"Les retailers français sont passés en mode reconquête", Cédric Ducrocq (Diamart Group)
Violemment bousculés par les pure players, les retailers doivent se réinventer pour faire à nouveau pétiller l'oeil du consommateur, désormais habitué aux standards du Web. En observateur attentif, Cédric Ducrocq, président de Diamart Group, assiste à un éveil tardif mais salutaire des acteurs.
Je m'abonneQuelles évolutions marquantes identifiez-vous dans le commerce?
Petit rappel du contexte tout d'abord. Le marché de la consommation en France ne progresse pas. En conséquence, la part du gâteau n'augmente pas non plus et, par ailleurs, une part des dépenses des ménages se déporte aujourd'hui sur l'e-commerce. Mécaniquement, le chiffre d'affaires et le trafic dans les magasins diminuent donc. Année après année, la performance par mètre carré s'érode. Certaines enseignes réussissent à compenser cette érosion tendancielle, mais pas toutes. Les autres sont à la double peine. Mais cela ne veut pas dire que les clients n'aiment plus les magasins. Bien au contraire! Ils continuent de fréquenter en majorité les boutiques, notamment pour la valeur ajoutée liée au conseil. Mais les retailers vont devoir proposer des magasins rentables si le chiffre d'affaires continue de s'éroder. C'est une équation économique autant qu'une problématique de marketing. Le business model est à trouver.
Pour autant, l'activité digitale peut venir compenser la baisse du chiffre d'affaires dans les points de vente?
Oui et non. Car pour un retailer physique, devenir omnicanal consiste à dépenser beaucoup d'argent pour en fait transformer un CA rentable en CA non rentable. Ce que je veux dire, c'est que les coûts sont multipliés par deux même si cette étape est nécessaire. La transition digitale s'impose bien sûr, mais il faut donc que les retailers inventent une expérience d'achat suffisamment motivante pour continuer à attirer les consommateurs. Le défi du commerce dans les cinq prochaines années, ce n'est pas de faire des flagships sur les Champs-Elysées, c'est plutôt de trouver des modèles de magasins rentables et duplicables dans la banlieue de Carcassonne!
"Le distributeur doit interagir avec le client et délivrer sa proposition de valeur avec une grande diversité de canaux"
Vous pensez le magasin comme un "Rubiks Cube de fonctionnalités marchandes" c'est-à-dire?
Dans l'ancien monde, un distributeur veillait surtout à faire respecter la promesse de l'enseigne de manière cohérente. On était dans une vision monolithique de l'entreprise. Dans le nouveau monde, celui des plateformes, le distributeur doit apprendre à interagir avec le client et lui délivrer sa proposition de valeur avec une grande diversité de canaux, de formats et de modèles. On définit davantage aujourd'hui une expérience avec une enseigne à travers ses fonctionnalités plutôt qu'en lien avec le point de vente physique. Darty et son contrat de confiance l'illustrent parfaitement. Dès lors que la marque a lancé sa marketplace, le coeur de la promesse Darty n'était plus garanti. Dans l'ancienne vision du commerce, c'est une trahison. Aujourd'hui, c'est normal. Un retailer se définit désormais comme une marque qui se décline de manière flexible dans des écosystèmes ouverts, de formats et de canaux différents.
Quel changement de cycle annoncez-vous dans ce secteur?
Le déclencheur du changement de cycle est avant tout digital et technologique. En parallèle, les nouveaux acteurs apportent des business models d'une efficacité et d'une violence concurrentielle auxquels les retailers physiques n'étaient pas habitués. Sur certains secteurs, la mise sous pression est très forte. Cependant, un changement est en train de s'opérer. J'assiste au début de la réinvention, de la transformation du retail physique par le digital et la technologie. On commence à discerner le retail physique de demain. Cette mue s'appuie sur la technologie. Les retailers français sont longtemps restés passifs, mais depuis quelques mois, ils sont passés en mode reconquête.
À quels défis le secteur du commerce doit-il faire face?
Il faut, en premier, restaurer de l'attractivité en magasin. Pour cela, l'achat en boutique doit être aussi simple et efficace que sur Internet. L'excellence opérationnelle (la chasse aux irritants) est importante pour rassurer le client. La qualité de l'interaction avec le produit (politique de merchandising, essayage) aide aussi à justifier le déplacement du consommateur. La relation avec les vendeurs dont le rôle est axé sur l'accompagnement et le conseil (déploiement des tablettes) est stratégique. La prochaine étape sera la reconnaissance du client dès son entrée en magasin. À ce jour, cela ne fonctionne pas car les marques n'ont pas de connaissance sur leurs clients suffisante. En magasin, les recommandations personnalisées ne sont pas encore opérationnelles. L'ancrage dans le local est important. Les distributeurs leaders (Leclerc, Intermarché et Système U) sont des indépendants qui jouent la carte de la proximité.
En quoi la technologie peut-elle aider le retailers dans cette reconquête?
En leur offrant la possibilité d'inventer de nouveaux formats de magasins. À l'instar d'Hema Fresh, concept de magasin physique du groupe Alibaba en Chine. Ce réseau fait la moitié de son CA en livraison à domicile grâce à des délais de livraison très courts. Le magasin est très expérientiel avec des QR codes sur les produits frais qui renseignent sur la traçabilité. L'approche de l'interaction avec le client redéfinit le rôle du commerce. Autre exemple, le nouveau format de magasin de Saint Maclou, place de la Nation à Paris. Ce site de 150m2 a été totalement réinventé. Sans stock, la boutique ne présente que des échantillons mais qui couvrent la totalité de la gamme. Des bornes et des tables tactiles mettent le produit en situation avec des vendeurs transformés en coach décoration qui vont jusqu'à proposer la pose du produit.
Le commerce connecté est directement lié à une gestion de la data client. Où en sont les retailers français?
Les retailers les plus avancés, en termes de maîtrise de la data client, sont les pure-players. Ce qui est normal. Les distributeurs physiques en France sont peu matures sur le sujet. La difficulté pour eux est liée à l'identification tardive du client dans le parcours d'achat. C'est quand il passe en caisse que le client présente sa carte de fidélité. Il est donc difficile de personnaliser la relation ou l'offre dans la boutique. Dans ce contexte, la data sert la fidélisation. Il faut entrer dans une logique différente et inciter le client à livrer ses données contre des services associés, contre une certaine qualité des prestations et non des cadeaux ou des réductions. L'avenir de la relation client repose sur ce nouveau lien. Les retailers n'y sont pas encore.
À l'international, savez-vous quels sont les pays où la réinvention du commerce est déjà aboutie?
Aboutie, non. Mais, en Chine, il y a une digitalisation sans commune mesure avec la France. N'ayant pas d'historique, les Chinois construisent un commerce moderne. Ils ont également une appétence pour l'innovation extraordinaire et pas seulement dans le retail.
Le marché est-il amené à se concentrer selon vous?
Oui. Le marché physique est en mode défensif, ce qui signifie qu'il va y avoir un rapprochement des gros acteurs.
Exit la consommation de masse, place au commerce de proximité. Y croyez-vous?
La perte de vitesse des hypermarchés est surtout liée à la pertinence de l'offre, (hors alimentaire et achats courants) face aux magasins spécialisés. Pour l'achat d'une TV, le concurrent de Carrefour c'est Darty, et non Amazon. Les grands généralistes sont condamnés à une lente érosion. Quant aux petits commerces de centre-ville d'environ 200m2, ils n'ont pas la place d'exposer suffisamment de produits. Cela ne suffit pas à répondre aux appétits de consommation et à une expérience shopping satisfaisante. Donc, les formats intermédiaires (entre 2000 et 5000m2) ont de l'avenir.
Depuis 1992, P-dg, puis président de Diamart Consulting.
2017: Cofondateur de l'Institut du commerce connecté.