Chine: comprendre le système de paiement du plus grand marché mondial de l'e-commerce
Dominé par les mastodontes Alipay et WeChat Pay, l'écosystème chinois du paiement repose quasi-exclusivement sur les transactions mobiles sans contact. La crise sanitaire renforce l'adoption du "Smile to Pay", une source de données cruciale sur les consommateurs.
Je m'abonneLa Chine est devenue une société "cashless". Alors que 85% des paiements s'effectuent désormais sur smartphone ou tablette, WeChat Pay, propriété de Tencent, enregistre 760 millions de transactions par jour et Alipay (Alibaba, via Ant Group) 680 millions(1), soit plus de 90 % des paiements mobiles à elles deux. Aujourd'hui, la Chine constitue le plus important marché e-commerce au monde, soit 30% de l'e-commerce mondial(2). "Il grossit deux fois plus vite que le marché américain ou français, explique un porte-parole du prestataire de paiement Stripe. Ce géant avance à pas de géant. La Chine ne doit pas être considérée comme un marché porteur mais bien comme un marché prioritaire (2000 milliards de dollars en 2019(2), avec une croissance d'environ 15% par an hors crise liée au Covid-19)."
Les deux mastodontes du paiement possèdent leur propre banque commerciale, (Webank pour Tencent et MyBank pour Ant Group) et travaillent en parallèle du système bancaire traditionnel, entièrement dirigé par le gouvernement central chinois. En termes de pratiques, la reconnaissance faciale (via la méthode "Smile to Pay") poursuit sa croissance et est disponible dans plus de 300 grandes villes. "En 2020, elle devrait avoir concerné 243 millions d'utilisateurs", indique Betty Touzeau, fondatrice de l'agence Paris2Beijing. Cette méthode cohabite avec le paiement par QR code, le plus répandu, le paiement ETC [sans aucun contact, par exemple via le repérage des plaques d'immatriculation dans un parking, NDLR] et le paiement mobile NFC. "Avec l'épidémie, les billets et pièces ont été proscrits en raison de leur possible contamination, précise Betty Touzeau. Ils sont désinfectés par les banques à chaque utilisation."
Le yuan numérique, un pas vers le morcellement du paiement
Par ailleurs, la Banque centrale chinoise a lancé une nouvelle monnaie souveraine, le yuan numérique. D'abord en phase pilote il y a six ans au sein d'acteurs publics, l'initiative est déployée dans les villes de Shenzen, Chengdu, Suzhou et Xiong'an et adoptée par 19 entreprises du retail, à date, telles que McDonald's ou Starbucks. "Le monde du paiement est en train de devenir extrêmement hétérogène, avec une internationalisation des moyens de paiement comme Alipay, WeChat Pay, le yuan numérique, ainsi que l'intégration de services de paiement propres à certaines grandes marques. Couplé aux innovations en matière de cryptomonnaies, tout cela fait penser que d'ici 20 ans, les marchands devront intégrer des centaines de moyens de paiement différents s'ils veulent toucher un public international. Les marchands, y compris les grands comptes, se verront obligés de s'appuyer sur des tiers capables de faciliter l'accès à tous les acteurs du marché", prévoit un porte-parole de Stripe. À noter, paiement en ligne et marchandage ne sont pas antithétiques: "Les consommateurs chinois ont l'habitude d'accéder à un service client intégré en live là où ils réalisent leurs achats et de négocier les prix, c'est très ancré culturellement, continue le porte-parole de Stripe. Le service client est en mesure d'envoyer au mobinaute un lien de paiement avec un prix négocié."
Concernant le coût du paiement, les frais appliqués aux transactions par les deux colosses chinois apparaissent beaucoup plus bas qu'en France: ils s'élèvent à 0,1% à partir de 10000 yuans pour WeChat et 0,1% au-dessus d'un seuil de 20000 yuans sur Alipay pour les consommateurs. Côté marchands, la commission atteint 0,6% sur WeChat Pay et 0,55% sur Alipay. Comparativement, PayPal facture une commission de 2,4% de la vente en plus de 0,25 euro de frais fixes en France.
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Pas de confidentialité de données clients
Les questions liées à la fraude et au traitement des données diffèrent radicalement de la situation européenne. Alibaba et WeChat, en leur qualité de réseau social multifonction, peuvent utiliser les données personnelles des clients pour vérifier leur profil lors d'une transaction. Pourtant, en 2018, la fraude sur Internet s'est élevée à 390 millions de yuans (environ 47 millions d'euros), selon une étude 2019 de Liewang Platform (dédiée au signalement des fraudes).
À l'inverse, la collecte de données massive effectuée par les acteurs du paiement et transmise au gouvernement central commence a suscité, à la marge, des interrogations de la part des consommateurs chinois. "Auparavant, nous n'avions pas de données sur ce point car ce n'était pas dans l'intérêt du gouvernement chinois de donner la parole aux citoyens sur ces sujets, détaille Betty Touzeau. Nous commençons à voir apparaître des articles remettant en question l'utilisation des données par les citoyens et la mise en place du social credit." Ainsi, durant la crise sanitaire, les personnes ayant payé par reconnaissance faciale des médicaments contre la toux auraient fait l'objet d'une étude pour identifier les citoyens potentiellement porteurs du Covid-19. Ant Group a également collaboré avec le gouvernement en attribuant un code coloré à chaque consommateur en fonction de son état de santé et de ses contacts. "C'est un paradoxe: certains consommateurs s'inquiètent de cette collecte de données mais aucun ne veut perdre le niveau de service ultra-personnalisé qui lui est offert", conclut Betty Touzeau.
(1) Étude "China's 2020 Digital Payment Industry - WeChat Pay vs Alipay", Third Bridge, 2020
(2) Source : eMarketer, 2019
"Les données liées au paiement sont la propriété d'Alipay"
Rene Hsieh, directrice générale d'Investint Lingerie Fashion (groupe Etam), décrit l'environnement en matière de paiement d'Etam, dont l'activité en Chine s'est recentrée sur la vente en ligne de lingerie.
Un point sur la présence d'Etam en Chine?
Le premier magasin Etam en Chine a ouvert le 1er janvier 1995, à Shanghai. Le groupe a compté jusqu'à 744 points de vente dans 263 villes. Toutefois, en raison de la stagnation de la fast fashion en Chine, Etam a revendu son activité prêt-à-porter en Chine et a décidé de se concentrer sur la vente de lingerie en 2018. La crise de la Covid a poussé les marques vers la digitalisation et a rendu l'univers de la vente en ligne encore plus concurrentiel. L'année 2021 a bien démarré pour Etam Chine, avec une croissance de 40% par rapport à janvier 2020. Après avoir surmonté l'impact de la Covid-19, Etam Chine prévoit d'accélérer très fortement son développement en 2021. Notre boutique T-Mall enregistre un panier moyen d'environ 300 renminbi [38 euros, NDLR], pour 2,5 articles par commande, ce qui correspond à la moyenne du secteur.
Quels moyens de paiement proposez-vous sur votre boutique en ligne?
Etam Chine possède une boutique sur la plateforme T-Mall, nous utilisons donc Alipay. Il est également possible de régler par carte bancaire [via UnionPay, NDLR]. À l'avenir, lorsque nous ouvrirons de nouvelles boutiques, notamment sur JD, un paiement par WeChat sera proposé. Alipay [propriété d'Alibaba, NDLR] représentait 48,44% du marché du paiement en ligne au premier trimestre 2020, soit plus que WeChat Pay, en raison de la prédominance des plateformes e-commerce T-Mall et Taobao.
Quels frais applique Alipay et comment fonctionne la gestion des données client?
Nous payons 6% de commission à T-Mall mais il n'y a pas de frais dédiés à l'utilisation d'Alipay. Les données liées au paiement sont la propriété d'Alipay. Nous pouvons seulement accéder aux informations suivantes : nom du client, numéro de téléphone, zone d'habitation sans adresse précise. Il est cependant très important pour les marques d'exploiter les données de WeChat CRM [social CRM pour la plateforme WeChat utilisé par les marques pour comprendre leur parcours client, NDLR] ou d'avoir leur propre service client en lien avec leur boutique en ligne, pour nourrir leur propre CRM et favoriser l'engagement client.