Sarah Tayeb, eBay : "Notre plus grand concurrent, c'est le placard des Français"
Présent dans plus de 190 marchés à travers le monde, eBay est le deuxième leader mondial du e-commerce, avec un volume d'affaires de 75 milliards de dollars en 2024 et 134 millions d'acheteurs actifs. À l'occasion de ses 30 ans d'existence, E-commerce Mag a interviewé Sarah Tayeb, directrice générale d'eBay France, pour faire un état des lieux de la dynamique actuelle et découvrir la stratégie du groupe pour les années à venir. Rencontre.

Cela fait 30 ans qu'eBay existe. Quelles ont été, selon vous, les mutations les plus marquantes de l'e-commerce ces dernières années ?
En effet, eBay a été créé en 1995 aux États-Unis, et cinq ans plus tard, nous étions présents en France. Nous avons donc traversé toutes les grandes transformations du secteur. L'une des premières révolutions majeures a été celle du paiement en ligne. À l'époque, nous avions d'ailleurs acquis PayPal, avant d'ouvrir notre plateforme à d'autres solutions de paiement. Nous avons par exemple lancé notre application dans l'Apple Store.
Mais la plus grande révolution, selon moi, c'est celle que nous vivons actuellement avec l'intelligence artificielle. Nous y étions préparés depuis une dizaine d'années, mais il faut reconnaître que l'IA générative bouleverse profondément le commerce en ligne. Toutes nos équipes s'activent pour en maîtriser les usages, dans le but de personnaliser et fluidifier toujours davantage l'expérience utilisateur. Côté vendeur, elle leur permet de répondre à des questions cruciales : à quel prix vendre un objet ? Comment optimiser leur contenu ? Côté acheteur, elle permet un parcours d'achat ultra-personnalisé, des recherches par image, et surtout, des suggestions d'achat pertinentes et opportunes.
L'IA vous aide-t-elle également sur le plan de la sécurité des données et des transactions ?
Absolument. 97 % de nos vendeurs exportent, donc la sécurité est un enjeu central pour nous depuis longtemps. Cela fait plus de cinq ans que nous utilisons des technologies de deep learning et machine learning dans l'ensemble de nos services. 99,7 % des annonces frauduleuses sont détectées avant même leur publication grâce à l'IA. Nous avons d'ailleurs été l'un des premiers acteurs à nous engager pour interdire la vente d'ivoire. Nous avions mis en place un algorithme pour bloquer ces ventes, avant même que la législation ne l'exige. Cette démarche a inspiré d'autres plateformes à renforcer leur vigilance. Pour nous, la sécurité repose sur une combinaison entre usage de l'IA et intervention humaine.
L'arrivée massive de l'IA suscite-t-elle des inquiétudes chez vos équipes en interne ?
Chez nous, l'IA est vue comme un collaborateur, une opportunité. Nous proposons des séances de formation pour accompagner les équipes dans l'adoption de ces outils. Elle représente un gain de temps considérable - pour enregistrer des réunions, par exemple. Pour nos développeurs et notre service client, elle augmente la productivité et libère du temps pour se concentrer davantage sur les besoins des utilisateurs. Intégrée à notre stratégie globale, l'IA nous permet de constater un impact direct sur le ROI dans nos catégories prioritaires, comme les pièces détachées automobiles ou les objets d'art et de collection , avec une croissance annuelle de 5 %.
Comment vous distinguez-vous face à vos concurrents ?
J'aime dire que notre plus grand concurrent, c'est le placard des Français. Six Français sur dix ont vendu un objet en ligne sur eBay ces douze derniers mois. Notre défi, c'est de convaincre les 40 % restants de donner une seconde vie à leurs objets. Aujourd'hui, l'économie circulaire pèse déjà pour près de la moitié de notre volume d'affaires, ce qui montre à quel point elle est au coeur de notre stratégie. Nous avons un positionnement unique : nous sommes présents dans plus de 190 marchés à l'international et nous nous adressons à tous les types de vendeurs, du particulier aux grandes entreprises comme Boulanger.
La montée en puissance de la seconde main est une excellente nouvelle. Cela montre que le public devient plus mature sur cette question. Nous encourageons nos utilisateurs à revendre leur matériel usagé, par exemple grâce à l'offre eBay Rachat, ils peuvent vendre directement petit électroménager et produits high-tech à des reconditionneurs. Ce service s'étend maintenant à l'électroménager et aux outils de jardinage.
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Quel regard portez-vous sur la concurrence des plateformes asiatiques ?
La crise du pouvoir d'achat a clairement eu un impact, visible dans la montée de la seconde main, du discount, et aussi dans l'essor des acteurs chinois. Nous devons répondre au besoin d'économies des consommateurs. C'est pourquoi nous avons mis en place une stratégie fondée sur les "3 R" : Revente, Réparation, Reconditionnement. Cela offre une alternative économique très concrète. Par exemple, grâce aux pièces détachées automobiles d'occasion, les utilisateurs peuvent économiser entre 50 et 70 % en moyenne par rapport au neuf. Nous avons même lancé un bot capable de diagnostiquer une panne, afin d'offrir un service à 360°.
Et vos grandes priorités pour les prochaines années ?
Trois axes forts guident notre stratégie pour les prochaines années. Le premier repose sur l'innovation technologique et l'intelligence artificielle, qui doivent nous permettre de proposer une plateforme toujours plus intuitive et performante. Le deuxième axe consiste à consolider notre position de leader sur nos catégories phares, notamment les objets d'art et de collection. Enfin, le troisième axe vise à encourager une consommation plus responsable, en prolongeant la durée de vie des objets. Nous sommes d'ailleurs très fiers d'avoir déjà dépassé nos objectifs en matière de neutralité carbone. En 2023, eBay a généré 4,9 milliards de dollars d'impact économique positif, tout en évitant 1,6 million de tonnes d'émissions de carbone et 69 000 tonnes de déchets. Conscients que l'intelligence artificielle est énergivore, nous travaillons également à réduire son impact environnemental dès maintenant.
À quoi ressemblera l'utilisateur eBay de demain ?
Nous avons réalisé une étude avec l'IFOP qui montre que la jeune génération collectionne encore plus qu'avant. 1 Français sur 3 fait une collection, alors que c'est la moitié des jeunes (moins de 35 ans) qui collectionnent. Et ils dépensent près de deux fois plus que leurs aînés. C'est très encourageant pour nous, cela prouve que nous avons l'avenir devant nous, surtout sur les nouveaux types de collection. Pour vous donner un exemple concret : le mot Pokémon est recherché 14 000 fois par heure sur eBay ! La transmission des passions, c'est vraiment dans l'ADN d'eBay. On s'adresse autant aux collectionneurs qu'aux passionnés d'automobile ou de high-tech.
Et au-delà des usages, nous travaillons aussi sur des enjeux essentiels comme l'inclusion. Nous développons une IA inclusive, afin de limiter les biais dans les recrutements. Nous soutenons également les aidants, les jeunes parents - femmes comme hommes - et avançons concrètement sur la parité. De nombreuses CEO chez eBay sont des femmes, ce qui reste encore trop rare dans notre secteur. Cela séduit nos équipes en interne, mais je pense aussi nos utilisateurs. Le client d'eBay de demain sera, je crois, transgénérationnel, engagé et en quête d'un monde plus durable.
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