Dossier[Dossier complet] Les nouveaux codes du retail
Le retail est en pleine ébullition. Les attentes des consommateurs changent. La transformation digitale s'accélère et l'économie circulaire fait du chemin.
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Sommaire
- Le live shopping, nouveau canal de ventes
- Recréer un lien entre le consommateur et la marque dans l'e-commerce
- Trouver la martingale publicitaire et commerciale
- Une pratique commerciale encore peu connue
- Le quick commerce bouscule la distribution
- Un marché porté par de nouvelles habitudes de consommation
- Une course constante au maillage du territoire
- La grande distribution à l'écoute du marché
- Un business model à pérenniser
- L'offensive des retailers sur le marché de l'occasion
- Un cercle vertueux pour créer de la fidélisation
- Ré-imaginer sa relation avec les clients
1 Le live shopping, nouveau canal de ventes
Phénomène commercial puissant en Chine, le live shopping - lancé en 2016 lors du Singles' Day d'Alibaba (fête des célibataires, le 11 novembre)-, représente déjà 10% du volume de l'e-commerce chinois. Ce marché a enregistré une croissance annuelle de 121,5% en 2020 pour atteindre 154 milliards de dollars (source KPMG). «Nous devons nous adresser aux nouvelles générations de consommateurs via des canaux de communication adaptés, souligne Diaa Elyaacoubi Bouriez, CEO de Monnier Frères, plateforme en ligne d'accessoires de luxe. Le live shopping est la fusion entre le téléachat, les réseaux sociaux, l'entertainment et enfin la téléréalité.»
En France, le développement du live shopping a bénéficié du Covid et des confinements avec la fermeture d'une partie des magasins dits "non essentiels". Les consommateurs achètent davantage en ligne depuis la crise sanitaire. Octobre 2020, le groupe Fnac Darty - pionnier sur le marché français - organise sa première session pour le lancement de la nouvelle Xbox de Microsoft, diffusée sur les sites marchands des deux enseignes et le réseau social Twitch. Le live shopping rassemble plus de 5 500 personnes. D'autres distributeurs lui emboîtent le pas : Leroy Merlin en partenariat avec la marque AEG, spécialiste dans les outils électroportatifs, Nocibé, Boulanger... Les géants de la tech s'y sont également mis: Instagram, Facebook, Pinterest, Amazon. Fin novembre, Twitter l'a expérimenté avec Walmart aux États-Unis, le numéro 1 mondial de la distribution.
2 Recréer un lien entre le consommateur et la marque dans l'e-commerce
«Le live shopping se duplique sur des typologies de produits très différents, pointe Arnaud Cartigny, vice-président en charge des activités conseil pour le secteur Retail de CGI Business Consulting. Toutes les marques sont convaincues par ce mouvement car il permet de récréer un lien entre le consommateur et l'enseigne dans l'e-commerce. Il rend vivants les conseils d'une fiche produit. La nouveauté réside dans l'interaction, la possibilité de poser des questions en direct.» 67% des Français se disent intéressés par cette nouvelle forme de commerce en ligne, selon une étude de Forrester Consulting, commanditée par AliExpress, publiée en février dernier. Les trois qualités mises en avant sont la confiance (assister en direct à une démonstration d'un produit), les prix et la possibilité de réaliser des achats instantanément. Ce mode de vente semble séduire particulièrement les jeunes femmes de moins de 25 ans. Elles sont 52% à afficher un intérêt pour celui-ci et 49% pensent y avoir recours dans les six prochains mois (étude OpinionWay pour Altavia, février 2021). L'attente des consommateurs envers le "shoppertainment" (concept mêlant shopping en ligne et divertissement) est plus forte autour de certaines catégories de produits, notamment l'électronique, la mode et les cosmétiques. «Nous concevons nos live comme des émissions de télé sur les sites des distributeurs, explique Antoine Leclercq, fondateur de Caast, solution d'animation commerciale digitale. Sur certains d'entre eux, nous avons réalisé plus de 200 000 euros de chiffre d'affaires en 60 minutes, notamment dans le secteur du high- tech.» Le live shopping permet d'être dans la réassurance avec la participation d'un ambassadeur de la marque, et souvent d'un influenceur en adéquation avec la cible. L'objectif reste de booster les ventes, en créant un sentiment d'urgence et donc une dimension émotionnelle. Le replay, en fonction des produits, est souvent un driver fort de transformation.
«Le live shopping est la fusion entre le téléachat, les réseaux sociaux, l'entertainment et la téléréalité» Diaa Elyaacoubi Bouriez, CEO de Monnier Frères
3 Trouver la martingale publicitaire et commerciale
Si les taux de conversion dans l'e-commerce demeurent faibles entre 1 et 3% en moyenne, ils oscillent entre 15 et 35% dans le live shopping (étude Gartner). «Les clients n'achètent pas qu'un article avec le live shopping, analyse Maguelone Paré, directrice concept et innovation pour Monoprix. Nous construisons un storytelling à la fois pédagogique et divertissant autour des produits. Cela crée un écrin très qualitatif avec un panier moyen supérieur. Cette nouvelle forme d'achat ne supplante ni le conseil en magasin ni l'e-commerce classique mais devient un nouvel élément de la relation client.» Le distributeur l'a expérimenté cet automne à l'occasion de deux sessions : la nouvelle collection de cachemire (iconique de la marque) et la foire aux vins. Trois autres live shopping ont été réalisés en fin d'année, dans une temporalité d'un par mois en moyenne.
De son côté, Carrefour l'a testé dès novembre 2020 de manière opportuniste, en raison de la fermeture des rayons non-essentiels en pleine période pré-Noël, sur l'activité jouet. «Nous avons tout de suite mis en place une logique très agressive en termes de live, indique Olivier Garcia, directeur e-commerce non alimentaire de l'enseigne (depuis avril). L'objectif était d'appréhender cette nouvelle façon de commercialiser des produits et de pouvoir réduire notre courbe d'apprentissage.» Une trentaine de live ont été proposés sur les différents sites et réseaux sociaux de Carrefour. «Cette multiplicité nous permet de tester plusieurs mécaniques (promotionnelle, jeu-concours, en faisant appel ou pas à des influenceurs connus...), mais surtout de pouvoir expérimenter différentes catégories de produits», souligne Olivier Garcia. Des thématiques aussi éloignées que la puériculture, le voyage mais également la foire aux vins, en passant par le gaming ou les produits techniques pour trouver la martingale à la fois publicitaire et commerciale. Certains live shopping ont pour objectif d'obtenir des ROI immédiats, d'autres sont à vocation purement marketing, publicitaire, branding... «Nous avons effectué nos meilleures performances commerciales et de trafic sur les activités gaming, une clientèle jeune et très digitale, ainsi que sur les live culinaires, note le directeur e-commerce non alimentaire de Carrefour. La foire aux vins, temps fort commercial, nous a permis de réaliser un record en chiffre d'affaires et en transformation. Plusieurs centaines de milliers d'euros ont été générées durant l'événement sur une base de 50 000 téléspectateurs.»
4 Une pratique commerciale encore peu connue
L'offre promotionnelle durant le live demeure le premier levier de transformation. Des promotions spécifiques qui s'arrêtent quelques heures après l'événement (généralement à minuit). Néanmoins, si les enseignes et e-commerçants développent ce dispositif commercial de manière plus régulière, 87% des Français déclarent n'avoir jamais entendu parler de ce mode d'achat (étude Altavia). Seulement 3% y ont eu recours et 6% pour la génération Z (jeunes de moins de 25 ans). «Lorsque nous nous sommes lancés dans le live shopping en mars dernier, nous étions prêts à en réaliser quasiment tous les jours, pointe Diaa Elyaacoubi Bouriez, CEO de Monnier Frères. Très vite, nous avons constaté que le marché français n'était pas assez mature pour cette fréquence, de même d'un point de vue technologique. En Europe, nous devons faire appel à des sociétés externes pour inclure la brique live shopping dans la plateforme e-commerce. Intégrer le paiement demeure un casse-tête, de même pour l'audio. Ces problématiques n'existent pas sur les plateformes asiatiques.»
En moins de deux ans, différents acteurs se sont mis sur ce marché : Quidol, Livewan, Caast, Spockee... pour fluidifier le parcours d'achat tout au long de l'expérience. «Nous sommes persuadés que le live shopping prendra une part importante dans notre business e-commerce des prochaines années, souligne Olivier Garcia. Aux acteurs du retail et de l'e-commerce de rendre cette nouvelle façon de commercer mature.»
Les retailers et e-commerçants lancent leur chaîne de live shopping
Monnier Frères s'est lancé en mars dernier dans le live shopping en créant sa chaîne dédiée, après une expérimentation d'un an en Chine (l'e-commerçant est dans le Top 10 des Live Shopping Team sur la plateforme Tmall d'Alibaba). «La nouvelle génération a été biberonnée à l'entertainment et se montre très exigeante, pointe la dirigeante, Diaa Elyaacoubi Bouriez. Si le storytelling n'est pas au niveau, elle zappe.» Autre secteur, avec Sephora, l'enseigne a démarré en avril sa chaîne Sephora TV regroupant 11 pays européens, avec la mise en avant de marques, fondateurs, influenceurs et associations. Près d'une dizaine de live shopping ont été réalisés. «L'idée est de partager les nouvelles tendances et d'asseoir notre positionnement en proposant des contenus exclusifs, souligne Soumia Hadjali, Chief Digital Officer Europe et Moyen-Orient. L'enjeu n'est pas tant transactionnel que de servir une expérience augmentée et unique en jouant sur le côté interactif avec nos communautés.»
Depuis la crise sanitaire, nombreuses sont les marques à expérimenter le potentiel du "shoppertainment", concept mêlant shopping en ligne et divertissement. Le live shopping offre la possibilité de recréer du lien entre consommateurs et enseignes dans l'e-commerce, en renforçant la relation client.
5 Le quick commerce bouscule la distribution
En moins d'un an, une multitude d'acteurs de la livraison express de courses, qualifiée de "quick commerce", est apparue sur le marché français. Cajoo, Gorillas, Yango Deli, Dija, Flink, Getir, GoPuff, Bam Courses... toutes ces start-up promettent de livrer en moins de 15 minutes - en scooter ou vélo électrique - les produits de grande consommation. Un service disponible de 7h à minuit (jusqu'à 2h en fin de semaine) et une livraison en moyenne à moins de 2 euros. «Ces sociétés sont en train de modifier le paysage de la grande distribution, affirme Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce. Jusqu'à présent, la valeur ajoutée de la livraison à domicile se résumait au fait que le client ne transportait pas ses courses. Il lui fallait, néanmoins, réserver un créneau, patienter durant 2-3 heures avant de recevoir sa commande. Le quick commerce supprime cette contrainte : le consommateur choisit quand il consomme.» L'année 2020, marquée par la crise sanitaire, a profondément transformé les comportements d'achat des consommateurs.
Estimé à 4,7 milliards d'euros en 2020 par Nielsen, l'e-commerce alimentaire a gagné deux points de part de marché par rapport à 2019 en se situant autour de 8%. La tendance s'est poursuivi en 2021. Le commerce en ligne des produits de grande consommation progresse encore de 13 %, renforçant sa part de marché à 9% depuis le début de l'année. Si le marché reste toujours déséquilibré en faveur du drive, la croissance de la livraison à domicile s'élevait à plus de 44% en 2020. Localement, sa part augmente dans les grandes villes, comme à Paris, où le poids de la livraison à domicile reste plus important. Ce segment représente 404 millions d'euros de chiffres d'affaires (institut Iri).
6 Un marché porté par de nouvelles habitudes de consommation
Ces changements de consommation ont ouvert une brèche à ces nouveaux acteurs. «L'idée nous est venue en période de couvre-feu, lorsque faire ses courses devenait une véritable corvée, explique Henri Capoul, cofondateur et CEO de Cajoo. En France, aucun service ne permettait de se faire livrer ses courses du quotidien à la demande, contrairement aux États-Unis et en Europe.» L'activité de Cajoo, premier acteur à se lancer sur le marché français, démarre en février, après une levée de 6 millions d'euros auprès d'investisseurs. Le modèle du quick commerce se développe à grande vitesse, avec au fil des mois l'arrivée de sociétés allemandes, turques, britanniques, russes... Les levées de fonds se succèdent et n'en sont que plus impressionnantes : 550 millions de dollars pour Getir, 240 millions pour Flink, 40 millions d'euros pour Cajoo, 950 millions de dollars pour Gorillas...
7 Une course constante au maillage du territoire
Pour tous ces acteurs, le modèle opérationnel se base sur une application mobile pour effectuer la commande, de mini-entrepôts "dark stores" - autour de 300 mètres carrés -proches des coeurs de ville, afin de préparer les produits le plus rapidement possible. «Nos magasins (dark stores) se situent dans un rayon de 1,5 à 2 kilomètres de la zone de livraison, explique Pierre Guionin, directeur général de Gorillas France. Nous nous adressons à des berceaux de population entre 70 000 et 140 000 habitants par magasin.» L'objectif est de mailler chaque grande ville (Paris, Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nice, Montpellier, etc.) avec plusieurs entrepôts, via l'ouverture d'un à deux par mois. Cajoo et Gorillas possèdent ainsi une vingtaine de dark stores dont plus de la moitié à Paris et sa petite couronne. Spécificité du marché, les livreurs sont salariés voire en CDI. L'assortiment produits se situe entre 2 000 à 2 500 références : surgelés, produits frais, fruits et légumes, épicerie, hygiène... «Les consommateurs retrouvent 95% des produits d'un Franprix traditionnel, souligne le Dg France de Gorillas. Nous élargissons notre offre au fur et à mesure des retours clients sur les articles plébiscités. Nous travaillons également avec les commerçants de proximité (boulanger, torréfacteur, etc.) pour référencer leurs produits sur notre plateforme, environ 30 % de notre assortiment.»
Les paniers moyens oscillent en moyenne entre 20 et 30 euros.
Cajoo, plus précis, indique des paniers de «25-30 euros avec une clientèle entre 20 et 40 ans».
8 La grande distribution à l'écoute du marché
Sans surprise, ce nouveau service de livraison express attise la curiosité de la grande distribution, en concurrence directe avec ses magasins de proximité. Carrefour a ainsi été le premier à s'adosser à l'un d'entre eux, Cajoo, en investissant dans sa levée de fonds de 40 millions d'euros en septembre. «Carrefour avait raté le train du drive, analyse l'expert Frank Rosenthal. Cette fois, il n'a pas voulu passer à côté de la tendance.» La start-up accède ainsi à la centrale d'achat du distributeur permettant d'optimiser son offre, élément majeur de différenciation avec la concurrence. «Auparavant, nous devions discuter en direct avec les différentes marques, ce qui est très chronophage, convient Henri Capoul, le CEO. À présent, nous sommes plus pertinents dans notre assortiment, en ayant les bons produits, des rotations plus importantes et des petites marques exclusives. Nous avons quasiment doublé nos marges et dépensons moins d'argent que nos concurrents. L'autre avantage est de pouvoir nous lancer dans de nouvelles villes (et bientôt pays) sans avoir besoin de reconstruire à chaque fois les réseaux d'approvisionnement.»
En novembre, le groupe Casino et Gorillas ont à leur tour annoncé la signature d'un accord stratégique, avec une prise de participation au capital en France et au niveau Groupe. Casino donne accès à ses produits de marque nationale et aux produits de marque Monoprix. Ils seront disponibles sur la plateforme Gorillas et livrés en livraison express, à Paris, Lille, Bordeaux, Lyon et Nice. Dans un second temps, le groupe Casino s'appuiera sur l'expertise technologique et opérationnelle du quick commerçant, qui assurera depuis ses magasins en France la préparation et la livraison de commandes en ligne, passées par les clients sur les sites de Monoprix et Franprix. «Le quick commerce est un enjeu de relation client, souligne Maguelone Paré, directrice innovation de Monoprix. Nous ne devons pas perdre nos clients. Il est donc primordial d'élargir nos points de contact et canaux de distribution. Nous étions déjà sur cette réponse de livraison rapide via nos partenariats avec Uber Eats, Deliveroo ou Amazon Prime Now.»
9 Un business model à pérenniser
Le potentiel du quick commerce reste néanmoins inconnu. «Il dépendra des indicateurs de satisfaction et de fidélité», pointe Frank Rosenthal. Le marché paraît encore très petit. «Nous estimons le quick commerce, incluant Frichti, à 122 millions d'euros sur les 12 derniers mois», précise Emily Mayer, directrice Business Insights au sein de l'institut Iri. Côté consommateurs, seul Cajoo indique près de 250 000 utilisateurs actifs. «Le commerce de proximité représente environ 30 milliards d'euros mais il est très peu digitalisé, avance Pierre Guionin de Gorillas. Avec un taux de pénétration du digital de 8 % dans le commerce alimentaire, nous pouvons atteindre une part de marché entre 2 et 3 milliards d'euros.»
Pour absorber les coûts de livraison, les volumes doivent être importants. «Ce modèle économique doit faire ses preuves, tranche Linda Gmati, experte retail chez Sia Partners. L'offre reste très limitée. La concurrence est également très importante, nous allons forcément assister à une consolidation du marché. En promettant une livraison en 10-20 minutes, concrètement ces acteurs traitent commande par commande. Il n'est donc pas possible d'optimiser la supply chain pour proposer des prix compétitifs. Ils seront obligés de s'adosser à un grand retailer.»
Dans les prochains mois, la promesse de rapidité, l'expérience client, la largeur de la gamme et la qualité seront déterminantes.
«Aujourd'hui, aucune entreprise n'est rentable car ce modèle intégré demande des investissements considérables en amont (entrepôts, charges du personnel...), pointe Henri Capoul. Néanmoins, il permet avec une bonne exécution d'atteindre une rentabilité meilleure que celle des plateformes de food. Nous pensons l'atteindre dans 3-4 ans.»
Le modèle du quick commerce se développe à grande vitesse, avec au fil des mois l'arrivée de sociétés allemandes, turques, britanniques, russes sur le marché français. Les levées de fonds se succèdent.
10 L'offensive des retailers sur le marché de l'occasion
Plus de 7,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires générés en 2020, dont la moitié par l'e-commerce (source Xerfi Precepta). En une dizaine d'années, le marché de la seconde main s'est fortement accéléré en France. Poussés par les consommateurs pour des motivations économiques, environnementales et sociétales, de nombreux retailers et e-commerçants se sont mis à l'occasion. Cette accélération prend deux formes, l'achat de seconde main et la vente de ses propres produits avec parfois les deux simultanément. Le secteur reste porté majoritairement par le digital avec l'émergence des plateformes comme Vinted (la France est devenue son premier marché avec 16 millions d'utilisateurs), Vestiaire Collective, Rakuten, Videdressing ou Leboncoin, et de nouveaux modes d'achat. D'après une récente étude Xerfi de 2021, la structure des ventes par profil d'acteurs montre que les sites de petites annonces généralistes, Leboncoin en tête, continuent de s'imposer comme les leaders du marché de la seconde main avec environ 28% des ventes en valeur en 2020. Viennent ensuite les plateformes en ligne spécialisées (Vinted, Back Market, Vestiaire Collective...) qui captent autour de 22% des ventes.
Source Foxintelligence
«Le marché de l'occasion s'est développé et "industrialisé" à travers des intermédiaires, les plateformes en ligne, pointe Linda Gmati, experte retail chez Sia Partners. Les retailers et e-commerçants l'ont d'abord subi avant de reprendre le sujet pour plusieurs raisons. Les enseignes peuvent se mettre à l'économie circulaire – et renforcer leur image RSE – via la récupération de leurs produits pour refaire du business, tout en captant les clients grâce aux bons d'achat.» Une stratégie défensive à l'origine pour ne pas laisser échapper une partie de ce marché.
11 Un cercle vertueux pour créer de la fidélisation
Côté retailers et e-commerçants, les expérimentations se sont multipliées en deux ans : Kiabi, La Redoute, Zalando, Cdiscount, Decathlon, Petit Bateau, Gémo, Cyrillus et bien d'autres ont lancé leurs sites ou espaces dédiés. Les ventes de vêtements d'occasion explosent dans l'Hexagone. Elles ont augmenté de 140% en deux ans (Observatoire Natixis Payments). Ce marché représente déjà 1,16 milliard d'euros de chiffre d'affaires (Kantar). Le prix reste un critère déterminant.
«Les enseignes de prêt-à-porter, dont le marché a perdu 30% de sa valeur en dix ans, y voient notamment un potentiel relais de croissance», explique Benoît Samarcq, spécialiste retail et e-commerce de Xerfi. Ikea propose, lui, depuis juin, la réservation des meubles d'occasion disponibles chez eux sur le site marchand. Le leader mondial de l'ameublement et de la décoration testera en 2022 un magasin dédié à la seconde vie des meubles à Paris. «Les leaders de l'électrodomestique (Darty, Boulanger...) misent exclusivement sur la vente en ligne d'électroménager et d'électronique grand public reconditionnés», note Benoît Samarcq de Xerfi. Autres initiatives dans le secteur du bricolage, Leroy Merlin propose – de puis le mois d'octobre – aux clients de revendre leurs produits sur le site ou l'application en échange de bons d'achat. Le service est centré sur les perceuses, visseuses et perforateurs – des best-sellers de la marque – avant d'élargir à d'autres gammes d'outillage. Après avoir été reconditionnés, ces derniers sont disponibles à l'achat sur la marketplace de Leroy Merlin. Cette année, Castorama ouvrira sa boutique en ligne de seconde main.
La grande distribution, Leclerc en tant que pionnier mais aussi Carrefour, Auchan, le groupe Casino, Cora ou Système U, s'est également mise à l'occasion (articles électroniques, jeux vidéo, livres, petit électroménager notamment) via des partenariats avec des enseignes spécialisées sur ce créneau (Cash Converters, Patatam, Happy Cash). «Ils ont majoritairement choisi d'aborder ce marché en déployant à l'entrée de leurs points de vente des shop-in-shop ou des corners dédiés à l'achat-revente, précise Benoît Samarcq. En confiant la gestion de leurs concepts dédiés à l'occasion, les grandes surfaces alimentaires limitent leurs investissements et donc leur prise de risque. Si le marché de l'occasion offre de belles perspectives de croissance, il est encore loin d'être consolidé et tous les nouveaux entrants ne parviendront pas forcément à se faire une place.»
L'enjeu pour les grandes surfaces alimentaires est avant tout de renforcer leur image prix et de fidéliser leur clientèle.
Les supermarchés ou hypermarchés procèdent à une expertise du produit – proposé à la revente – afin de déterminer son prix en fonction de son état. Certains distributeurs offrent des bons d'achat à valoir en magasin, d'autres donnent du cash. Les enseignes du secteur du jouet, PicWicToys, King Jouet, ou JouéClub, confrontées pourtant à des normes de sécurité élevées, expérimentent également ce marché. Les grands magasins, les Galeries Lafayette et le Printemps, valorisent également la mode circulaire avec des espaces dédiés et mis en scène comme pour les articles neufs.
12 Ré-imaginer sa relation avec les clients
La seconde main devient un phénomène de masse aujourd'hui et inclut la quasi-totalité des secteurs. «Le marché de l'occasion intéresse un nombre grandissant d'enseignes, pointe Antoine Jouteau, CEO de Leboncoin. C'est un nouveau métier pour la plupart. Les marques doivent maintenant intégrer le fait que leurs produits ne sont plus obsolètes. Les revendeurs sont leurs propres clients.» Un changement qui induit de ré-imaginer sa relation avec les consommateurs et la trajectoire des produits en les réinjectant dans les circuits de distribution. «Les business models et la structure de coûts de la vente de produits d'occasion sont bien différents du commerce de détail de produits neufs, souligne Benoît Samarcq. L'offre de produits d'occasion expose notamment au risque d'écorner son image de marque – en raison d'une offre jugée moins qualitative –, de cannibaliser une partie de ses ventes de produits neufs ou encore d'accentuer les pressions tarifaires en modifiant durablement les prix des références des clients.» La collecte, la remise en état et le tri de produits nécessitent un savoir-faire spécifique.
La rentabilité demeure compliquée.
«Le développement de partenariats avec les spécialistes de l'occasion s'impose comme l'une des stratégies privilégiées par les enseignes», poursuit le spécialiste retail de Xerfi. Le rythme de croissance du marché sera porté d'ici 2023 par une forte demande et le développement de l'offre en ligne et en magasins, notamment dans les rayons des acteurs du neuf. Les secteurs du meuble et des articles de décoration (27% des ventes) ou des livres (12%) demeurent les principaux produits de seconde main vendus dans l'Hexagone. Dans les prochaines années, les ventes d'articles de mode (16% de part de marché) et de luxe (11%) devraient tirer ce marché en plein essor !
La crise sanitaire renforce l'intérêt des enseignes et des consommateurs pour la seconde main. Aujourd'hui, phénomène de masse, la plupart des distributeurs, sur tous les segments, proposent une offre de produits d'occasion en magasin et sur le Web.
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