Le secteur de la librairie indépendante fait de la résistance
Longtemps dite moribonde, la librairie indépendante va, qu'on se le dise, bien. Un pronostic qui prouve que face aux Goliaths de la distribution - Amazon en tête - les "petits" peuvent toujours gagner. A condition d'être unis.
Je m'abonne
A l'évocation d'Amazon Books, la librairie de Seattle du géant du e-commerce qui, provocante imitation, concurrence depuis octobre dernier les libraires sur leur terrain de la vente "physique", Guillaume Husson ne frémit pas. " Je ne sais pas s'il on peut appeler ça une librairie" s'interroge à haute voix le délégué général du syndicat de la librairie française (SLF). "C'est tout petit - l'équivalent d'une librairie de taille moyenne - et puis les livres sont très peu nombreux" relativise d'emblée l'ancien chef du département de l'économie du livre à la direction du livre et de la lecture du Ministère de la Culture. Avant d'asséner : "Ces deniers sont sélectionnés à partir des meilleurs ventes d'Amazon.com alors qu'une vraie librairie doit certes se soucier de la demande mais aussi - surtout - faire découvrir des livres moins connus à ses clients. C'est bien de mettre en avant La Peste de Camus, le Petit Prince de Saint Exupery et autres classiques mais ce n'est pas assez".
Investir ensemble pour exister sur Internet
"Le plus important réseau au monde"
Même pas peur, en somme. Il faut dire que face à la menace des géants de la distribution - en ligne ou pas - les librairies indépendantes françaises, dont l'homme est en quelque sorte le porte-parole, ont pour se défendre un certain nombre d'atouts. A commencer, justement, par leur nombre. Il en existe plus de 3000 sur l'ensemble du territoire - dans les grandes villes mais aussi les petits villages - ce qui fait de la France le pays le mieux doté au monde en la matière. Un écosystème constitué d'acteurs concurrents... mais pas que. A la tête du syndicat de la librairie française, Guillaume Husson a justement a coeur de "faire en sorte que les libraires travaillent en réseau". L'union fait la force, bien sûr... le dicton est d'autant plus vrai sur Internet où, note-il, "le fait d'être présent requiert des investissements souvent hors de portée pour des acteurs de taille moyenne".
Une marque; des collectifs
Depuis novembre 2014, les librairies indépendantes ont lancé leur marque éponyme. Objectif : valoriser et identifier ce réseau d'acteurs hétéroclites unis dans leur opposition à un modèle économique mais aussi dans leur adhésion à des valeurs communes : relation humaine, proximité et diversité. Un tiercé gagnant qui fait toujours recette auprès du public. "Il y a un fort attachement à ces lieux qui font figure de véritables acteurs de la vie culturelle dans leur quartier d'implantation" note Guillaume Husson. Qui attribue l'origine de la marque à un sondage commandité par le SLF. "Il mettait en évidence un taux de fidélité des clients qui n'était pas à la hauteur de ce capital sympathie". D'où le besoin de communiquer, ensemble. Une stratégie collective déclinée à plus petite échelle dans nombre de collectifs régionaux. Paris Librairies rassemble, à titre d'exemple, une centaine de parties prenantes qui ont choisi de s'unir pour offrir des service de réservation, de géolocalisation des livres en ligne, de "click and collect'...
Des geeks aux "tradis" : une large palette de profils
"Des ventes en hausse de 2,7% en 2015"
"Certains de nos libraires sont de vrais geeks" explique, de fait, Guillaume Husson. Qui en profite pour enterrer une vieille idée reçue. "Nous ne sommes pas contre Internet". En témoigne un certain nombre de librairies indépendantes, hyper-actives sur les réseaux sociaux, qui multiplient les services en ligne et, comble peut-être de la digitalisation, investissent le secteur de la vente de livres numériques. "Il existe une large palette de profils qui va du plus technophile au plus traditionnel" poursuit Guillaume Husson. Qui fait, en creux, un plaidoyer pour une réponse libre aux sirènes de la digitalisation. "Il n'y a pas de tabou". Mais si certains irréductibles choisissent de cultiver leur différence en restant soigneusement hors de la toile, les librairies indépendantes sont majoritairement impliquées dans la réinvention de leur modèle par le digital. "Pour les 500 ou 600 plus gros acteurs du secteur, la question ne se pose même pas. Si elles n'offraient pas une déclinaison en ligne des services proposés en magasin, leurs clients ne le comprendraient pas" tranche Guillaume Husson. Un nouveau standard qui témoigne d'une vitalité corroborée par les indicateurs du marché. Longtemps dite moribonde, la librairie indépendante se porte, qu'on se le dise, bien. "En 2014, cette dernière a été le segment du marché le plus en progression. On constate en outre une stabilité du nombre de librairies depuis une bonne dizaine d'années. Les choses bougent - certaines ferment, d'autres ouvrent ou sont reprises - mais dans l'absolu le nombre de baisse pas." Preuve que ces signes de bonne santé s'inscrivent dans la durée, l'observatoire de la librairie, créé l'année dernière par le SLF a rapporté le 5 janvier dernier une croissance de 2,7% des ventes dans les librairies indépendantes sur l'année 2015.
Lire aussi : Netflix, Squeezie et Elise Lucet, TikTok, Snapchat... Médias et réseaux sociaux : quoi de neuf ? (04 - 08 novembre)