[Enquête] Quand la crise sanitaire booste l'e-commerce alimentaire
2020 restera une année historique pour l'e-commerce alimentaire propulsé par la crise sanitaire. Depuis le mois de mars et le premier confinement, les consommateurs ont massivement recours au circuit on line afin de limiter les contacts extérieurs.
Je m'abonneUn quart des Français ont réalisé leurs courses alimentaires sur le web pour la première fois en 2020. Depuis le premier confinement, les ventes en ligne (drive et livraison à domicile) des produits de grande consommation s'envolent. "Avant le Covid-19, le taux de croissance s'élevait entre 1 et 1,5% pour les grandes surfaces alimentaires, souligne Emily Mayer, directrice Business Insights au sein de l'institut Iri. Nous avons atteint une croissance de 7% sur les neuf premiers mois de 2020. L'ensemble des circuits de distribution se porte plutôt bien mais l'e-commerce GSA (Grande surface alimentaire), porté majoritairement par le drive, est en hausse de 42%. Il tirait déjà la croissance du secteur en 2019." L'e-commerce alimentaire est celui qui a gagné le plus de parts de marché.
"Ce phénomène a perduré post-confinement où nous avions des taux de croissance de l'ordre de 30-35%, voire plus", pointe Daniel Ducrocq, directeur du service Distribution chez Nielsen. La seconde vague de la pandémie assortie d'un reconfinement, le 30 octobre dernier, a continué de nourrir cette croissance des ventes en ligne.
La part de marché de l'e-commerce généraliste devrait se situer entre 8 et 8,5% en 2020.
Un niveau record pour ce canal qui était encore à moins de 6% en 2019 et pesait alors 9 milliards d'euros. "Ce circuit a doublé en trois-quatre ans, c'est assez énorme sur des poids de circuits alimentaires qui bougent très peu et des comportements consommateurs qui évoluent lentement", indique Daniel Ducrocq.
La France demeure championne européenne de l'e-commerce alimentaire en Europe, devant le Royaume-Uni. Une performance pourtant loin d'être évidente au vu de son histoire sur le territoire comme l'illustre l'échec de Telemarket en 2013, pionnier des supermarchés en ligne. "L'alimentaire est un secteur dont l'histoire avec l'e-commerce est compliquée, explique Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Il a longtemps été très en retard par rapport à d'autres domaines (voyage, high-tech, mode...), puis est apparu le drive dans les années 2010. Ce format inédit, très franco-français, a changé la donne et a permis de faire décoller l'alimentaire on line. Cela est resté dans les gênes: 80% de l'alimentaire en ligne continue d'être réalisé par le drive et 20% par la livraison à domicile. Au Royaume-Uni, le marché le plus comparable en termes de taille, la tendance est inversée."
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Une nouvelle clientèle conquise
Le confinement a eu un effet déclencheur pour l'e-commerce alimentaire. Les barrières culturelles et psychologiques sur les produits frais (assortiment plus court, impossibilité de choisir et de toucher les fruits et légumes) ont été en grande partie levées. "Avant cette crise, le drive concernait les courses standard: l'eau, les articles d'hygiène pour enfants, les produits lourds, le papier de toilette..., note Dominique Schelcher, P-dg de Système U. Avec le premier confinement, les clients ont compris qu'ils pouvaient acheter des produits frais en ligne: boucherie, fruits et légumes, poissonnerie. Cela nous a poussés à développer notre offre sur ces catégories."
Les fruits et légumes ont ainsi très bien "performé" en drive pendant le premier confinement: 7,1% du chiffre d'affaires total du circuit. La part de marché du frais reste néanmoins très petite par rapport aux magasins physiques. Aujourd'hui, l'e-commerce alimentaire séduit au-delà de sa cible initiale: les familles avec jeunes enfants. "Auparavant, 75% du chiffre d'affaires du drive était réalisé par les familles ou foyers en couple sans enfant, des personnes de moins de 50 ans, indique Daniel Ducrocq (Nielsen). Nous observons à présent une clientèle de seniors notamment de retraités. Au vu des taux de croissance, une partie des seniors est restée."
En mars dernier, lors de la première semaine de confinement, 1,2 million de foyers supplémentaires s'y sont essayés, dont près de 500 000 retraités. Des foyers plus petits et de 50 ans et plus qui sont venus acheter sur le Web pour se prémunir du Covid-19. "Parmi les catégories les plus dynamiques en drive, nous retrouvons des produits affectionnés par les seniors: eau de Cologne, eau-de-vie, biscottes... Des produits habituellement pas très dynamiques", pointe Emily Mayer de l'institut Iri. Au global, durant les huit semaines, Kantar a estimé à 2,8 millions de nouveaux foyers clients sur les sites des GSA. "Cela représente 10 points de pénétration supplémentaires, analyse Frédéric Valette, directeur consommation chez Kantar WorldPanel. 40% d'entre eux sont revenus faire des achats pendant l'été, soit 1,1 million de clients qui semblent avoir été convaincus dont près de la moitié a plus de 50 ans."
En chiffres
- 8,5% C'est la part de marché estimée de l'e-commerce alimentaire dans le marché alimentaire global, en 2020. (Nielsen)
- L'e-commerce alimentaire représentait 9 milliards d'euros en 2019. (Institut Iri)
- Lors du reconfinement, l'e-commerce alimentaire était en croissance de 61% par rapport à l'an passé. Avec une hausse de chiffre d'affaires de 79% et des ventes atteignant près de 223 millions d'euros. (Nielsen)
- En 2020, l'e-commerce alimentaire a gagné deux points de part de marché par rapport à 2019 en se situant autour de 8%. Un niveau record pour ce canal qui était encore à moins de 6% en 2019. (Nielsen)
Des ventes en ligne portées par la grande distribution alimentaire
La fidélisation de cette nouvelle clientèle se consolide en raison des conditions sanitaires toujours très fragiles. "Nous nous inscrivons dans cette tendance et nos données montrent qu'en effet, post premier confinement, nombreux d'entre eux continuent à commander sur notre drive", indique un porte-parole d'Intermarché. Des observations constatées chez la plupart des distributeurs. "Nous constatons des changements d'habitude de consommation avec des paniers moyens très élevés en drive", note Dominique Schelcher.
Mêmes propos chez Monoprix où le distributeur a enregistré une accélération des ventes en ligne qui ont été multipliées par quatre durant le premier confinement. "La croissance de l'e-commerce est une tendance de fond, souligne Diane Coliche, la directrice générale exécutive. Dans 10 ans, l'e-commerce devrait représenter 15% du chiffre d'affaires." Actuellement, Monoprix indique qu'il se situe "entre 5 et 10%".
Pour Intermarché, le confinement a été une période exceptionnelle via une "croissance à trois chiffres" du commerce en ligne, des pics de trafic sur le site multipliés par dix et un nombre de commandes multiplié par quatre. "Nous ouvrions chaque soir à minuit de nouveaux créneaux drive qui étaient pris d'assaut en quelques minutes, pointe un porte-parole de l'enseigne. Nous avons su être agiles et souples pour que nos systèmes ne soient pas saturés avec par exemple des gestions de file d'attente. Nous pensons dépasser le milliard de chiffre d'affaires en 2020 sur l'e-commerce."
Chez Carrefour, l'e-commerce alimentaire a aussi significativement accéléré au cours des derniers mois. En France, la croissance s'élève à plus de 45%. "L'e-commerce a déjà contribué à la croissance du résultat opérationnel courant lors du premier semestre 2020", indique le distributeur. Ce phénomène d'accélération très important pour la grande distribution est donc lié à une demande très forte des consommateurs.
Il a également profité aux autres acteurs. "Les distributeurs ont compris que le commerce en ligne était un levier significatif et qu'il fallait répondre à cette attente des clients, note Marc Lolivier (Fevad). Cette montée en puissance du commerce alimentaire on line concerne tous les segments comme les spécialistes du bio: Biocoop, Greenweez... Les plateformes de circuits courts (Aurore Market, La Fourche, Kazidomi...) ont également un fort potentiel de croissance." Sans oublier, le commerce de bouche qui a également surfé sur la crise du Covid-19. "Même si les quelque 100 000 petits commerces de bouche recensés ne sont pas digitalisés pour la plupart d'entre eux", note Delphine David directrice d'études secteurs e-commerce, distribution, consommation au sein du Groupe Xerfi-Precepta. Indéniablement, avec la crise sanitaire, l'e-commerce alimentaire a gagné trois à quatre ans de développement.