Thomas Métivier, Cdiscount : "Pour les marques, les marketplaces sont des territoires de développement et d'expérimentation"
À la tête d'une marketplace qui fait de lui le deuxième acteur de la vente en ligne en France, Cdiscount a opéré un virage radical pour diversifier ses sources de revenus et les pérenniser. Ainsi, l'e-commerçant mise désormais sur le retail media, l'investissement tech et la relation avec ses vendeurs. Rencontre avec Thomas Métivier, PDG de l'entreprise et artisan de ce profond changement de cap.
Je m'abonneQuelle place occupe la marketplace dans votre stratégie de croissance ?
La marketplace est au coeur de notre modèle et de notre pivot stratégique ces dernières années. Grâce à elle, nous bénéficions du coût de l'investissement, de la dynamique et des prises de risques consenties par nos vendeurs. Nous vendons 3 millions de références différentes chaque année, ce qui répond aux attentes de diversité et de choix de nos clients et ça, c'est quelque chose que nous sommes capables de faire grâce à la marketplace. Cette place de marché nous offre aussi la possibilité de saisir les tendances. Par exemple, on voit fleurir un peu partout les appareils de cuisson de type airfryer ces derniers temps. Nous, cela fait des mois voire des années que des vendeurs sur notre site ont fait démarrer cette tendance. En parallèle, nous travaillons davantage à construire des relations commerciales, notamment au travers des opérations promotionnelles, avec des vendeurs de choix comme avec des marques telles que Lego ou Apple.
Quel intérêt ont les marques à vendre chez vous au lieu de ou en parallèle d'un site e-commerce qui pourrait leur appartenir en propre ?
Nous avons la chance d'être le deuxième acteur de l'e-commerce dans l'Hexagone, avec près d'un Français sur trois qui visite notre site chaque mois. Nous avons donc construit une relation très forte avec nos clients qui savent qu'ils vont trouver chez nous les meilleurs prix pour une offre de qualité ainsi que de plus en plus de produits responsables. Cette offre comprend des produits made in France, des produits reconditionnés, moins énergivores ou encore plus réparables. Il y a encore trois ou quatre ans, cette offre représentait 10 % de notre activité. Aujourd'hui elle atteint 25 % de nos ventes.
Les marques ont un intérêt à être présentes là où sont les clients. Le partenariat que nous nouons avec elles est très complémentaire de leurs propres canaux de distribution. Nous cherchons avec elles à identifier quels types de produits elles veulent mettre en avant, quelles offres correspondent le mieux aux attentes de nos clients et comment nous pouvons ensemble les recruter. Par exemple, grâce à des offres commerciales opérées chez nous, les marques premium d'un groupe tel que Seb vont attirer des clients qui n'auraient pas pu acheter ces produits-là à leurs prix non démarqués.
C'est aussi quelque chose que vous valorisez au travers de votre offre de retail media ?
Oui, non seulement les marques ont un intérêt à vendre chez nous, mais elles peuvent investir un budget marketing afin de davantage mettre en avant leurs produits et leurs nouveautés sur notre plateforme. Cela leur permet de nourrir leur notoriété en étant plus visibles sur Cdiscount et d'acquérir de nouveaux clients.
Le coeur du retail media chez nous, c'est la plateforme CARS que nous avons développée en interne. Celle-ci offre la possibilité à plus de 5 000 de nos fournisseurs et vendeurs de proposer des produits sponsorisés sur notre marketplace. C'est au coeur de notre modèle car nous exploitons notre savoir-faire tech et IA pour affiner la pertinence du type de produit mis en avant et assurer de la performance à nos marques. Les vendeurs y voient vraiment un intérêt fort et, de notre côté, les revenus ont explosé. Au lancement de cette offre d'advertising en 2020, nous générions près de deux euros pour 1 000 pages vues en revenus publicitaires. Aujourd'hui nous avoisinons les 30 euros.
Le retail media et la marketplace ont donc une place importante dans votre plan de transformation ?
Ce sont même des éléments majeurs ! Ce plan s'appuie sur le développement de nos services. Ainsi, nous mettons à disposition notre savoir-faire e-commerce à travers un accompagnement logistique. Aujourd'hui, 3 000 vendeurs nous confient une partie de leur supply chain e-commerce. Toute cette activité servicielle nous permet d'être bien plus rentables. C'est pourquoi nous avons pivoté d'un modèle majoritairement axé sur la vente en direct à une stratégie basée sur la marketplace et les services.
Les premiers résultats de ce plan de transformation sont-ils satisfaisants ?
Très ! Nous sommes vraiment sur la trajectoire que nous avions écrite. Nous observons à la fois une nette amélioration de notre rentabilité opérationnelle ainsi que de notre capacité à générer du cash. De plus, tout cela relance la dynamique commerciale, notamment sur la marketplace, et cela se confirme dans nos résultats financiers du troisième trimestre 2024.
En parallèle, nous poursuivons nos investissements dans la tech et l'intelligence artificielle, car il est impossible de développer une marketplace puissante sans un socle technologique fort. Rappelons que Cdiscount, c'est plus de 25 millions de produits, 1 milliard de requêtes chaque année, plus de 10 millions de visiteurs pour le seul jour du Black Friday. L'IA est un must pour notre business.
Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de relance et de reconquête commerciale, notamment à travers notre nouvelle identité de marque qui vient rajeunir et renforcer notre promesse sur le prix. Depuis ce pivot en juin dernier, nous observons que ça résonne avec les attentes des consommateurs.
Pourquoi ce plan de transformation était-il indispensable ?
En soi, notre marketplace n'a pas cessé de croître, mais nous sommes arrivés à un tournant dans la vie de notre entreprise. Nous avons connu une période de forte croissance qui nous a notamment permis d'avoir cette place de marché forte et attractive pour nos vendeurs. Pour conserver cette attraction, il faut avoir la capacité d'investir. Donc la première bataille à mener est celle de la croissance. Le coeur de notre rentabilité ne s'est pas arrêté ces dernières années, mais nous avons fait le choix assumé de recentrer notre activité sur les axes les plus différenciants et impactants, à savoir notre relation avec nos vendeurs et les services que nous leur proposons. Ce sont ces vecteurs qui assurent notre rentabilité. Nous avons pu réaliser cette bascule justement parce que notre marketplace était puissante.
Au cours de nos 25 ans d'activité, nous avons observé un certain nombre de nos concurrents qui cherchaient à prendre trop rapidement ce virage d'une rentabilité durable, mais se sont finalement effondrés. Nous avons attendu d'avoir un modèle assez fort pour le faire. Cela porte ses fruits aujourd'hui.
Comment avez-vous orienté vos investissements technologiques ?
Nos investissements technologiques sont centrés sur plusieurs grandes priorités. La première, et c'est le nerf de la guerre, repose sur la fluidité de l'expérience et du parcours client. Nous cherchons notamment à accompagner les consommateurs dans toutes leurs recherches. Nous gérons des volumes très importants avec plusieurs millions de visites par jour et des dizaines de millions de produits actifs. Il nous faut donc être équipés d'un moteur de recherche performant qui répond en quelques millisecondes, ce qui serait impossible sans une plateforme tech importante. Pour nous améliorer en permanence, nous mettons à jour notre plateforme toutes les quatre minutes.
Au-delà du moteur de recherche, nous cherchons à fournir des options pertinentes en matière de livraison et modes de paiement à nos clients. Pour le règlement, nous avons déployé Apple Pay ainsi que le paiement en quatre fois, très plébiscité par nos consommateurs.
Le deuxième pilier autour duquel s'articulent nos investissements tech est la fluidité de l'expérience pour nos vendeurs. Là, nous avons à la fois des enjeux de connexion et de performance. Lorsqu'un vendeur veut créer 100 000, 200 000, 300 000 produits, vous ne pouvez pas le faire à la main et lui demander d'attendre 15 jours pour vendre. C'est pourquoi nous développons l'usage de l'intelligence artificielle (IA) générative qui permet de mettre en ligne des produits en quelques secondes.
Ensuite nous devons assurer la qualité de ces fiches produits car, dans ce que les vendeurs nous envoient, il y a du bon et du moins bon. Ainsi, nous devons réfléchir à comment est-ce qu'on filtre ? Comment est-ce qu'on améliore ? Comment est-ce qu'on classe les produits ? Nous avons donc beaucoup investi dans l'IA pour nous améliorer et, aujourd'hui, nous avons recatégorisé des dizaines de millions de produits grâce à GPT.
Ces innovations sont-elles bien reçues par vos équipes ?
Oui, le troisième volet tech porte sur la façon dont celle-ci irrigue l'ensemble de l'organisation. Comme nous sommes une entreprise portée par la data, l'IA générative sert d'appui aux équipes d'un grand nombre de services, donc c'est un élément important. Nos équipes et nos développeurs veulent avoir des environnements de développement qui fonctionnent bien afin de travailler dans de bonnes conditions. Depuis un an et demi, nous avons déployé le GitHub copilot pour les accompagner dans le développement. Nous avons notamment mis en place des systèmes d'indexation automatique de bases de données qui facilitent l'accès à toute l'information nécessaire pour nos dizaines de data analysts.
Les marketplaces représentent-elles l'avenir de l'e-commerce ?
Je suis convaincu que la marketplace est un modèle "parfait" et, pour moi, c'est l'horizon vers lequel l'e-commerce se dirige. Déjà, parce que les places de marché répondent aux attentes de choix des consommateurs, mais aussi à celles des prix. Les tarifs intéressants sont possibles ici grâce à la mise en concurrence permanente des vendeurs.
Pour les vendeurs, les marketplaces sont des territoires de développement et d'expérimentation importants. De plus en plus de fabricants se lancent dans ce modèle performant et flexible pour profiter du retour d'expérience rapide qu'il leur offre. Cette possibilité de mettre en vente un produit et de voir des résultats en quelques jours ouvre la voie pour tester des choses et innover avec moins de risques que sur un site propre ou en magasin.
2016 Thomas Métivier intègre les équipes de Cdiscount en qualité de directeur de mission. Un an plus tard, il est promu directeur de la stratégie.
2021 Il prend le poste de directeur général d'Octopia, la filiale d'activité BtoB de Cdiscount. Il restera à sa tête pendant deux ans.
2023 Thomas Métivier devient membre du comité exécutif du groupe Casino, maison mère de Cdiscount.
2024 Au poste de directeur général de Cdiscount depuis janvier 2023, il devient P-dg de l'enseigne d'e-commerce en mars de cette année.