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Bertrand Swiderski, Carrefour : "Nous devons proposer dès aujourd'hui ce que les clients demanderont demain"

Depuis 13 ans, Bertrand Swiderski met en musique la stratégie RSE de Carrefour. En développant nombre de projets liés à la consommation responsable, il prône une compétition positive entre les enseignes, poussant les distributeurs à se montrer proactifs en matière d'initiatives durables.

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Bertrand Swiderski, Carrefour : 'Nous devons proposer dès aujourd'hui ce que les clients demanderont demain'
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Quel est votre périmètre en tant que chief sustainability officer chez Carrefour ?

Au tout début, nous cherchions surtout à exister dans des postes très "corporate", basés sur la communication. Au fur et à mesure, les consommateurs se sont emparés des sujets RSE et la complexité de la conjoncture réglementaire ainsi que les normes applicables comme la consolidation extra-financière ont rendu ce métier indispensable.

L'essor de la durabilité nous a permis d'enclencher ce que nous qualifions de "compétition positive". Nous sommes un secteur où la concurrence fait rage, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Les autres enseignes se nourrissent de nos initiatives telles le partenariat avec Too Good To Go, l'oeuf plein air, ou encore la marque "C'est qui le patron ?". Cela permet de tirer vers le haut la norme RSE mise en oeuvre par les acteurs de la distribution. Et ça marche dans les deux sens. Nous regardons tout ce qui se passe dans le secteur afin de nous emparer des bonnes idées. Par exemple, c'est de l'Argentine que nous nous sommes inspirés pour le déploiement des heures silencieuses, à destination des personnes atteintes d'autisme.

Comment l'enseigne Carrefour compose-t-elle avec les différentes pratiques des consommateurs d'un marché à l'autre, afin de proposer une consommation plus responsable à toute sa clientèle internationale ?

Nous avons deux possibilités : laisser le libre arbitre à chaque pays afin que les responsables entreprennent ce qu'ils estiment le mieux pour leur marché ou bien mettre en avant un modèle de consommation avant-gardiste et le dupliquer. Par exemple, le sujet de la suppression du plastique est primordial pour le marché français. Nous utilisons donc nos connaissances acquises au niveau national pour porter ce sujet en Espagne, au Brésil et en Argentine, afin que ces pays suivent le mouvement. De même, les distributeurs espagnols sont en avance sur les sujets de protéines végétales par rapport au reste de nos marchés. Ainsi, nous avons réussi à identifier les tendances de consommation propres à chaque pays et à nous fixer des objectifs en accord avec celles-ci. En somme, nous travaillons tous sur les mêmes sujets mais avec des niveaux d'avancement différents.

Je pense que dans notre métier, être à l'écoute de la consommation ne suffit plus. Pour proposer un commerce plus responsable, c'est le client de demain que nous devons comprendre. Celui-ci ne sait pas encore qu'il va consommer en vrac, plus de protéines végétales, moins d'oranges, etc. D'ailleurs, cette anticipation des besoins est au coeur de notre programme Act For Food.


SON PARCOURS

1998
Bertrand Swiderski entame sa carrière au poste de consultant en développement durable pour la société Convis. Il y est responsable des achats et des projets de sourcing avec Carrefour, Sodexo, Metro C&C, Carrefour Global Sourcing Asia et des entreprises de taille moyenne en France.

2012
Bertrand Swiderski fait ses premiers pas chez Carrefour au poste de chief sustainability officer.

2020
Il entre dans les rangs de la Forest Positive Coalition, organisation qui réunit les détaillants et les fabricants de biens de consommation à l'échelle mondiale.

2023
Plus de 10 ans après son arrivée chez Carrefour, il est nommé président de Perifem, fédération technique du commerce.

"Notre stratégie RSE s'articule autour de cinq grands enjeux sur lesquels nous travaillons afin de réduire notre impact : le climat, la biodiversité, l'inclusion, la santé et la gestion des risques."


Vous avez déployé le deuxième volet d'Act for Food en octobre 2024. Comment l'avez-vous mené à bien ?

Pour commencer, nous avons tiré le bilan de la première édition. Nous étions très satisfaits du résultat mais il y avait encore des points à améliorer. Par exemple, Carrefour s'engageait sur la traçabilité des produits comme les oeufs avant même la ponte, ce qui n'avait finalement que très peu d'intérêt pour nos clients. Cette initiative fait donc partie de celles que nous avons tentées pour ne finalement pas la reproduire lors du deuxième acte.

Cette fois, nous avons renforcé la notion du coût dans nos initiatives, en mettant en avant la dynamique du goût et du prix.

Comment concilier prix et RSE, deux sujets majeurs pour les consommateurs ?

Personnellement, je ne crois pas qu'un produit durable doive être nécessairement plus cher. Lorsqu'un distributeur propose un article bio, la valeur ajoutée du travail de la terre motive un coût plus élevé. En revanche, rien ne justifie de gonfler les tarifs d'un produit auquel nous retirerons l'emballage plastique. De même, remplacer le lait par un autre ingrédient pour faire une pâte à tartiner vegan ne devrait pas impliquer une augmentation de son coût. Je pense que nous réussirons à opérer une transition vers un modèle où le prix d'un produit durable retranscrit sa valeur de façon juste. Parfois c'est plus cher, parfois c'est moins cher.

Pour cela, vous travaillez en collaboration avec les producteurs ?

Oui. Lorsqu'on arrive à créer de la valeur avec un produit, nous pouvons le vendre à un prix plus élevé. C'est tout ce que nous entreprenons avec la filière Qualité Carrefour, qui regroupe les articles pour lesquels une caractéristique donne une certaine plus-value au consommateur. Nous avons plus de 16 000 producteurs partenaires au sein du groupe, avec lesquels nous tentons de construire cette valeur ajoutée pour les consommateurs. Par exemple, nous travaillons sur des steaks de boeufs labellisés "Bleu-Blanc-Coeur". Cette certification est assez complexe à obtenir. Elle implique notamment de ne pas nourrir les bêtes au soja, donc de disposer d'une grande quantité de pâturages. Avec ce label apposé sur les produits, nous pouvons les vendre à des prix plus importants. Pour ce travail, ce n'est pas l'industriel mais le producteur qui est plus rémunéré.

Quelles sont les priorités de Carrefour en matière de RSE en France ?

Notre stratégie RSE s'articule autour de cinq grands enjeux sur lesquels nous travaillons afin de réduire notre impact : le climat, la biodiversité, l'inclusion, la santé et la gestion des risques. Du côté des clients, les sujets prioritaires sont la santé, la production locale voire ultra-locale, la lutte contre le gaspillage, et le "sans" (sans pesticide, sans nitrite, sans traitement, etc.).

En plus de répondre à ces attentes, il existe des sujets pour lesquels les clients n'ont pas de demandes spécifiques et sur lesquels nous travaillons aussi. Par exemple, nous avons un objectif de 650 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les alternatives végétales à la consommation de matières animales, d'ici à 2026. Nous devons donc apprendre aux clients que les légumineuses peuvent remplacer la viande ou les oeufs en matière d'apport en protéines. De même, nous devons communiquer sur l'existence de consignes dans 350 de nos magasins, afin d'encourager les consommateurs à revenir avec leurs emballages vides. Ou encore, il nous faut procéder à un travail pédagogique pour pousser les clients à se munir de leurs propres sacs pour les fruits et légumes.

Quels projets ont pour objectif de répondre aux enjeux d'inclusion dont vous avez fait un des axes de travail prioritaires de Carrefour ?

C'est déjà un travail interne. Nous avons mené un certain nombre d'actions pour rendre nos équipes plus inclusives et diverses, notamment à travers un travail sur l'accessibilité. De même, nous offrons désormais 12 jours de congés payés supplémentaires aux collaboratrices atteintes d'endométriose.

Mais ce que nous voulions, c'est améliorer l'inclusivité pour nos clients. Globalement, l'idée est de transformer une action sociale en un phénomène de société. Nous avons commencé par rendre nos points de vente accessibles aux personnes autistes en déployant "les heures silencieuses". Pour les plus petits atteints de cette maladie, nous mettons à disposition des casques antibruit et des jeux, afin de faciliter le shopping pour les parents qui hésitent souvent à venir en supermarché, par crainte d'une crise de leur enfant. De plus, pour accueillir correctement les personnes sourdes et malentendantes, nous enseignons les bases de la langue des signes à nos équipes.

En somme, tout se résume à une question simple : comment mon magasin dit-il "bienvenue" à tous les clients, qu'ils soient sourds, autistes, petits, âgés, etc.

Les réglementations en matière de RSE sont-elles en adéquation avec l'agenda de déploiement de vos projets ?

Je pense qu'actuellement les réglementations françaises et européennes suivent la consommation en temps réel. Par exemple, nous avons commencé à supprimer les emballages plastiques des fruits et légumes, puis une législation est venue les interdire. De même pour ce qui est de la lutte contre la déforestation, nous avons mené un certain nombre de projets pendant dix ans et, aujourd'hui, une norme européenne vient imposer à toutes les enseignes d'en faire de même. Sur ces sujets, les lois suivent la consommation et c'est plutôt positif.

En revanche, pour ce qui concerne les questions d'urbanisme, les réglementations sont un peu déconnectées de la réalité.

Quel est votre rôle en tant que président de Perifem, la fédération technique du commerce ?

Mon rôle est de donner une certaine dynamique au secteur. Comme toutes les fédérations, nous avons pour objectif de partager l'information mais aussi de faire du lobbying. L'idée est donc de nous positionner comme un seul et même interlocuteur pour tous les sujets en lien avec la distribution. En tant que président, je dois amener de l'innovation, savoir être en amont des décisions juridiques et des tendances sociétales.

Avec Perifem, nous ne travaillons que sur des sujets qui n'ont pas trait aux aspects concurrentiels du marché. Notamment les questions RSE dont les clients n'ont pas conscience à leur niveau, comme celles liées au traitement des déchets, à l'énergie, la sécurité des points de vente...

Actuellement, les questionnements majeurs des distributeurs concernent la réduction de l'empreinte carbone de leurs fournisseurs et les emballages BtoB qui transportent les produits des entrepôts à nos magasins. Par exemple, nous réfléchissons à la suppression des caisses en polystyrène des poissons et ainsi que celle des cagettes en bois. Les consommateurs ne perçoivent pas nécessairement ces deux sujets, mais ces derniers ont néanmoins un impact important.

"Nous avons renforcé la présence de la notion du coût dans nos initiatives, en mettant en avant la dynamique du goût et du prix."

Selon vous, à quoi ressemblera le futur de la grande distribution ?

Les comportements clients changent. En tant que distributeurs, nous devons conserver ce quart d'heure d'avance et déjà proposer les solutions que les clients demanderont à l'avenir. Par exemple, je pense que les consommateurs entreront bientôt dans leur supermarché, leurs propres emballages à la main. Ensuite, l'intelligence artificielle va prendre énormément de place dans la stratégie structurelle des entreprises. Nous observons déjà cette tendance dans l'e-commerce et elle devrait encore progresser. Cela signifie que nous serons équipés d'outils assez puissants pour transformer la consommation. Enfin, la place du magasin physique va changer. Il restera, à mon sens, un lieu d'échange où se matérialisent les envies. Mais les points de vente proposeront plus de protéines végétales, d'alternatives bas carbone et de nouvelles manières de cuisiner. En suivant cette tendance, le magasin physique a de beaux jours devant lui.


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