DossierL'e-commerce alimentaire prend son envol
L'année 2020, marquée par la crise sanitaire et les mesures de confinement puis de reconfinement, a profondément transformé les comportements d'achats des consommateurs. Déjà dynamique avant le Covid-19, l'e-commerce alimentaire continue sa forte expansion.

Sommaire
- Quand la crise sanitaire booste l'e-commerce alimentaire
- Une nouvelle clientèle conquise
- Des ventes en ligne portées par la grande distribution alimentaire
- Jean-Denis Deweine (DG Auchan Retail France) : "Auchan est le pionner de l'e-commerce alimentaire"
- Les nouveaux partenariats dans la distribution alimentaire
- Le développement de la livraison à domicile
- De nouvelles alliances avec les acteurs de la foodtech
1 Quand la crise sanitaire booste l'e-commerce alimentaire
Un quart des Français ont réalisé leurs courses alimentaires sur le web pour la première fois en 2020. Depuis le premier confinement, les ventes en ligne (drive et livraison à domicile) des produits de grande consommation s'envolent. "Avant le Covid-19, le taux de croissance s'élevait entre 1 et 1,5% pour les grandes surfaces alimentaires, souligne Emily Mayer, directrice Business Insights au sein de l'institut Iri. Nous avons atteint une croissance de 7% sur les neuf premiers mois de 2020. L'ensemble des circuits de distribution se porte plutôt bien mais l'e-commerce GSA (Grande surface alimentaire), porté majoritairement par le drive, est en hausse de 42%. Il tirait déjà la croissance du secteur en 2019."
L'e-commerce alimentaire est celui qui a gagné le plus de parts de marché.
"Ce phénomène a perduré post-confinement où nous avions des taux de croissance de l'ordre de 30-35%, voire plus", pointe Daniel Ducrocq, directeur du service Distribution chez Nielsen. La seconde vague de la pandémie assortie d'un reconfinement, depuis le 30 octobre dernier, continue de nourrir cette croissance des ventes en ligne. La part de marché de l'e-commerce généraliste devrait se situer entre 8 et 8,5% en 2020. Un niveau record pour ce canal qui était encore à moins de 6% en 2019 et pesait alors 9 milliards d'euros. "Ce circuit a doublé en trois-quatre ans, c'est assez énorme sur des poids de circuits alimentaires qui bougent très peu et des comportements consommateurs qui évoluent lentement", indique Daniel Ducrocq.
La France demeure championne européenne de l'e-commerce alimentaire en Europe, devant le Royaume-Uni. Une performance pourtant loin d'être évidente au vu de son histoire sur le territoire comme l'illustre l'échec de Telemarket en 2013, pionnier des supermarchés en ligne. "L'alimentaire est un secteur dont l'histoire avec l'e-commerce est compliquée, explique Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Il a longtemps été très en retard par rapport à d'autres domaines (voyage, high-tech, mode...), puis est apparu le drive dans les années 2010. Ce format inédit, très franco-français, a changé la donne et a permis de faire décoller l'alimentaire on line. Cela est resté dans les gênes: 80% de l'alimentaire en ligne continue d'être réalisé par le drive et 20% par la livraison à domicile. Au Royaume-Uni, le marché le plus comparable en termes de taille, la tendance est inversée."
Lire aussi : Le renouveau de l'e-commerce alimentaire
2 Une nouvelle clientèle conquise
Le confinement a eu un effet déclencheur pour l'e-commerce alimentaire. Les barrières culturelles et psychologiques sur les produits frais (assortiment plus court, impossibilité de choisir et de toucher les fruits et légumes) ont été en grande partie levées. "Avant cette crise, le drive concernait les courses standard: l'eau, les articles d'hygiène pour enfants, les produits lourds, le papier de toilette..., note Dominique Schelcher, P-dg de Système U. Avec le premier confinement, les clients ont compris qu'ils pouvaient acheter des produits frais en ligne: boucherie, fruits et légumes, poissonnerie. Cela nous a poussés à développer notre offre sur ces catégories."
Les fruits et légumes ont ainsi très bien "performé" en drive pendant le premier confinement: 7,1% du chiffre d'affaires total du circuit. La part de marché du frais reste néanmoins très petite par rapport aux magasins physiques. Aujourd'hui, l'e-commerce alimentaire séduit au-delà de sa cible initiale: les familles avec jeunes enfants. "Auparavant, 75% du chiffre d'affaires du drive était réalisé par les familles ou foyers en couple sans enfant, des personnes de moins de 50 ans, indique Daniel Ducrocq (Nielsen). Nous observons à présent une clientèle de seniors notamment de retraités. Au vu des taux de croissance, une partie des seniors est restée."
En mars dernier, lors de la première semaine de confinement, 1,2 million de foyers supplémentaires s'y sont essayés, dont près de 500 000 retraités. Des foyers plus petits et de 50 ans et plus qui sont venus acheter sur le Web pour se prémunir du Covid-19. "Parmi les catégories les plus dynamiques en drive, nous retrouvons des produits affectionnés par les seniors: eau de Cologne, eau-de-vie, biscottes... Des produits habituellement pas très dynamiques", pointe Emily Mayer de l'institut Iri. Au global, durant les huit semaines, Kantar a estimé à 2,8 millions de nouveaux foyers clients sur les sites des GSA. "Cela représente 10 points de pénétration supplémentaires, analyse Frédéric Valette, directeur consommation chez Kantar WorldPanel. 40% d'entre eux sont revenus faire des achats pendant l'été, soit 1,1 million de clients qui semblent avoir été convaincus dont près de la moitié a plus de 50 ans."
En chiffres
- 8,5% C'est la part de marché estimée de l'e-commerce alimentaire dans le marché alimentaire global, en 2020. (Nielsen)
- L'e-commerce alimentaire représentait 9 milliards d'euros en 2019. (Institut Iri)
- Lors du reconfinement, l'e-commerce alimentaire était en croissance de 61% par rapport à l'an passé. Avec une hausse de chiffre d'affaires de 79% et des ventes atteignant près de 223 millions d'euros. (Nielsen)
- En 2020, l'e-commerce alimentaire a gagné deux points de part de marché par rapport à 2019 en se situant autour de 8%. Un niveau record pour ce canal qui était encore à moins de 6% en 2019. (Nielsen)
3 Des ventes en ligne portées par la grande distribution alimentaire
La fidélisation de cette nouvelle clientèle se consolide en raison des conditions sanitaires toujours très fragiles. "Nous nous inscrivons dans cette tendance et nos données montrent qu'en effet, post premier confinement, nombreux d'entre eux continuent à commander sur notre drive", indique un porte-parole d'Intermarché. Des observations constatées chez la plupart des distributeurs. "Nous constatons des changements d'habitude de consommation avec des paniers moyens très élevés en drive", note Dominique Schelcher.
Mêmes propos chez Monoprix où le distributeur a enregistré une accélération des ventes en ligne qui ont été multipliées par quatre durant le premier confinement. "La croissance de l'e-commerce est une tendance de fond, souligne Diane Coliche, la directrice générale exécutive. Dans 10 ans, l'e-commerce devrait représenter 15% du chiffre d'affaires." Actuellement, Monoprix indique qu'il se situe "entre 5 et 10%".
Pour Intermarché, le confinement a été une période exceptionnelle via une "croissance à trois chiffres" du commerce en ligne, des pics de trafic sur le site multipliés par dix et un nombre de commandes multiplié par quatre. "Nous ouvrions chaque soir à minuit de nouveaux créneaux drive qui étaient pris d'assaut en quelques minutes, pointe un porte-parole de l'enseigne. Nous avons su être agiles et souples pour que nos systèmes ne soient pas saturés avec par exemple des gestions de file d'attente. Nous pensons dépasser le milliard de chiffre d'affaires en 2020 sur l'e-commerce."
Chez Carrefour, l'e-commerce alimentaire a aussi significativement accéléré au cours des derniers mois. En France, la croissance s'élève à plus de 45%. "L'e-commerce a déjà contribué à la croissance du résultat opérationnel courant lors du premier semestre 2020", indique le distributeur. Ce phénomène d'accélération très important pour la grande distribution est donc lié à une demande très forte des consommateurs.
La crise sanitaire incite les consommateurs à recourir massivement au circuit on line.
4 Jean-Denis Deweine (DG Auchan Retail France) : "Auchan est le pionner de l'e-commerce alimentaire"
Depuis le premier confinement, l'e-commerce alimentaire a fortement progressé chez tous les distributeurs. Qu'en est-il pour Auchan?
Début 2020, notre chiffre d'affaires en ligne s'élevait déjà à plus de 10%, probablement le chiffre le plus haut parmi les distributeurs. Un certain nombre de grandes tendances de consommation sont à l'oeuvre: nous vivons de nombreuses transitions sur les plans alimentaire, digital, sociétal. Elles poussent les consommateurs à être de plus en plus digitaux en matière de choix ou de parcours de courses. Le Covid-19 n'a fait qu'accélérer, de manière assez spectaculaire, ces tendances vers le digital. Lors du premier confinement, nous avons connu une croissance de l'ordre de 100% de notre activité e-commerce durant quelques semaines. En 2020, nous dépasserons les 13% de chiffre d'affaires réalisé sur ce circuit (NDLR : l'interview a été réalisée en 2020), via une croissance de plus de 30%. Notre objectif est d'atteindre 15% en 2022.
Quelle est l'histoire d'Auchan dans l'e-commerce alimentaire?
Auchan est le pionner de l'e-commerce alimentaire: nous avons été les inventeurs du drive, en alliant le digital et l'alimentaire.
Le premier drive en France a été ouvert à Leers (Hauts-de-France) il y a vingt ans. Nous avons rôdé le concept dès le début des années 2000, en proposant sous forme de service gratuit à nos clients des hypermarchés la mise en coffre des produits. Cette proposition digitale a été augmentée avec le click and collect, y compris pour les produits frais. Nous avons ainsi lancé le site "Auchan Frais", à l'occasion des périodes festives de fin d'année, afin de répondre à l'afflux de clientèle et de commandes sur le rayon traiteur. Est venue ensuite une nouvelle étape au début des années 2010 avec la création de l'entité "Auchan direct" pour la livraison à domicile. Aussi en 2015, nous avons investi dans un entrepôt automatisé à Chilly-Mazarin (Essonne) pour pouvoir livrer en région parisienne. Notre offre digitale en alimentaire s'est d'abord construite à partir d'un parcours de courses et chaque parcours, d'une certaine manière, disposait de son propre site: "Auchan drive", "Auchan frais", "Auchan direct"... Aujourd'hui, nous avons unifié notre activité d'e-commerce alimentaire sous un même site "Auchan.fr". Notre objectif est de toucher le client en répondant à ses besoins à chacun de ses moments de vie via cette nouvelle proximité digitale. Ces nouveaux formats s'appuient sur l'effort de l'hypermarché auquel nous donnons une nouvelle vocation. Nous réexploitons ses mètres carrés, sous forme "d'entrepôts déportés", pour approvisionner nos petits magasins d'ultra-proximité digitale et ainsi minimiser le coût du dernier kilomètre.
Nous avons inauguré le tout premier drive piéton, "Auchan piéton", en 2014-2015 à Paris. Des magasins de toute petite surface que nous réimplantons en centre-ville. Pendant 50 ans, nous nous sommes implantés en périphérie en faisant venir les clients sur nos parkings. Aujourd'hui, nous effectuons le mouvement inverse, nous entrons dans les villes avec ces nouveaux formats. Lorsque nous implantons des "Auchan piéton", nous avons en moyenne 50% de nouveaux clients. Des consommateurs plus jeunes que notre clientèle habituelle.
Où en êtes-vous dans le développement des "Auchan piéton"?
Nous priorisons géographiquement la MEL (Métropole européenne de Lille), pour des raisons de proximité. Cinq "Auchan piéton" y ont déjà été inaugurés. Trois autres ouvriront début 2021 puis nous couvrirons les villes périphériques (Tourcoing, Roubaix, Villeneuve d'Ascq...). Notre objectif est d'atteindre 300 "Auchan piéton" fin 2021. Aussi, nous travaillons actuellement sur leur déploiement dans l'ensemble des métropoles de France. Pour cela, nous identifions les zones de vie, de chalandise à travers des algorithmes basés sur des data internes et externes, qui nous permettent de cibler les potentiels de quasi chacune des rues des villes en question. Nous pouvons ainsi définir au plus près le nombre de formats "piéton" réalisables dans une ville.
Quels changements percevez-vous auprès de votre clientèle en ligne?
Nous observons qu'une partie de notre clientèle, laquelle se rendait dans nos magasins (en hypermarché en particulier), a basculé sur les modèles digitaux, notamment sur le drive. Cette clientèle a pour caractéristique d'être plutôt senior. Ces clients ont certainement souhaité éviter la promiscuité et les risques sanitaires. Nous avons réussi à fidéliser une partie significative d'entre eux ces derniers mois. De fait, les paniers évoluent en raison de cette clientèle davantage senior, au pouvoir d'achat un peu plus élevé.
Nous allons devoir réviser nos offres produits sur les drives, en particulier, pour offrir davantage de produits frais. Ces catégories ont fortement progressé dans nos ventes. Pour cela, nous n'aurons pas besoin de mettre en ligne plus de références que nous en avons aujourd'hui. Nous réduirons très certainement la profondeur de nos réponses, c'est-à-dire, le choix multiple à un même besoin, pour privilégier la largeur. Par conséquent, nous devons proposer un plus grand assortiment sur certains produits, comme le bio, qui n'étaient pas forcément les stars de ces formats.
Vous avez signé un partenariat avec Glovo, société de livraison par coursier, dans quatre pays européens (Espagne, Portugal, Pologne et Ukraine). Avez-vous prévu de l'étendre notamment en France?
En France, nous avons des partenariats avec deux entités de livraison collaborative: Yper et Shopopop. Pour le moment, Glovo n'a pas répondu favorablement à notre appel d'offres sur le territoire français. Il considère que le marché de la livraison à domicile et du dernier kilomètre est beaucoup trop concurrentiel en France pour "en dégager" la valeur requise. Naturellement, la livraison à domicile et le dernier kilomètre en 30 minutes ou en une heure font partie de nos sujets de réflexion, nous sommes en discussion avec des professionnels.
Quelle est votre vision de l'évolution de ce marché dans les prochains mois?
Cette accélération du commerce digital dans l'alimentaire va se poursuivre, d'autant plus que de nouvelles formes de proximité digitale vont naître. La livraison à domicile restera toujours un service assez cher. Il n'y a qu'en Chine que le sujet se développe à très grande vitesse car le coût du dernier kilomètre est quasi nul. Dans les pays européens, lesquels n'ont pas les mêmes structures de villes qu'en Chine, le dernier kilomètre restera coûteux pour le distributeur ou pour le client. Au final, c'est une solution qui, de mon point de vue, tant que le coût du dernier kilomètre ne baisse pas, risque de demeurer marginale par rapport à la taille du marché alimentaire. En revanche, les formats de nouvelle proximité digitale vont connaître une dynamique extrêmement forte. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir le combat sur le piéton ou les magasins autonomes qui se hissent déjà auprès des enseignes. Ces formats donneront une vraie dynamique au commerce alimentaire on line.
Le nouveau directeur général d'Auchan Retail France, Jean-Denis Deweine, revient sur les conséquences de la crise sanitaire pour le secteur de l'alimentaire. L'occasion d'aborder les transformations du marché de la consommation et l'accélération de l'e-commerce alimentaire pour le distributeur.
5 Les nouveaux partenariats dans la distribution alimentaire
Dans l'e-commerce alimentaire, la France se distingue, depuis les années 2010, des autres pays via les drives opérés par les enseignes d'hypermarchés et supermarchés. "Ils concentrent l'essentiel des ventes on line de produits alimentaires, souligne Daniel Ducrocq, directeur du service Distribution chez Nielsen. Plus de 80% de la croissance de l'e-commerce "généraliste" reste réalisé par ce circuit." Déjà dynamique en 2019, le drive (plus de 5100, source Nielsen) demeure l'un des moyens privilégiés pour réaliser ses courses.
Avec la crise sanitaire, tous les drives accolés à un hypermarché ont soudainement accru leurs performances. "Avant le premier confinement, plus de 700 d'entre eux ne dépassaient pas la dizaine de commandes par semaine: ils ont en moyenne triplé leur chiffre d'affaires. Certains ont même dépassé les 30 000 euros hebdomadaires", note Daniel Ducrocq. Le constat est identique pour les drives historiquement performants. Lors du premier confinement, certains ont réalisé un chiffre d'affaires quasiment équivalent à celui du magasin auquel ils sont rattachés, sur les catégories de produits les plus sensibles (alimentation infantile, lait, papier toilette...). "Pour un hypermarché, les bons chiffres de son drive permettent en partie de compenser les pertes du magasin lors des confinements, mais l'équation économique reste très souvent négative, du fait des forts coûts engendrés par cette nouvelle demande", pointe Daniel Ducrocq.
6 Le développement de la livraison à domicile
Parallèlement à ces dispositifs de click and collect, les enseignes continuent d'investir dans la livraison. "Au tout début de l'e-commerce alimentaire, dans les années 2000, les distributeurs ont tenté de se développer dans le commerce en ligne via la livraison, explique Delphine David, directrice d'études secteurs e-commerce, distribution, consommation au sein de l'institut Xerfi. Cependant, les consommateurs n'étaient pas prêts à payer ce service. Les enseignes alimentaires se sont alors déportées sur le drive. Depuis les années 2010, elles reviennent progressivement ou testent la livraison à domicile. Les distributeurs redoutent l'arrivée d'Amazon sur le marché français avec "Amazon Fresh", son supermarché en ligne."
Le succès du drive piéton
"Le drive piéton, apparu il y a 3-4 ans, permet à des distributeurs absents des centres-villes de venir avec une nouvelle forme de commerce via un assortiment plus large et des prix plus compétitifs, souligne Daniel Ducrocq de l'institut Nielsen. Cet axe va se développer, d'autant plus dans le cadre d'une crise économique où le prix redevient primordial pour les consommateurs. Par ailleurs, le contexte va faciliter les ouvertures, en raison de fermetures définitives de commerçants, avec de nombreux locaux de 70-80m2 disponibles." Ce nouveau mode de distribution, à destination des urbains non véhiculés, vient concurrencer de manière frontale les magasins de centre-ville en général et la proximité en particulier, comme le faisait déjà la livraison à domicile. Les consommateurs profitent des prix et de l'offre de l'hypermarché pour effectuer leurs courses. "En regroupant les deux formes de drive, voiture et piéton, nous sommes à presque 8 % du chiffre d'affaires des grandes surfaces alimentaires", indique Emily Mayer de l'institut Iri. Le drive piéton reste encore modeste en termes de parts de marché. Néanmoins, il est le circuit le plus dynamique avec une croissance moyenne de 85% sur l'année (la croissance s'élevait à 179% lors du premier confinement). Avec 600 sites répertoriés, le maillage s'intensifie, même si Paris continue à concentrer une majeure partie de l'offre.
Certains acteurs ont néanmoins réussi à percer sur ce segment, comme Houra ou Monoprix, via un positionnement premium. Si le marché reste toujours déséquilibré en faveur du drive, la croissance de la livraison à domicile s'élève à plus de 30% en 2020. Localement, sa part augmente dans les grandes villes, comme à Paris, où le poids de la livraison à domicile reste plus important. Tandis qu'elle demeure faible en dehors des grandes agglomérations. "Elle représente un peu moins de 400 millions d'euros de chiffres d'affaires, cela est très petit mais dynamique, souligne Emily Mayer, directrice Business Insights au sein de l'institut Iri. Les consommateurs doivent accepter de prendre en charge les frais de livraison ou atteindre un très gros panier de courses pour ne pas les payer. La progression de la livraison à domicile est donc limitée par l'existence du drive."
Les services de livraison à J+1 se sont, pourtant, multipliés chez les distributeurs. "La livraison à domicile va continuer de se développer, souligne Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Le problème réside dans le modèle économique: tant qu'il n'y a pas de volume, cela reste économiquement difficile à soutenir. Au Royaume-Uni, par exemple, les volumes sont très importants et permettent d'industrialiser le modèle." L'activité demeure compliquée à rentabiliser.
7 De nouvelles alliances avec les acteurs de la foodtech
Néanmoins, la crise sanitaire a permis à la grande distribution de s'allier à des sociétés de livraison pour renforcer leurs offres sur ce créneau. "Il y a une équation économique à régler, note Marc Lolivier. Nous sommes sur du service additionnel à très forte valeur ajoutée. Pour conserver un fort niveau de qualité, il faut travailler sur de grands volumes, d'où l'intérêt de s'allier. Nous allons voir des alliances, certains vont truster le marché. Il sera de plus en plus difficile d'avoir une multitude d'acteurs car les investissements sont de plus en plus importants, pour atteindre des niveaux de services et de qualité extrêmement élevés."
En avril dernier, Carrefour et Uber Eats se sont ainsi associés pour livrer à domicile les consommateurs en moins de 30 minutes. D'abord à Paris et en région parisienne, avant d'étendre le service à l'échelle nationale. Un service supplémentaire pour livrer rapidement de petits paniers de courses. "Nous avons commencé par 15 magasins à Paris, indique Bastien Pahus, directeur général d'Uber Eats France. Aujourd'hui, nous en sommes à plus de 330 dans plus de 100 agglomérations. Notre objectif est d'atteindre 500 points de vente dans les prochains mois. Nous avons travaillé sur l'assortiment des produits en regardant les commandes des consommateurs, ce qu'ils venaient chercher sur l'application..." Plus de 1000 références sont aujourd'hui disponibles: fruits et légumes, produits laitiers, pâtes, riz, conserves, articles d'entretien et d'hygiène, boissons...
Côté modèle économique, Carrefour rémunère Uber Eats via une commission sur les ventes. Les clients paient également à chaque commande des frais de livraison. En parallèle, on voit d'autres partenariats dans la grande distribution, comme celui de Deliveroo avec les enseignes du groupe Casino, après avoir testé le service avec Franprix en 2019. L'objectif du partenariat est de couvrir 1500 magasins à l'horizon 2021. Le service de livraison s'engage également à livrer en 30 minutes, en moyenne. De leur côté, Système U et la start-up française La Belle Vie se sont associés pour permettre aux Franciliens de bénéficier d'un service de livraison optimisé: des livraisons en moins d'une heure à Paris et trois heures en Ile-de-France.
"Ces offres demeurent limitées généralement à Paris ou aux grandes villes, nuance Delphine David, de l'institut Xerfi. Elles répondent à une clientèle urbaine en demande de ce type de services. Ces partenariats offrent aux enseignes la possibilité de se positionner sur ce marché de la livraison express sans réaliser d'importants investissements. Si ces alliances permettent aux distributeurs de profiter d'audiences considérables, elles ne sont pas exemptes de risques, comme l'intermédiation croissante de la relation client." Par ailleurs, l'e-commerce alimentaire continuera de progresser par les gros paniers de courses de sa clientèle familiale. "Ce service demeure intéressant pour développer le business des achats du déjeuner, souligne Daniel Ducrocq. Les consommateurs n'ont pas le réflexe d'effectuer une commande sur des produits de grande consommation. C'est donc un moyen de toucher un autre moment de consommation."
Quelles perspectives post-Covid?
Comment capitaliser sur cette croissance de l'e-commerce alimentaire? Selon Emmanuel Fournet, directeur idées et clients analytiques du service à la distribution chez Nielsen, il s'agit de "travailler les irritants les plus évidents pour la clientèle et déjà identifiés, comme la disponibilité des produits ou l'achat de produits frais, mais il est aussi nécessaire de prendre en compte les enjeux à plus long terme". Parmi eux, différents sujets sont clés: élargir la cible consommateurs, par l'extension de la disponibilité des services existants ou la création de nouveaux partenariats (côté distributeurs ou côté marques en vente directe au consommateur) ; améliorer l'expérience clients online (en termes de navigation, de suggestions proactives de produits basées sur des préférences ou sur les achats précédents ou par des solutions de réalité virtuelle). Les distributeurs doivent également améliorer l'expérience cross-canal, en rendant plus fluide le lien entre magasins physique et virtuel, ou encore via la proposition de valeur pour les consommateurs grâce à des comparateurs de prix ou de produits, de programme de fidélité spécifique pour réduire les coûts de livraison par exemple... Au-delà des nouveaux services, l'assortiment reste un enjeu majeur pour les drives comme pour la livraison à domicile des enseignes à dominante alimentaire.
La crise sanitaire a permis à la grande distribution de s'allier à des sociétés de livraison pour renforcer ses offres sur ce créneau et mieux gérer la forte demande sur l'e-commerce.
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