter l'effet gadget
C'est bien là, qu'il ne faut pas décevoir le consommateur. Plusieurs raisons peuvent l'amener à se déplacer en boutique, notamment la livraison de son produit (car souvent, elle est payante). " C'est l'occasion d'humaniser la relation, indique Bertrand Esclasse, associé de l'agence UX In Situ (groupe Dia-Mart). La façon dont le client est reçu, le conseil prodigué, la personnalisation du contact, la poignée de main, sont autant de raisons qui doivent justifier le déplacement. " Cliquez ici pour terminer la lecture sur la dernière page.
Une fois le client sur le lieu de vente, les outils à disposition du distributeur prolongent l'expérience entamée sur la Toile. Tablettes vendeurs, bornes interactives, paiement sans contact, vitrine digitale, réalité augmentée, partage sur les réseaux sociaux... c'est Internet qui investit le magasin pour ne pas créer de rupture.
Selon Éric Chemouny, vice-président customer engagement et commerce EMEA d'Hybris Software : " Les distributeurs veulent reprendre la main dans leur relation avec leurs clients et avoir une réelle influence sur le parcours d'achat. Mais la France est en retard, notamment sur l'accueil fait aux shoppers qui utilisent le click & collect. À Londres, ils sont considérés comme des clients importants, car plus rentables. La théâtralisation des points de vente, outre-Manche, est plus forte ". En effet, reconnaître le client (grâce à une gestion optimisée de la data) et lui proposer une expérience différenciante sont au coeur du sujet. " Au-delà du fait qu'il jette une passerelle entre le site marchand et le magasin physique, le Web to store prend un nouveau chemin : celui de la connaissance client ", affirme Thomas Le Guyader, expert cross canal d'Evoke (solution en mode SaaS). Exploiter la data pour un meilleur service, telle est la prochaine étape d'une expérience shopping intelligente. Au coeur de cette mission, le vendeur, qui devient un conseiller client connecté.
Le vendeur connecté
Car avec cette nouvelle donne, le point de vente devient un showroom, un point de retrait, un espace de services, où le vendeur doit redéfinir sa place. Pour Patrick Mercier, CEO de l'agence Change : " L'enjeu, pour les vendeurs, réside dans leur capacité à trouver des solutions sur mesure pour les clients, plutôt que de les aider à se repérer dans le magasin. Les clients sont hyperinformés, lorsqu'ils vont faire leur shopping ; ils ont, maintenant, besoin de reconnaissance ".
"il y a de formidables opportunités pour renouveler la fonction commerciale vers un rôle de conseiller personnalisé"
De fait, si l'on s'oriente vers des points de vente peut-être plus réduits, mais 100 % connectés, le rôle du vendeur est d'accompagner le client dans ce parcours digital. " Si le vendeur est désemparé, aujourd'hui, face à des consommateurs surinformés, il y a de formidables opportunités pour renouveler la fonction commerciale vers un rôle de conseiller personnalisé. Bien connaître le client ne suffit pas, il faut bien le (re)connaître ", témoigne Éric Chemouny, d'Hybris Software. Certaines enseignes l'ont bien compris, qui ont décidé d'investir efficacement dans leur force de vente.
L'idée étant d'utiliser l'écosystème digital au service des vendeurs. " Nous implantons des puces RFID directement dans les vêtements, ce qui améliore la gestion des stocks et la logistique une fois en magasin. Cette technique valorise la dimension sociale des vendeuses et développe leur périmètre relationnel. Moins de manutention en boutique, c'est plus d'attention portée aux clients ", exposait Denis Kraus, directeur général digital du groupe Beaumanoir (Morgan, La City, Cache Cache...), lors du HubDay, en février 2015.
Un rôle prépondérant du vendeur mis en exergue par Cyrille Chaudois auprès de ses clients : " Le vendeur, qui occupe une place centrale, doit passer de la vente de produits à la vente de solutions et de services associés ". Idem chez Itelios, société de services spécialisée dans le développement du commerce connecté. " Environ un tiers de nos clients a des réflexions avancées sur l'usage du smartphone en magasin. Notre solution est prête à être commercialisée sur le marché, mais nous insistons sur la nécessité de former les équipes de vente pour engager une relation efficace dans un seul objectif : mieux vendre ", précise Christophe Claudel, président d'Itelios. " En proposant des extensions de gamme en magasin et en personnalisant les offres grâce à une gestion centralisée des données ", ajoute-t-il.
Dans cette révolution du tout connecté, les retailers peuvent compter sur les nouveaux comportements de la génération Z et son addiction aux réseaux sociaux. Bearing Point Institute livre, sur ce point, des conclusions intéressantes dans une récente étude ("L'innovation digitale à la rescousse du magasin physique ?", juillet 2014) en recueillant l'avis des digital natives, les shoppers de demain. Dans cette population, 59 % n'ont pas de préférence exclusive pour l'e-commerce ou le commerce traditionnel. Pour autant, leur rapport au digital pourrait bien influencer fortement les stratégies des distributeurs. En effet, les réseaux sociaux commencent à peser sur les magasins physiques. Ainsi, selon l'étude mondiale de PwC, 52 % des Français (idem en Grande-Bretagne) déclarent que les réseaux sociaux participent largement à leur réflexion durant leur séance shopping. Les interconnexions sont infinies, et l'aventure du commerce connecté commence à peine.