[Tribune] Je perçois donc je suis
Pour Laurence Body, fondatrice de X+M, en bousculant l'ancien paradigme cognitiviste centré sur la raison, le nouveau paradigme "je perçois donc je suis" consacre le primat des émotions sur la rationalité supposée des comportements et impose un nouvel ordre: la perception est la réalité.
Je m'abonneLa supériorité de l'expérience par rapport au service réside dans sa nature profondément humaine et son caractère émotionnel. Affirmer à son propos qu'elle est "centrée sur le client" ne lui rend pas justice, disons plutôt qu'elle est "inspirée par l'humain". Le revers de la médaille est que cela la rend très subjective: nous n'évaluons pas une expérience comme nous évaluons un service. De fait, il existe autant d'expériences que d'individus les ayant vécues. Pourquoi? La réponse est dans sa définition -"l'expérience client est l'ensemble des interactions perçues par le client"- et pose la question de la perception et de son rôle dans le processus de décision.
Par exemple, lorsque nous faisons nos courses, notre perception filtre et simplifie les informations qui proviennent de l'environnement physique (plus ou moins bruyant, chaud ou froid, bien éclairé ou sombre...) par le biais des sensations (visuelles, olfactives, tactiles, kinesthésiques, auditives, gustatives). Notre mémoire ayant déjà en stock d'autres informations collectées à l'occasion d'expériences passées (et pas nécessairement dans les mêmes lieux) va en plus les associer à des éléments de contexte dans lequel ces sensations ont déjà été éprouvées. Si la dernière fois qu'un consommateur est allé dans un supermarché, il a échangé avec un vendeur particulièrement aimable, qu'il a appris qu'il était reçu à un examen, sa perception du lieu sera plus positive qu'elle ne l'aurait été en l'absence de ces souvenirs associés. Et comme chacun a tendance à vouloir revivre les expériences qui lui ont procuré du plaisir, naturellement, il reviendra dans ce magasin: le secret de la fidélité est là. D'où l'intérêt de renforcer les associations positives par la création de situations susceptibles de déclencher des émotions: surprise, joie, enchantement, excitation...
L'expérience ne doit pas être lisse et parfaite
Revenons à la mémoire: si le but du service est de créer de la satisfaction, celui de l'expérience est de créer des souvenirs. En quoi est-ce important? Cela permet de se concentrer sur l'impact émotionnel de l'expérience et non pas sur sa dimension objective et rationnelle. Une expérience émotionnelle (positive ou négative) est plus susceptible de laisser une trace dans la mémoire qu'une expérience excellente du point de vue de la qualité de service. Contrairement au service, une bonne expérience n'est pas nécessairement parfaite: au contraire, elle doit contenir des aspérités, tout en revêtant la "bonne forme". Ainsi, même quand l'expérience est parfaite, n'est-ce pas le détail qui "cloche" que le consommateur retiendra?
La congruence des signaux est essentielle, de même que le caractère holistique de l'expérience: la perception ne "saucissonne" pas le jugement pour chacun des processus, elle évalue l'intégralité de l'expérience, du début à la fin. D'où la prédominance du NPS (Net promoter score) "end to end" sur les NPS transactionnels, qui donnent une impression plus positive de l'expérience qu'elle n'est en réalité.
Ainsi, cela ne sert à rien d'attendre de ses clients qu'ils expriment les émotions que l'entreprise a prévues pour eux et qu'ils agissent en conséquence, les modèles comportementaux de type stimulus/réponse ne fonctionnent plus. De plus, pour réduire l'écart entre la promesse de marque et la perception de l'expérience vécue par le client, il importe de concevoir l'expérience selon le point de vue du client. Enfin, la mesure aussi est personnelle et subjective: le CES évalue la perception de l'effort et le NPS s'appuie sur la mémoire pour recommander ou non.
Laurence Body est spécialiste de sciences du consommateur et d'innovation par les approches sensibles. Titulaire d'un DEA en Sciences de gestion, elle a notamment occupé les fonctions de directeur études et clientèle chez Adriant, société spécialisée en innovation sensorielle. Elle a également été partenaire de Secor, cabinet canadien de conseil en organisation par l'approche client, avant de fonder en 2011 X+M, dont la mission est d'accompagner les entreprises de service dans leur démarche d'innovation par l'expérience client et le design de service. Laurence Body est coauteur de "L'Expérience client", paru chez Eyrolles en 2015.
X+M conseille les entreprises sur leur stratégie expérience client, réalise des pilotes, des expérimentations en mode pensée design et des guides méthodologiques pour manager l'expérience client, et intervient sur des projets aussi variés que la cartographie de parcours clients, la conception d'expériences signatures, l'organisation de safari retail et de workshops de design d'expériences mémorables.
Pour aller plus loin:
CSAT, NPS, CES: quels indicateurs de satisfaction choisir?
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L'expérience client, un enjeu de taille pour les entreprises