En interdisant sa publicité, l'État veut ralentir la fast fashion
Adoptée à l'unanimité en première lecture par l'Assemblée nationale, la loi portée par le groupe Horizons vise à décarboner l'industrie textile en limitant l'impact de la fast fashion. Pour cela, elle prévoit notamment d'interdire aux acteurs de la fast fashion de faire de la publicité.
Je m'abonneEn mars 2024, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité et en première lecture la proposition de loi portée par le groupe Horizons, visant à ralentir l'impact de la fast fashion. Ce texte a pour objectif de renforcer les mesures déjà prises pour décarboner l'industrie textile, contenues dans la loi AGEC. En plus des bonus et malus écologique, et de l'obligation d'informer les consommateurs de l'impact environnemental des produits, l'article 3 du texte prévoit une interdiction totale de la publicité pour ces marques.
Pour Anne-Cécile Violland, députée de la 5e circonscription de la Haute-Savoie, qui porte cette loi, cette mesure est primordiale car la fast fashion, au-delà de son rythme de production, se distingue par un marketing agressif. "C'était ma ligne rouge, commente-t-elle. Les Républicains ne voulaient pas de cet ajout au texte mais nous avons tenu bon afin de protéger notre jeunesse, qui est soumise chaque jour de manière éhontée à la tentation de la surconsommation."
Puisque les stratégies marketing des grands acteurs de la fast fashion passent majoritairement par les réseaux sociaux, c'est la cible principale de cette interdiction. Ainsi, à partir de la date d'adoption complète de la loi, chaque publicité de fast fashion sera passible d'une amende. La somme de cette pénalité sera d'un minimum de 15 000 euros pour une personne physique, afin de limiter les collaborations entre les marques de "mode rapide" et les influenceurs, et de 150 000 euros pour les personnes morales. "Nous prévoyons même d'aller jusqu'au montant de la campagne promotionnelle", précise Anne-Cécile Violland. Ainsi, si Shein paye 1 million d'euros pour un spot publicitaire, le média le diffusant pourrait être contraint de reverser cette même somme à l'État.
Définir la fast fashion : une affaire de décret
Avant de pouvoir appliquer cette mesure, qui sera votée avec le texte dans son ensemble par le Sénat avant de passer en commission paritaire, il faudra définir clairement ce qu'est la fast fashion. Cette définition se fera par décret, qui prendra en compte différents critères. Les deux conditions majeures pour être considérée comme enseignes de fast fashion résideront alors dans la récurrence du renouvellement des collections qui engendre la massification de la production à faible coût, mais aussi l'agressivité marketing. Lors de la rédaction de ce décret, il y aura nombre de subtilités à prendre en compte. "Si vous prenez l'exemple de Decathlon, qui a un nombre conséquent de renouvellements de références, la distinction qui n'en fait pas, à mon sens, une enseigne de fast fashion est la durée de commercialisation de son offre, détaille Anne-Cécile Violland. La marque de sport française travaille sur un temps plus long qui va jusqu'à trois ans, alors que Shein ne laisse ses références en vente que quelques jours."
Si ce décret n'est pas encore finalisé, Anne-Cécile Violland précise qu'il devra faire la distinction entre la fast fashion et l'ultra fast fashion. "Sur ces critères, nous pouvons par exemple faire la différence entre des enseignes comme H&M et Zara, qui n'ont pas le même rythme de production que Shein ou Temu par exemple." La définition décrétée servira donc à déterminer où se place cette frontière.
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L'inquiétude de l'Alliance du commerce
Si ce décret n'est pas encore rédigé, il fait déjà débat chez certains acteurs du retail. L'Alliance du commerce, qui fédère de grands magasins, a exprimé des réserves et craint que la définition "rate sa cible" et pénalise les acteurs européens face aux géants internationaux, qui bénéficient déjà de nombre d'avantages. En effet, pour Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du commerce, si des réglementations autour de la fast fashion sont nécessaires, ce n'est pas uniquement pour des raisons de décarbonation de l'industrie du textile, mais aussi pour rendre le marché du prêt-à-porter plus équitable pour les entreprises françaises. Il donne l'exemple des tarifs douaniers européens : "Tous les colis qui nous parviennent depuis l'extérieur de l'Europe ne sont pas tenus au seuil douanier de l'UE qui est de 150 euros."
Le dirigeant de l'Alliance du commerce précise que la fédération sera très vigilante sur le seuil fixé pour ce qui est du nombre de références. "L'idée est que ce décret ne vienne pas pénaliser des acteurs implantés en France qui sont en pleine transformation de leur chaîne de valeur vers une démarche plus responsable et plus durable", commente-t-il. Il précise cependant qu'il ne voit pas l'interdiction de la publicité d'un mauvais oeil, au contraire : "Cette mesure veut sanctionner les acteurs aux pratiques de renouvellement très rapides. Si le seuil qui définit cette rapidité est bien fixé, nous n'y sommes absolument pas opposés."
Pour Anne-Cécile Violland, la question ne se pose pas, elle veut que cette loi pénalise l'ultra fast fashion mais prenne en compte les retailers qui cherchent à améliorer l'empreinte carbone de leur industrie. "Lors de l'écriture du texte, nous avons auditionné plusieurs acteurs de la fast fashion, détaille-t-elle. Les représentants d'H&M et Zara par exemple sont venus à cette audition avec l'envie de faire mieux et la compréhension de ce que nous cherchons à faire. L'entretien avec Shein était bien différent."
Le géant chinois de l'ultra fast fashion a entièrement nié ce statut. Puisqu'il revendique de ne produire qu'à la demande, à l'aide d'outils de prédictions nourris à l'IA, le retailer soutient n'engendrer aucun déchet. "Ils n'ont pas voulu entendre que les prix bas et la sur-consommation de leurs produits entraînent des quantités de déchets très importantes", se désole la députée. C'est justement pour ces subtilités que la définition par décret va jouer un rôle majeur dans l'application de cette loi.
Changer les façons de consommer
Si l'interdiction de la publicité pour la fast fashion divise, l'agence de communication The Good Company affiche son soutien à cette loi. "Dans notre combat pour une communication à impact positif sur la planète et la société, le fait que les législateurs se décident à réglementer ce secteur est un véritable plus", explique Louis-Philippe Trépanier, directeur de la stratégie de l'agence. Mais pour lui, le volet le plus intéressant de la loi est l'obligation d'informer le consommateur. En effet, si le marketing agressif des acteurs de l'ultra fast fashion porte ses fruits, il estime que c'est en partie à cause d'un manque de connaissance de l'impact du marché. "Temu ou Shein, c'est presque de la mode sur demande, commente-t-il, leur puissance algorithmique et leur supply chain extrêmement bien huilée leur permettent de produire 7 200 nouveaux modèles textiles chaque jour, c'est astronomique. Derrière cette production gigantesque qui pousse à une consommation débridée, il y a un impact. C'est très important de le rappeler aux consommateurs."
Bien que Louis-Philippe Trépanier voit cette loi d'un très bon oeil, il s'inquiète de la suite : "Ce sont des marques aux modèles très agiles, elles réussiront à rebondir notamment à l'aide de leviers digitaux." Pour lui, si la législation est une étape primordiale, il faut surtout changer le narratif de la consommation pour pousser à acheter de façon plus engagée et ainsi engendrer des changements sur le long terme.
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L'ambition du groupe Renaissance est, qu'à terme, l'argent récupéré grapce aux pénalités serve à financer une mode plus vertueuse. "Cela pourrait par exemple nous aider à réduire l'écart de prix entre nos produits français qui, de par leur qualité, ne sont pas toujours à la portée de tous et les produits de fa fashion qui ne coûtent rien mais contribuent à l'empreinte carbone alarmante de l'industrie textile. Sur le long terme, cela pourrait permettre de mieux consommer, sans trop détériorer le pouvoir d'achat des Français", conclut Anne-Cécile Violland.