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Yann Rivoallan : "Acheter Shein, c'est littéralement nous tuer pour un t-shirt en plastique"

Alors que l'UE s'apprête à ouvrir une enquête contre la plateforme chinoise Shein. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin (FFPAPF), explique les raisons de la colère contre le géant chinois.

Publié par Elsa Guerin le - mis à jour à
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Yann Rivoallan : 'Acheter Shein, c'est littéralement nous tuer pour un t-shirt en plastique'

Selon une étude Joko, Shein est devenue en 2024 l'enseigne au sein de laquelle les Français ont le plus dépensé. Peut-on croire que le contexte inflationniste y est pour quelque chose ?

Non, croire que l'on consomme Shein par souci d'économie ne sert qu'à justifier des comportements irrationnels. Il s'agit exactement du même mécanisme que lorsqu'on fume : on sait que cela est nuisible, mais on le fait quand même en pensant que cela nous procure du bien. Shein a été conçu pour enfermer le consommateur dans un système "boulimique". Sa surproduction - plus de 7 000 nouveautés par jour - engendre une surconsommation. La peur de manquer une bonne affaire et l'envie de répondre à une promotion éphémère incitent à consommer davantage. D'ailleurs, 20 % des produits Shein se retrouvent dans des conteneurs avec leurs étiquettes. Il ne s'agit donc absolument pas d'une réponse à un pouvoir d'achat en berne pour certaines classes de la population, comme souhaiterait nous le faire croire Monsieur Castaner.

En effet, Christophe Castaner a explicitement déclaré qu'il s'opposait à une taxe particulière pour les plateformes du type Shein, affirmant qu'il s'agirait d'une taxe sur "les produits des plus pauvres"...

J'invite Monsieur Castaner à nous rencontrer. Je ne peux pas croire qu'il pense réellement que Shein permet aux classes populaires de consommer ou de s'habiller à moindres frais. C'est une idée populiste. La plateforme crée un phénomène de surconsommation et ne fait que générer des besoins inexistants à coups de promotions flashs. C'est un système qui appauvrit au lieu d'enrichir.

"J'invite Monsieur Castaner à nous rencontrer."

Concernant l'impact que la plateforme a sur le marché européen et français, peut-on parler de dumping économique ?

Il est certain qu'en inondant le marché de vêtements à bas coûts produits dans des conditions opaques et expédiés à travers le monde sans considération pour leur empreinte écologique, Shein participe à la destruction des emplois et du savoir-faire textile, notamment dans les zones rurales. Nos commerçants, en particulier en région, font face à une concurrence déloyale d'une entreprise qui contourne les règles sociales, environnementales et fiscales établies pour garantir un marché équitable. Elle profite également de l'absence de taxation douanière en dessous du seuil d'exonération de 150 euros au niveau européen. Par ailleurs, Shein tente de convaincre certains acteurs en crise, notamment en Afrique, de travailler exclusivement avec elle, sans contrepartie financière.

S'agit-il d'une véritable stratégie politique de soft power ?

Nous pouvons effectivement parler de soft power. La mode fait partie intégrante de notre quotidien, et la façon dont on s'habille n'est pas anodine. En s'imposant dans nos habitudes de consommation, Shein s'inscrit directement dans la vie des Français. Sa politique de saturation du marché par une surproduction massive est délibérée. Il faut bien comprendre que la fast fashion a commencé par des marques comme NAF-NAF proposant 5 à 10 nouveaux produits par jour, puis Zara avec 50 à 100. Aujourd'hui, Shein propose presque 10 000 nouveaux produits quotidiennement, ce qui explose la consommation énergétique du secteur et s'inscrit dans une chaîne de valeur désastreuse : conditions de fabrication, de travail, de livraison ne respectant pas les normes en vigueur en Europe. Acheter Shein, c'est littéralement nous tuer pour un t-shirt en plastique.

Quelles sont les dispositions à prendre ?

Tous les acteurs de la mode sont soumis à des règles très strictes. Les autorités doivent impérativement les appliquer à Shein. Nous savons, par exemple, que Shein nous ment en affirmant ne pas avoir d'invendus. La plateforme propose également des promotions immédiates sur certains produits alors que, normalement, les stocks doivent atteindre 30 % avant toute remise. Il serait donc possible d'interdire facilement certaines pratiques de Shein. Les autorités doivent cesser leur attentisme. L'une des mesures clés serait la suppression rapide du seuil d'exonération de 150 euros au niveau européen pour rétablir une concurrence loyale. Par ailleurs, la loi anti-fast fashion, votée à l'unanimité en 2024 mais retardée par les remaniements, doit être appliquée. Il faut définir un seuil maximal de références, instaurer un système de bonus-malus basé sur l'éco-score des produits textiles et accessoires, et interdire la publicité pour Shein. De multiples innovations sont en cours pour optimiser la supply chain. Bref, nous pouvons stopper Shein.

Demain, pour bâtir une mode plus responsable, que faudrait-il ?

Je travaille actuellement sur un projet d'instauration d'un chèque seconde main pour encourager la population à consommer plus durablement. L'essor de la seconde main est un système qui prend de l'ampleur, mais en réalité, ce sont surtout les personnes ayant des moyens qui l'adoptent, car elles y voient un geste responsable. Les classes populaires, quant à elles, le perçoivent davantage comme une contrainte. Si chacun disposait d'un budget spécifique pour ces achats, tout le monde pourrait participer à cette économie vertueuse.


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