« Les problématiques rencontrées par les entreprises sur le digital ont débloqué de nombreux investissements »
Spring Invest est un fonds d'investissement vertical spécialisé dans le RetailTech ainsi que le commerce connecté et non connecté. Il a notamment accompagné la croissance de Cabaïa, marque d'accessoires créée en 2015 par Bastien Valensi et Emilien Foiret. Pilotée par un quatuor de partners, issus du monde du buyout et du venture généraliste avec une forte composante grande distribution et distribution spécialisée, pour certains d'entre eux, la structure est en train de préparer la levée d'un deuxième fonds pour financer des sociétés plus matures en prospectant notamment un peu plus à l'échelon européen. Laurent Foiry et Xavier Faure, tous deux partners au sein de la structure, nous donnent leur point de vue d'investisseur sur le paysage de l'e-commerce français et nous exposent leurs projets dans ce domaine.
Je m'abonneQuelles sont vos cibles d'investissement ?
Nous nous intéressons d'une part aux modèles de commerce comme la marketplace, le direct to consumer, l'approche omnicanale (etc.) ainsi qu'aux nouveaux usages comme la seconde main, les circuits courts, la location avec un fort prisme sur le digital bien entendu. D'autre part, nous ciblons l'écosystème formé par les prestataires fournisseurs d'outils et de technologies pour les marchands et e-commerçants. C'est la plus grosse partie de notre activité. Nous avons ainsi récemment bouclé une levée de fonds de deux millions d'euros pour industrialiser le robot Ouidrop, société qui propose une solution de click & collect robotisée fabriquée en France. Le centre de shopping Westfield en a ouvert un au Forum des Halles au printemps avec Ouidrop. C'est pratique pour les relais colis et les drive opérés par les retailers.
Nous investissons aussi au capital d'éditeurs de logiciels, comme nous le faisons actuellement dans une entreprise qui propose des solutions permettant d'améliorer la performance de l'acquisition de clients sur Google et Méta pour les e-commerçants. Le retail media fait aussi partie de nos activités en portefeuilles. Notre fonds a également investi au capital d'une société éditant un logiciel qui facilite le ciblage de vendeurs sur Amazon pour faire de la data analytics et améliorer leurs performances globales dans cet environnement particulier de marketplace. Nos participations sont souvent dans du software donc mais parfois on fait aussi de la logistique aussi.
Les acteurs de l'e-commerce français vous semblent-ils affûtés sur le plan technologique ? Viennent-ils vous chercher pour les aider à repérer de futures pépites ?
Nous ne sommes pas consultants et nous ne facturons pas de prestations de conseil. Néanmoins, nous avons tissé des liens avec une cinquantaine de retailers, d'e-commerçants et de marques. Cela nous permet de recueillir leurs besoins. Donc cela enrichit notre réflexion et notre sourcing. Nous passons au crible tout le marché pour déterminer quelles sociétés pourraient répondre à ces demandes particulières. Parfois, nous faisons même le go-between de façon sporadique entre une société et d'autres acteurs ou groupes plus pertinents que nous. Pour bien faire notre métier d'investisseur, nous nous nourrissons d'informations. Or, pour en avoir, il faut aussi en donner. Plus on sent les trends, les besoins, les bonnes pratiques et les erreurs à ne pas faire, mieux on maîtrise la pertinence de nos investissements. Nous parlons à tout le monde et les langues se délient plus facilement. La grande distribution est un secteur exigeant, assez musclé et si on donne des infos intéressantes, là on obtient une écoute et une ouverture qui nourrissent notre intelligence de marché interne. Dans la plupart de nos investissements, nous sommes partis d'un besoin et non d'un modèle de deal flow traditionnel le plus large possible.
Vos LPs (Investisseurs en capital d'un fonds) ont quel profil ? Et quel ticket d'investissement mettez-vous en général dans vos participations ?
Ce sont des institutionnels comme Bpifrance ou des assureurs ainsi que des family offices représentants des familles de la grande distribution et de la distribution spécialisée situées dans le Nord de la France et en Belgique. Nous n'avons pas voulu au final faire entrer des retailers ou des e-commerçants au capital du fonds car cela aurait pu générer des risques de conflits d'intérêts. Mais avec le temps, nous avons reçu des appels de membres du comex de grands groupes pour nous interroger sur la revue du marché, les rachats qu'ils envisageaient, les cibles potentielles, les valorisations attendues pour ces sociétés, etc. Cela nous a montré que notre démarche était pertinente et légitime auprès de ces acteurs.
Nous investissons de façon opportuniste des tickets de plus ou moins deux millions au premier tour, quitte à réinvestir ensuite. Notre horizon de sortie est classiquement compris entre 4 et 5 ans. Nous avons fait cela dit notre première sortie au bout de trois ans avec Cabaïa, un très beau business model omnichannel très bien exécuté par l'équipe en place. Nous ne nous précipitons pas sur les sorties non plus, d'autant plus quand on vend à des noms importants du secteur qui savent acheter ! La période de la pandémie a été chahutée et comme nous avons closé notre fonds fin mars 2020, nous n'avons finalement vécu que des moments particuliers avec beaucoup d'instabilité et peu de visibilité, même si les problématiques rencontrées par les entreprises sur le digital ont débloqué de nombreux investissements. Actuellement, les conditions de marché sont compliquées donc il faut laisser du temps au temps pour que les sociétés se développent et croissent de façon saine.
Lire aussi : Pierre-Yves Marteau (Camif) : "Nous travaillons exclusivement avec des partenaires français et européens"
Comment jugez-vous la dynamique de marché actuelle dans l'e-commerce ?
Dans ce secteur, beaucoup d'acteurs souffrent terriblement en raison de l'insuffisance du niveau de marge, du manque de profondeur de stocks et de leur grande dépendance par rapport au sourcing. Si tout cela n'est pas optimisé et géré avec rigueur, ça ne peut pas marcher en fait. C'est un métier très compliqué. La seconde main reste aussi un sujet complexe à gérer. Les enseignes s'y lancent parfois plus pour cultiver leur dispositif RSE. Cela peut les aider aussi auprès des banquiers à obtenir quelques points d'intérêt bancaire mais fondamentalement, il y a des questions encore insolubles en termes de coûts, de marges, de volumes. Avec la crise, l'essor de ce marché est incontestable mais les logiques économiques à mettre en place derrière sont loin d'être évidentes (ex : gestion des taux de retours colossaux sur la seconde main, processing des articles, etc.). Beaucoup de marketplaces mettent des avatars pour faciliter les essayages. Mais il faut aussi que les modèles et les vêtements soient suffisamment bien faits pour que l'on sache vraiment comment le vêtement va tomber, être porté, etc. La filière habillement et chaussures fait face à la très forte concurrence de la fast fashion à la chinoise (Temu, Shein, etc.). Dans la grande distribution, les acteurs du mid-market type Carrefour et Auchan souffrent beaucoup de la rivalité les opposant à Aldi, Lidl et Action. A l'opposé, la distribution haut de gamme fonctionne plutôt bien.
Quelles sont les prochaines étapes pour votre fonds ?
Le principal enjeu est le closing de notre deuxième fonds que nous aimerions lancer au début de l'année prochaine. Notre premier fonds était d'environ 35 millions d'euros. Il est d'ailleurs encore en cours de déploiement et nous en garderons encore une partie pour assurer le refinancement de nos actifs en portefeuille. Ce premier fonds était une sorte de « proof of concept (POC) ». Avec le deuxième fonds, nous voulons monter en puissance. Le montant sera supérieur à celui du premier. On va sans doute vouloir élargir un petit peu plus notre périmètre d'action, en nous montrant un peu plus opportunistes en matière de taille et de maturité d'entreprise et en allant sans doute à l'international en tout cas en Europe au moins.