Peut-on vraiment vendre sur les réseaux sociaux?
Avec 4 Français sur 5 inscrits sur les réseaux sociaux et 72 Mds€ générés par les achats en ligne dans l'Hexagone en 2016, stratégie sociale et e-commerce ont tout intérêt à trouver un terrain de convergence. Mais peut-on vraiment vendre sur les réseaux sociaux ?
Je m'abonneLe phénomène de plateformisation, qui a déjà touché les médias avec, par exemple, la déportation de l'ensemble des contenus de MinuteBuzz sur les réseaux sociaux fin 2016, pourrait-il se déployer au secteur de l'e-commerce ? "Après les utilisateurs, puis la publicité, les prochaines sources de revenus des réseaux sociaux seront tirées de l'e-commerce", imagine Cyril Attias, fondateur et CEO de l'agencedesmediassociaux.com.
Et Olivier Ravel, directeur des activités e-commerce au sein d'Accenture Interactive, d'ajouter: "Le marché de la publicité en ligne a été complètement essoré, il est arrivé à une saturation des messages publicitaires, les réseaux sociaux vont donc devoir se tourner vers les transactions commerciales pour monétiser leur audience". Avec 72 milliards d'euros dépensés dans les achats en ligne en 2016 d'après les chiffres de la Fevad, soit une hausse de 14,6 %, le marché de l'e-commerce a de quoi susciter la convoitise des réseaux sociaux.
Social shopping : le modèle chinois
Avec ses 731 millions d'internautes sur 1,3 milliard d'habitants, le marché de l'e-commerce en Chine fait des envieux autour du monde de par son potentiel mais avant tout par sa configuration. " La Chine est un marché à part, qui n'a pas connu la naissance d'Internet en même temps que le reste du monde, et est ainsi passé directement à l'étape suivante, à savoir le m-commerce ", détaille Cyril Attias. En 2016, ils étaient 469 millions à acheter via leur smartphone, le commerce mobile représentant 55,5 % des transactions en ligne, contre seulement 26,5% en France. Or, "les internautes chinois ont découvert l'e-commerce en même temps que les réseaux sociaux", complète Olivier Ravel.
L'e-commerce asiatique intègre ainsi parfaitement les usages digitaux locaux, à savoir notamment l'utilisation massive du réseau social WeChat qui rassemble 768 millions d'utilisateurs actifs quotidiens. " Alors que les Français ont l'habitude d'un Amazon pour leurs achats en ligne, les Chinois eux ne jurent que par WeChat ", la plateforme ayant intégré une fonction de paiement qui en fait le portail de commerce multicanal numéro 1 en Chine.
Dans le reste du monde, les États-Unis, terre d'origine de la plupart si ce n'est de tous les réseaux sociaux, font figure de pionnier dans le social commerce. C'est sur le sol américain que Facebook a d'abord testé son onglet Boutique qui permet aux e-marchands de recréer un mini site d'e-commerce sur leur page, courant 2015, avant de déployer la fonctionnalité en France fin 2016. De même pour Pinterest dont le bouton d'achat immédiat, pour permettre aux 150 millions d'utilisateurs actifs mensuels de s'offrir le contenu de leurs pins, n' est disponible qu'outre-Atlantique. À l'inverse, " Pinterest a beaucoup de retard en France sur la question du social marchand ", relève Cyril Attias. Instagram venant notamment de lancer une nouvelle fonctionnalité se rapprochant des tableaux qui ont fait le succès du réseau social lancé en 2010.
Les freins français
Si les réseaux sociaux ont tout intérêt à attirer les e-marchands sur leurs plateformes, qu'en est-il pour ces derniers ? Si les données clients sont beaucoup plus qualifiées sur les réseaux sociaux, qui enrichissent les données sociodémographiques et les parcours de navigation d'indications précises sur les centres d'intérêt des internautes, ces dernières restent néanmoins leur chasse gardée. "Les réseaux sociaux dépossèdent les e-marchands du nerf de la guerre, la data, qui même si elle est beaucoup plus riche, n' est partagée que dans le cadre des campagnes de publicité", développe Cyril Attias.
De même pour l'audience des sites e-commerce, qui pâtit du temps passé sur les réseaux sociaux qui s'élèverait à près d'1h30 par jour chez les Français. " Tout est fait pour qu'un e-commerçant ne soit pas rentable, résume Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur de l'agence 1min30. Il est pris dans un effet de ciseau où il doit à la fois payer plus cher pour gagner du trafic, tout en baissant ses prix pour vendre plus que ses concurrents ". Sur Facebook par exemple, " la portée naturelle des posts des pages d'annonceurs s'est effondrée avec l'évolution des algorithmes du réseau social ", déplore Hervé Kabla, président de Be Angels, obligeant les e-marchands à " payer pour être vus ". Un modèle de vente sur les réseaux sociaux pourrait néanmoins intéresser " de nouveaux entrants qui n' ont pas encore les moyens de développer un site marchand ", avance Cyril Attias. Olivier Ravel, lui, est plus convaincu : " Vendre sur les réseaux sociaux n'est pas plus dangereux en matière de dépendance que de vendre sur Amazon ou eBay. Des acteurs de niche comme l'univers du luxe pourraient se lancer dans ce sens, car c' est un achat émotionnel et non d'impulsion."
L'achat d'impulsion, un levier?
Du côté des consommateurs, l'achat d'impulsion apparaît en effet comme l'un des seuls leviers susceptibles de les pousser à acheter sur les réseaux sociaux. En effet, les experts sont unanimes : la consommation des réseaux sociaux est placée sous l'angle du divertissement, les socionautes ne sont donc pas dans un contexte d'achat. Hervé Kabla fait le parallèle avec les deux vitesses de la pensée théorisées par le Nobel d'économie Daniel Kahneman : le système 1, rapide et intuitif, qui correspond au comportement sur les réseaux, en opposition au système 2, plus lent et réfléchi, mis en oeuvre dans le cas d'un achat en ligne.
Cyril Attias illustre ce phénomène par le cas d'école Longchamp, qui s'est essayé à la f-boutique sur Facebook en 2011, sans succès " car les internautes ne sont pas dans une logique d'achats sur Facebook, à la limite de partage ". Les seuls achats susceptibles d'être provoqués sur les réseaux sociaux sont les achats d'impulsion, par nature imprévisibles. " Une stratégie peu ROIste sur le long terme " pour Olivier Ravel d'Accenture Interactive, face à la valeur dissuasive du panier moyen sur WeChat : sept dollars. Le paiement est un autre frein au social shopping pour les consommateurs. À l'inverse d'un marché chinois mature qui repose sur des solutions telles qu'Alipay, actuellement les réseaux sociaux n'intègrent pas pour l'instant en France de moyen de paiement simple et sécurisé. " Il existe d'importantes perspectives dans l'achat social, notamment via les chatbots. Seulement il doit y avoir un intérêt pour le consommateur : le paiement doit être plus rapide, et surtout ne doit pas nécessiter de renseigner ses codes bancaires ", expose le fondateur de l'agencedesmediassociaux.com. D'autant que face aux " importants investissements réalisés par les e-marchands sur les plateformes e-commerce ", développer des solutions de paiement pour les réseaux sociaux n'est pas dans l'intérêt des acteurs du marché.
Les atouts business des réseaux sociaux
Pour autant, les e-marchands ont à présent bien intégré les réseaux sociaux dans leur stratégie globale : " La stratégie sociale étant la première étape de l'entonnoir pour créer la vente, elle attire l'attention au début du parcours d'achat ", selon Gabriel Dabi-Schwebel. Le fondateur de l'agence 1mn30 estime qu'ils sont un " outil de diffusion de la marque ". Pour Nescafé par exemple, qui ambitionne de " rapprocher les gens autour d'un café ", comme le présente son responsable digital France Paul Cordina, la présence sociale permet de cultiver les valeurs de proximité et de partage. Illustration : en 2013, dans la websérie Facebook "Really friends ?" imaginée par Publicis Conseil, un jeune homme partait à la rencontre de ses 1 200 "amis" Facebook pour partager un café. En 2016, la stratégie sociale de la branche café du groupe Nestlé a généré 16 millions d'interactions.
Les réseaux sociaux sont également un support de diffusion de l'engagement de la marque, à l'instar d'Etsy, très actif sur Pinterest (la version américaine du site a été l'un des premiers annonceurs à installer le bouton "pin it" sur ses fiches produits) qui, en plus de ses produits et de ses créateurs, " met en avant les valeurs de la marque : engagement environnemental, humain, ou encore volontariat, des sujets qui intéressent tout autant voire plus la communauté ", énumère Pierre Louis Lacoste, country manager d'Etsy France.
Une nouvelle voie de communication
Vitrine de la marque, les réseaux sociaux sont également " une vitrine de communication supplémentaire ", selon les termes de Florence Chaffiotte, directrice marketing de Monoprix. Le retailer rassemble aujourd'hui plus d'1 million de fans sur Facebook (et possède également des comptes Twitter, YouTube, Instagram, Pinterest ou encore Snapchat depuis 2016) où il présente ses actualités, ses services et ses derniers produits sur le ton du storytelling avec une identité qui lui est propre. Les packagings de sa marque de distributeur qui ont fait son succès sont devenus un support de communication à part entière qui se décline sur les réseaux sociaux : à l'instar de l'application Facebook "les messages en boîte" relancée à l'occasion de la Saint Valentin 2017, qui a touché 500 000 internautes et généré pas moins de 12 000 interactions. En plus de la publicité, brand content ou posts sponsorisés qui sont légion sur les réseaux sociaux, un autre levier est plébiscité pour générer des ventes : la recommandation de produits, ou quels produits pousser sur les réseaux sociaux pour avoir le maximum d'impact sur la cible et maximiser les chances d'opérer un achat.
Pour répondre à cette question, les e-marchands peuvent s'appuyer sur la richesse de la connaissance client issue des réseaux sociaux. Voyages-SNCF par exemple, " qui a toujours eu pour partis pris d'être présent là où ses clients le sont, à savoir sur les réseaux sociaux ", selon son directeur France Julien Nicolas, voit dans les plateformes sociales " un formidable outil de relation client pour recueillir les avis et les idées, plus prolifique que les canaux traditionnels ". C'est pourquoi la branche du groupe SNCF a créé pas moins de trois fils Twitter distincts, afin de séparer les actualités commerciales, les actualités corporate et le canal de relation client. Ce dernier, qui compte plus de 21 000 followers (soit le plus suivi des trois comptes), est géré par des conseillers clients et promet depuis début 2015 une réponse en moins de deux heures. " Pour un e-marchand, rentabiliser un client passe par sa fidélisation, soit la capacité à entretenir la relation au quotidien et de façon qualitative via les réseaux sociaux ", synthétise Olivier Ravel. Une relation qui emprunte une logique cross réseaux sociaux comme la schématise Cyril Attias d'agencedesmediassociaux.com : " Les annonceurs mettent en place un service après-vente sur Twitter, animent la conversation autour de la marque sur Facebook, et créent l'inspiration sur Instagram. "