La durabilité, un bon aiguillon pour infléchir son business model

À l'approche des fêtes de fin d'année, traditionnelle "peak season" pour les retailers off et online, un chiffre retient l'attention. Un Français sur deux, soit 50 % de la population contre 18 % en 2020, envisage d'offrir des cadeaux d'occasion ou reconditionnés. Depuis 2020, cette pratique s'inscrit nettement en hausse, nous apprend le baromètre de Noël 2024 réalisé par Rakuten France avec Ipsos.

La seconde main s'impose de façon croissante chez les consommateurs désireux de réconcilier des budgets écornés par l'inflation et le souhait d'abaisser leur impact individuel sur l'environnement. En parallèle, la production législative, via des instruments comme la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC) en 2020, a incité les retailers à adopter des pratiques plus vertueuses afin de réduire leur empreinte environnementale. Plus récemment, une proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile a été adoptée le 14 mars par l'Assemblée nationale. Le texte est en cours de première lecture au Sénat.

Une opportunité de diversification et de croissance

Face à cette double contrainte sociétale et légale, de nombreuses enseignes ont donc revu et adapté leur stratégie en conséquence. "Nous nous intéressons au sujet de la seconde vie depuis 2019", retrace Martin Aunos, directeur des activités services et seconde vie de Fnac Darty, qui a créé une business unit dédiée à la seconde vie cette année-là. "À l'époque, nous réfléchissions aux moyens de revaloriser l'ensemble des produits neufs non vendables. Aujourd'hui, nous voulons aller plus loin en revalorisant des produits qui ne font pas nécessairement partie de nos flux internes. Nous reprenons des produits à des clients, et nous travaillons avec des partenaires pour acheter des produits reconditionnés." Le champ des possibles qui s'offre au groupe est de fait très large. L'exemple de la téléphonie est parlant. "Quasiment un portable sur cinq vendus en France l'an passé était un appareil reconditionné. Or, plusieurs dizaines de milliers de téléphones portables dorment dans les tiroirs français", souligne Martin Aunos.

Les résultats suivent. En 2023, les volumes revendus sous les marques Fnac seconde vie et Darty seconde vie ont bénéficié d'une croissance à deux chiffres (+30 %) par rapport à 2022. Cette activité a généré 120 millions d'euros de volume d'affaires fin 2023. Rapporté au chiffre d'affaires global du groupe (7,9 milliards d'euros en 2023), c'est peu mais en forte croissance. L'entreprise a désormais trois ateliers dédiés à la seconde vie, à Saint-Pierre-des-Corps, Mitry-Mory et Chilly-Mazarin. La précision d'identification des produits combinée à l'existence d'une chaîne logistique inversée robuste permet à l'enseigne d'orienter les produits entre recyclage, don à des associations (600 000 articles en 2023) ou reconditionnement. "Mais il y a encore beaucoup à faire pour fluidifier la logistique, l'approvisionnement des magasins et le stockage des produits. L'électroménager, par exemple, est plus compliqué à reconditionner et la logistique est aussi plus délicate", reconnaît Martin Aunos. Fnac Darty a également développé une offre de services de réparation sur abonnement, Darty Max, qui a permis en 2023 de réparer plus de 2,5 millions d'appareils de petit et gros électroménager, contribuant ainsi à prolonger leur durée de vie.

King Jouet fait aussi figure de précurseur en matière d'achat et revente de jouets d'occasion. En 2022, la chaîne a lancé les magasins King'Okaz. Depuis, l'enseigne a repassé ses 10 magasins King'Okaz sous l'enseigne King Jouet, mais avec un espace dédié sous signalétique "King'Okaz" à l'intérieur et cette offre a été étendue à 30 magasins au cours de l'été dernier.

L'occasion de se réinventer et de cultiver un lien différent avec la clientèle

"En permettant à nos clients, petits et grands, de comparer jouets neufs et jouets d'occasion, nous redonnons toute leur valeur à ces derniers. Prenons l'exemple d'un jeu de société. La différence est minime puisque nous avons encore la boîte, la notice et l'ensemble des pions. Le consommateur peut espérer aussi un prix plus avantageux en général inférieur de 30 % à celui de la version neuve", fait remarquer Coralie Gueydon, responsable RSE du distributeur.

Du 16 au 27 octobre, King Jouet a opéré une grande collecte nationale pour inciter les consommateurs à rapporter leurs anciens jouets en vue de leur recyclage ou réemploi, dans les 300 magasins que l'enseigne compte dans l'Hexagone. Pour chaque jouet rapporté, dans la limite de trois par foyer, les consommateurs ont reçu en contrepartie un bon d'achat de 5 euros. Les clients financent ainsi à moindres coûts leurs cadeaux de Noël tandis que King Jouet agit davantage en faveur de la planète et ajoute des cordes à son arc. "Notre métier initial consiste à vendre des produits neufs. Là, nous rachetons des jouets à nos clients et mettons en oeuvre de nouveaux process (nettoyage, test, réemballage). La plupart de ces étapes sont encore manuelles. Nous devons les optimiser pour pouvoir continuer à déployer ce concept", déclare Coralie Gueydon.

King Jouet travaille aussi sur son sourcing. Ses acheteurs sont notamment chargés de trouver des fournisseurs dont les jouets écoconçus ne sont pas encore distribués sur le marché national. En parallèle, le retailer collabore avec ses fournisseurs traditionnels pour développer une offre plus responsable. Fin 2023, King Jouet a d'ailleurs lancé son "Jouet Score" un label propriétaire permettant d'évaluer l'écoresponsabilité des jouets selon les matériaux dans lesquels ils sont fabriqués, leur packaging ou absence de packaging et leur origine.

Dans le catalogue de Noël 2024 de l'enseigne, il figure sur 300 jouets bénéficiant d'un score de 3 ou plus sur une échelle maximale de 5. "Nous travaillons aussi conjointement avec Ecomaison, l'organisme mandaté par l'État pour s'occuper de la filière de collecte et de recyclage des jouets en France. Nous pouvons ainsi savoir quels matériaux sont plus ou moins bien recyclés. C'est un point très important pour nous", conclut la responsable RSE.

Se transformer pour capter plus de valeur

La diversification de l'offre vers une prise en compte plus étroite des enjeux liés à la transition climatique amène un élargissement du rayon d'action des enseignes. L'enseigne de bricolage Leroy Merlin a décidé de devenir le retailer référent sur le sujet de la rénovation énergétique. Elle a donc accentué son positionnement sur cette thématique en déployant un simulateur de diagnostic énergétique, disponible sur son site depuis septembre. En quelques clics, les consommateurs ont ainsi la possibilité d'estimer les travaux nécessaires à l'amélioration des performances de leur domicile.

Les business models évoluent et les investissements suivent, signe d'une prise de risque stratégique assumée. Decathlon Pulse, filiale d'investissement de Decathlon, et Rebike, société spécialisée dans la remise à neuf et la vente de vélos électriques d'occasion et opérant en particulier dans la région DACH (Allemagne, Autriche et Suisse), ont annoncé fin octobre qu'ils s'associaient pour faciliter la vente de vélos électriques reconditionnés en Europe. Un produit qui a le vent en poupe. En cinq ans, ses ventes ont doublé. D'ici à 2030, près de 100 millions de vélos électriques devraient ainsi sillonner les routes. "Ensemble, nous faisons plus que saisir l'opportunité du marché de la seconde vie, nous le transformons, prouvant ainsi que durabilité et croissance économique peuvent aller de pair", avait commenté Franck Vigo, P-dg de Decathlon Pulse, à cette occasion.