«De nouveaux business models sont à inventer autour des services »
Alors que la transformation digitale reste la priorité des organisations, l'agilité s'impose pour faire face au contexte économique et à l'évolution des comportements des consommateurs. Les retailers, figures de proue du commerce connecté, doivent également accélérer sur l'innovation pour rester attractifs. Le point sur les avancées du secteur avec Valérie Piotte , Dg Altavia Cosmic et Sarah Gaïsset, directrice d'investissement au sein d'Altavia Adventures.
Je m'abonneQuelle est l'activité d'Altavia Cosmic ?
Valérie Piotte : C'est une filiale du groupe Altavia, un groupe de communication indépendant et familial qui fête ses 40 ans cette année, présent dans 45 pays autour de deux piliers : le creative commerce et l'execution marketing. Altavia Cosmic, agence de communication 360° dédiée au commerce regroupant 30 personnes, est une des 70 entités du groupe, organisé en fédération de business units.
Ainsi, des équipes projets sont constituées en fonction des besoins des clients alliant les compétences de chaque BU. L'agence a réalisé une belle performance en 2022, année de reconsolidation post-Covid. Notre approche est à la fois ROIste pour nos clients, issus de l'industrie et du retail, mais également innovante. Par exemple, nous avons testé, avec succès, le Live Shopping BtoB pour Atlantic...
Comment analysez-vous le contexte actuel ?
VP : Dans ce contexte de transformation, il convient d'être proactif, d'apporter de nouvelles idées sans attendre les briefs et d'accompagner les clients, perturbés par la situation instable. Nous vivons une période de remise à plat de certaines approches métiers. On voit des annonceurs avoir directement recours à des freelances opérant sur des plateformes ou faire appel à des créatifs en direct et donc l'agence doit réaffirmer sa valeur ajoutée pour rester pérenne.
Plus globalement, comme toute entreprise, nous devons réinventer nos modèles économiques et transformer nos modes de fonctionnement face à l'évolution du comportement des consommateurs et les attentes des annonceurs. Cela nécessite d'avoir toujours un coup d'avance. Même les agences historiques se sont transformées... Publicis a développé une approche technologique, Havas a privilégié la création publicitaire...
Quelles sont les attentes des annonceurs ?
VP : Tout va très vite, notamment les évolutions technologiques. Or, la digitalisation d'une entreprise prend du temps car cela rebat les cartes des organisations existantes. Et notamment, concernant les retailers qui doivent investir massivement dans le back-office.
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La période du Covid a provoqué une forte prise de conscience de la part des entreprises de la nécessaire digitalisation de leurs organisations, mais le déploiement des stratégies validées prend du temps
. Elles ont besoin d'être accompagnées pour avoir une vision globale du marché et faire le bon choix de prestataires technologiques.
Quelles sont vos impressions de retour du Retail's Big Show à New York ?
Sarah Gaïsset : Je suis membre du jury de la French Tech pour la NRF, représentée cette année par plus de 40 start-up françaises. Ma mission au sein d'Altavia Adventures est de développer une start-up community, un écosystème de solutions technologiques mises à disposition de nos clients.
En tant que "tête éclaireuse" du groupe, je suis donc très ouverte aux innovations retail. Je constate que la French Retail Tech se porte très bien dans l'écosystème mondial et affirme sa différence sur les problématiques d'écoresponsabilité et de durabilité comparée aux États-Unis qui en parlent beaucoup mais qui agissent peu. Nos solutions ont clairement un temps d'avance. En revanche, sur le social (diversité, inclusion) des stratégies RSE, les Américains sont très engagés.
Quelles innovations avez-vous repérées ?
SG : On a beaucoup parlé de "retail apocalypse" pensant que l'e-commerce allait prendre le lead. Or, à la NRF, nous avons observé un rééquilibrage des forces avec 6 % de croissance des ventes retail (vs 2021) et une stagnation de l'activité e-commerce.
Il n'y a plus cette opposition entre point de vente physique et digital puisque les boutiques sont devenues des relais très puissants de l'e-commerce.
Autre phénomène, la technologie s'invisibilise et tout se passe en back-office au service de la performance et de la fluidité du parcours client. En front line, les vendeurs sont équipés, formés et des outils de monitoring liés à leur bien-être permettent de limiter le turn-over dans les magasins. L'autonomisation du commerce se développe, dans le but de faciliter la vie, avec par exemple Nuro, voiture qui livre les clients chez eux ou Zabka, un distributeur polonais qui développe un magasin autonome ouvert 24h/24 et 7J/7 mobilisable dans les lieux de vie (campus, hôpitaux, salles de sport...).
Quel a été l'effet Covid ?
SG : Le retail physique fait face aux 3 C : Covid, Crise et Conflits. New York a vécu sous cloche pendant trois ans. Malgré tout, on assiste à un retour, à une certaine effervescence, même si environ 800 magasins auraient dû fermer depuis deux ans, selon les organisateurs du salon.
Le coeur d'activité de la ville s'est déplacé de Manhattan vers Brooklyn, lieu d'éclosion des nouveaux concept stores. À l'instar des magasins de Glossier, marque de cosmétique, ou de Nike et ses lieux expérientiels nouvellement installés.
Autre phénomène, le nombre de magasins de yoga et d'articles pour animaux a explosé dans les rues. Tout l'enjeu étant de proposer une expérience client mémorable et de créer de nouveaux business models autour des services. Le commerce autonome se développe énormément.
La position de la French Tech évolue-t-elle dans cet écosystème mondial ?
SG : Concernant le retail, la France a clairement un temps d'avance. Et puis, la French Tech est fortement soutenue et accompagnée par l'État français et les régions. Ce qui offre des conditions pour faire émerger des licornes.
En termes d'innovation, le Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas est également une belle vitrine...
VP : On passe en effet dans une autre dimension. Avec 3200 exposants, dans trois lieux différents, c'est un show gigantesque.
Et cocorico, avec plus de 200 start-up, la France est la première délégation étrangère.
J'ai retenu différents insights parmi lesquels la transformation des modèles économiques des gros industriels. Hier vendeurs de produits, ils se positionnent aujourd'hui prestataires de services. Samsung, sur le marché de la maison connectée, se présente comme un hub agrégateur de tous les devices connectés multimarques pour proposer un service d'accompagnement aux utilisateurs (économie d'énergie par exemple). Schneider Electric fait de même grâce à son application.
La technologie permet de rendre accessibles au plus grand nombre de multiples services liés à la santé ou à la mobilité. Ainsi, Sony a présenté un concept car, "Afeela" , en partenariat avec Honda, dans le but de devenir le leader des services autour de l'entertainment en mobilité. Ils veulent s'allier à tous les constructeurs automobiles. Hyundai présentait une application "Ocean Wise" permettant aux transporteurs d'optimiser leurs itinéraires pour réduire l'impact énergétique, le coût...
Cela démontre l'enjeu autour de la captation et de l'enrichissement de la data pour fournir le meilleur service. On pourrait imaginer Carrefour offrir des réfrigérateurs connectés à ses clients et s'occuper de les remplir en fonction de leurs préférences et types de consommation.
Et le phénomène metaverse ?
VP : Le sujet du web 3 était bien présent puisque plus de 200 exposants étaient liés à cet univers. Ce n'est plus du buzz, mais bien une réalité, qui reste toutefois dans le périmètre du gaming. Lunettes, gants, casques, vêtements... permettent de sentir, ressentir, goûter avec une expérience immersive totale. De nombreux mondes virtuels apparaissent par thématique : divertissement, commerce...
On voit aussi se multiplier les start-up proposant des marketplaces de NFT, où le consommateur crée, vend son asset digital et anime sa communauté...
Enfin, les actifs fongibles s'imposent comme monnaie de récompense pour les programmes de fidélité. Starbucks (timbres digitaux cumulés) et Time Magazine (les couvertures du magazine en NFT) s'illustrent en la matière. Dans ce contexte, la création de crypto-wallet se fait en deux clics. .
Quels sont les prochains enjeux pour les distributeurs ?
VP : Le sujet de la monétisation de leur data omnicanale, et non seulement online, s'imposera dans les prochaines années. Demain, les retailers vendront les données de leurs clients aux marques pour maximiser la performance commerciale. Ce changement de paradigme et de rapport de force débouchera sur une offre plus personnalisée pour le consommateur.
Les GSA ont beaucoup investi, mais la data e-commerce ne représente que 15 % de leur chiffre d'affaires. Le Graal, c'est de connecter la data sur tous les canaux pour adresser le client sur l'ensemble de son parcours. Après le search puis le social, le retail media est annoncé comme la troisième révolution du media digital. De nouveaux modèles sont à inventer.
Parcours :
- Valerie Piotte a créé HighCo 3.0, agence digitale au service du retail en 2007, puis dirige HighCo Shopper jusqu'en 2012. Elle rejoint Publicis Shopper et repositionne l'agence sur l'expertise shopper marketing et la digitalisation du retail avant d'intégrer l'agence d'Altavia Cosmicen 2015, dont elle est Dg depuis 2018.
- Sarah Gaïsset intègre Altavia comme directrice conseil en 2007. Elle devient directrice du pôle d'expertise digital & store en 2011 avant de créer Altavia Coach, entité dédiée à l'Innovation et à la détection des métiers stratégiques. Depuis 2020, elle est en charge des investissementset du suivi des participations au sein d'Altavia Adventures ainsi que des relations avec l'écosystème de start-up RetailTech( "Start-Up Community") . Sarah est membre du jury de la French Tech pour la NRF 2023.