Le digital induit la révolution du consommateur
A la tête du digital chez L'Oréal Luxe, Vincent Stuhlen navigue sur plusieurs fronts. Évolution du marketing induit par le digital, management du changement, et déploiement d'une offre e-commerce nouvelle et personnalisée...
Je m'abonneVincent Stuhlen dirige une population digitale de 220 personnes. L'homme, à la tête du digital chez L'Oréal Luxe, oeuvre à l'intégration de la révolution du consommateur, induite par le digital, dans toutes les strates décisionnelles de l'entreprise. Explications...
Quelles sont vos missions au sein de L'Oréal ?
Cela fait maintenant tout juste trois ans que j'ai intégré L'Oréal. J'ai cinq missions principales. La première est la transformation du marketing, le faire évoluer pour être au plus proche de nos consommateurs. L'accélération du e-commerce à la fois en direct et en indirect est la seconde de mes missions suivie de la transformation de la relation client, en se servant du digital pour être au contact des consommateurs et à leur service. La quatrième de mes missions consiste à piloter le "change management" pour intégrer le digital au plus profond des pratiques de la société et enfin, la dernière est la transformation de l'IT. En arrivant, j'ai proposé de renommer l'IT qui était vraiment orienté consommateur en 'Digital IT'. Il s'agit là d'une nouvelle façon de choisir les technologies et de les assembler au service du consommateur. C'est donc un IT plus B to C. Pour nous, la technique devient un moteur. Mes missions portent sur l'ensemble des marques de luxe du groupe et au niveau mondial.
Quand vous parlez de l'accélération du e-commerce direct et indirect qu'entendez-vous par là ?
Direct et indirect, cela signifie que nous avons mis en place une stratégie du " et ", c'est-à-dire que l'on accélère beaucoup sur l'e-commerce. Mais nous faisons cela en bonne intelligence et en complémentarité des distributions existantes ou nous supportons beaucoup nos clients existants qui mettent l'accent sur l'e-retail. Ainsi, nous accélérons sur Lancôme.com ; Armani ; Saint Laurent ; et, parallèlement, nous sommes aussi en support sur Sephora, Marionnaud, Nocibé...
N'y a-t-il pas eu précisément des réticences des retailers vis à vis de ce changement de positionnement...
Je viens initialement du monde de la mode. J'ai commencé dans l'e-commerce en 2001. Il y a toujours eu des réticences à partir du moment où le groupe annonce qu'il va accélérer dans le domaine de l'e-business. Pour autant, on observe une vraie complémentarité des canaux et, bien sûr, une immense partie du business reste captée par nos partenaires retailers déployant une offre multimarque. A côté de cela, nous proposons une offre de flagship digital plus exclusive, plus profonde et davantage orientée vers la personnalisation. D'ailleurs, quand on observe les recoupements de clientèle, les rares fois où nous avons pu le faire car il n'est pas simple de partager nos données, nous observons cette complémentarité. Il existe aujourd'hui de nouvelles opportunités d'échanges ou partage de données avec les retailers, afin de mieux comprendre les attentes et comportements de nos clients, depuis l'exposition média jusqu'à la transaction. De notre côté, nous accumulons une connaissance précise de la consommation de nos marques qui doivent permettre de mieux accompagner nos partenaires dans la présentation de l'offre et des contenus à chaque moment du cycle de vie du client. Les critères d'échange de données vont donc devenir un enjeux majeur de nos relations pour croitre nos business respectifs.
Quels sont les principaux éléments de votre parcours ?
Je pense que ce qui a pu attirer L'Oréal dans mon parcours est une triple compétence. La technologie car je suis ingénieur de formation, ensuite j'ai beaucoup navigué dans le marketing classique, produit, et promotion, et enfin dans le business et la gestion de PNL. J'ai lancé par deux fois des start-up dans le monde du sport, à mi-chemin entre l'éditorial et l'e-commerce, une première que j'ai revendu et une seconde qui s'est éteinte de sa belle mort. J'ai pu exercer ce métier digital dans ces petites structures mais aussi ensuite chez Levis Strauss et maintenant L'Oréal. Par ailleurs, le secteur de la mode dans lequel j'ai travaillé reste, selon moi, l'un des plus proches des cosmétiques. Marqué par des cycles de vie des produits relativement courts, des périodicités, de collections... Ce qui est intéressant chez L'Oréal est l'intraprenariat. L'Oréal est une maison qui cultive cet entreprenariat depuis toujours, mais le digital est une formidable opportunité de le raviver un peu...
Précisément sur le volet lié à la gestion du changement de votre mission, comment procédez-vous ?
Il s'agit du gros de la mission, et c'est également le plus compliqué puisque L'Oréal a des pratiques établies depuis très longtemps et que le digital amène beaucoup de changement. Si je devais classifier ces changements, le premier est de remettre le client au coeur de tout ce que nous faisons. C'est un peu le poncif marketing, tout le monde en parle et très peu le font. C'est un changement fondamental. Via les insights que l'on peut recueillir par le digital, on essaye de réinjecter ces informations au plus tôt dans le processus de conception des produits. Dans certains pays, nous sommes allés jusqu'à adapter le protocole de vente au niveau du retail pour véritablement l'optimiser. In fine, cela augure d'un changement assez profond de la conception du mix marketing. Nous avons appelé cela l'IMC ( Integrated Marketing Communication). C'est au moment du brief que sont intégrés les insights clients mais également les besoins marketing cross canal, pour pouvoir développer une expérience client 360.
Pour y parvenir, vous formez vos collaborateurs ?
Oui, nous avons formé plus de 500 collaborateurs dans les cursus existants qui sont soit des cursus généralistes dans lesquels on injecte du digital, soit des cursus plus spécialisés. Parallèlement, nous avons recruté une trentaine de spécialistes vraiment pointus dans la data, la gestion de trafic, les données client...
Deux ans après avoir initiés ces changements, commencez- vous à en percevoir les bénéfices ?
Si je suis honnête et lucide, je dirais que la moitié du chemin est faite. Il reste donc du travail. Quant aux bénéfices, nous avons aujourd'hui une majorité de lancement qui sont des lancements 360 degrés. Que vous soyez au contact de tel ou tel canal, le message et l'expérience sont totalement unifiés...
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Quels ont été les principaux défis?
C'est un processus classique. Mais entre la théorie et la pratique, il y a parfois un gouffre. Il faut avoir étudié son marché, avoir établi son business plan et identifié précisément jusqu'où on est prêt à investir dans les plateformes. D'ailleurs quand je parle de plateformes, il n'y a pas que la technologie, nous nous trouvons dans une refonte assez profonde dans certains pays de l'ensemble de la plateforme logistico-technique mais aussi des call centers.. Concernant le management du changement, la première étape était d'avoir le comité de direction derrière soi. Ensuite il y a tout de même une transformation métier profonde induite par ces choix technologiques. La façon de travailler est différente, nécessite de l'accompagnement et change considérablement le management au quotidien. Mais L'Oréal est une boîte d'entrepreneurs, qui a cultivé l'esprit start-up à tous les niveaux.
En dépassant le cas L'Oréal, en quoi selon vous le digital a bouleversé la culture traditionnelle des marques ?
Je pense que le digital a induit la révolution du consommateur : on parle beaucoup de révolution digitale, mais la vraie révolution, c'est de remettre le client au coeur de tout. Et pour les boîtes qui avaient une ingenierie très forte, qui étaient très marketing produit (comme L'Oréal), c'est tout de même un choc fondamental. C'est une révolution qui n'est pas évidente car elle remet en question certains rôles, certains process (développement, marketing etc). Le deuxième changement fondamental est, selon moi, la dimension apportée par le temps réel : on accède à un niveau de données qui était auparavant accessible uniquement via de longues et coûteuses études. L'impact sur l'organisation est assez important. Pour nous, avoir accès au nombre de clients final permet d'ouvrir un monde de possibilités. Et qu'en fait-on ? C'est ce qui nous oblige aujourd'hui à intégrer des gens qui soient capables de traiter ces données de façon opérationnelle, et nous commençons donc à avoir quelques employés (dans nos régions) qui sont capables de les analyser, d'expliquer ce qu'ils ont compris des comportements consommateurs..
Votre devise ?
" Impossible is nothing " (empruntée au monde du sport) car quand on fait du management du changement, beaucoup de cassandres prédisent l'échec de nombreux de ces changements. Si nous les avions écouté, nous n'aurions pas lancé tout ce qu'on a lancé sur le marketing, le commerce, la relation client. Ca n'a pas été simple, mais au final on y arrive.
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Le projet mondial des " flagship digitaux" a été lancé. Où en êtes-vous ?
L'idée du flagship part du constat, existant dans beaucoup de société, d'un découplage du message marketing-vente avec une approche en silot et une délégation quasi totale de la vente aux retailers. Or, nous avons la conviction qu'être un retailer sur une partie du business -car ce n'est qu'une partie du business total- est absolument essentiel en termes de connaissance client et de service client. L'idée était de rassembler ces trois grandes parties que sont l'expérience de marque que l'on peut aussi appeler le marketing, une partie commerce sur lequel nous avons fait un énorme travail d'alignement et de dépassement des best pratices du marché, et enfin un troisième pilier, celui du service client, la partie la plus omnicanal...
Y-a-t-il un socle commun pour l'ensemble des marques ? Comment organisez vous les synergies ?
Effectivement, il y a des fondations communes. Un socle technologique commun, notamment appuyé sur la solution Demandware qui est le socle technologique sur lequel se greffe une succession de technologies complémentaires formant un tout. Nous avons sélectionné une vingtaine de partenaires qui viennent augmenter cette solution de Demandware. Cela fait partie de la richesse de cette offre d'ailleurs d'avoir un écosystème de partenaires, nous en avons sélectionné une vingtaine s'intègrant de manière agile. Au-delà de ce socle, un second niveau, appelé le UX Framework (comme User Expérience Framework) est proposé aux marques. C'est une sorte de canavas dans lequel elles s'inscrivent. Nous avions de très beaux sites, très différents mais qui sous-délivraient en termes de performance. Et d'expérience client... on était plus dans l'art. Aujourd'hui, mes équipes internationales (mondiales et multimarques) ont donc créé des outils communs dont ce fameux UX Framework qui est un canevas créatif qui porte aussi toute la dimension de performance voulue.La personnalisation est l'axe majeur dans le développement de nos choix technologiques, afin que nous puissions apporter une expérience de marque et une relation client personnalisées.Ce "framework" a été réalisé par une succession d'études consommateurs : des études amont, des tests de prototypes, du benchmark sur les meilleures pratiques. Et in fine, il n'y a absolument aucune castration créative car les capacités d'habillage sont totales pour les marques. Cette matrice commune permet cependant d'accélérer les développements et de maîtriser les coûts...
Toutes les marques ont-elles basculé sur le modèle du flagship digital ?
Saint-Laurent a basculé et toutes les autres marques sont en cours de production (et seront révélées petit à petit.) Nous aurons fini ce travail d'ici mars 2015. Le pilote qui a vraiment incarné l'ensemble de la méthodologie était Saint-Laurent, qui est aujourd'hui live depuis le 27 mai aux USA, et maintenant en cours d'adaptation pour la France, la Chine etc. Nous concevons nos sites en partant de la complexité maximale, donc que ce soit dans l'expérience utilisateur ou le choix des technologies, nous co-développons beaucoup tous les sites avec les États-Unis qui sont le marché le plus mature et là où nous avons probablement le plus de talents en termes d'expertise e-commerce, CRM, etc. Une partie de nos équipes sont basés à New York. Nous disposons déjà de 13 pays actifs sur l'e-commerce, mais pour l'heure 6 pays qui représentent plus de 80% du chiffre d'affaires participent activement au développement des flagships. Et là où auparavant nous avions des processus un peu consécutifs, aujourd'hui la partie marketing, la partie commerce et la partie IT sont rassemblées dans une conduite transversale de projet (qui est aussi assez nouveau). Les gens travaillent ensemble pour délivrer les projets, les premiers sites sont live, et les performances largement au rendez-vous.