[Tribune] Crise sanitaire: pas de solidarité sans achat local, mais à quel prix?
La crise de la Covid-19 a contribué à la priorisation de certains enjeux qui étaient jusque-là souvent sous-estimés en entreprise. Elle a accentué le rôle de l'achat local, qui constitue aujourd'hui une préoccupation majeure, impliquant tout l'écosystème économique et entrepreneurial.
Je m'abonneLes acheteurs ont été extrêmement sollicités pendant la crise sanitaire. Que ce soit dans l'acquisition de produits de lutte contre la Covid-19 ou sur les modalités d'approvisionnement, ils ont été contraints de faire évoluer leurs habitudes. Il est encore trop tôt pour une réelle prise de recul, cependant les questions majeures relatives aux politiques d'achat et à la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement occupent désormais le devant de la scène: quelle est la dépendance d'une entreprise vis-à-vis des marchés étrangers? Vis-à-vis des fournisseurs? Vis-à-Vis d'une crise climatique, d'une pandémie ou d'une crise politique?
Le digital a incontestablement prouvé sa force, ses bénéfices et ses vertus lors de la crise sanitaire. Less entreprises "digitalisées" sont restées opérationnelles lors du premier confinement alors que les autres ont été fortement ralenties, voire stoppées. Pour le secteur des achats, la Covid-19 a amplifié la dématérialisation des processus tels que la facturation ou le suivi de la livraison, néanmoins un point stratégique à ne pas minorer se trouve ailleurs, la notion de prix.
L'importance accordée au prix est à l'origine de dépendances majeures qui ont été révélées pendant la crise. Par exemple celle à l'égard de la Chine sur les approvisionnements de masques lors du premier confinement. Cette crise a ainsi été à l'origine d'une remise en question concernant la définition même du prix. Qu'est-ce qui le constitue? Comment y intègre-t-on les paramètres tels que le risque, la dépendance ou le prix social? Ces interrogations font évoluer les enjeux du prix dans l'activité et dans l'organisation des entreprises.
Le paradoxe de l'achat local
Il y a aujourd'hui une prise de conscience de la nécessité de l'achat local. Est-ce une réaction émotionnelle passagère due au contrecoup de la crise? Ou la Covid-19 sera-t-elle un électrochoc impliquant des changements pérennes dans les politiques d'achat? Difficile de se prononcer pour le moment.
Les acheteurs se trouvent souvent dans une situation paradoxale, où il leur est demandé à la fois de réaliser des économies et de s'inscrire dans une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises) dans laquelle il est plus difficile d'obtenir des prix compétitifs. En effet, l'achat local, qui s'inscrit pleinement dans la stratégie RSE, était jusqu'à présent sous-utilisé au profit d'achats dans les pays "à bas coûts", plus rentables sur les gros volumes. Cependant, avec la montée en puissance de facteurs tels que le risque lié à la dépendance fournisseurs, la flexibilité du sourcing, la transition écologique, la solidarité avec les entreprises locales ou de l'ESS (économie sociale et solidaire), la notion de prix prend une nouvelle dimension.
Le prix "réel" va ainsi être perçu comme la résultante de plusieurs facteurs tels que le prix d'achat et d'approvisionnement, auxquels s'ajoutent à présent le coût carbone du transport, la contribution à l'écosystème local et le bénéfice social.
Cela signifie que les entreprises doivent impliquer toutes leurs équipes, de manière transverse, puisque le prix n'est plus un enjeu qui ne concerne que les achats. La crise a remis en question l'ensemble du fonctionnement de l'entreprise, impactant tous les métiers. C'est également le cas des achats publics, où, trop souvent, les prix bas entraînent une dégradation du tissu social que la collectivité doit financer par ailleurs.
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Mobiliser les écosystèmes pour démocratiser l'achat local
La transformation de la notion du prix ne sera pas naturelle et ne concernera évidemment pas tous les produits. Elle se fera à la condition que les réseaux professionnels, les filières et les acheteurs publics travaillent ensemble puisque l'un des freins actuels à l'achat local est le manque de lien et de relationnel entre les différents écosystèmes. Aussi, faut-il qu'ils se réunissent proactivement pour créer le cadre à une démarche fédératrice. C'est ainsi que pourra être construit un véritable écosystème où les acteurs d'un même bassin -grands groupes, ETI, PME, TPE- développent un relationnel durable et responsable. L'expansion de l'achat local aura lieu lorsque cette dynamique collective naîtra et se consolidera.
La crise de la Covid-19 a ainsi exacerbé la résilience des processus digitaux et a engendré la nécessité de créer un relationnel très fort. Ces deux mouvements qui transforment fondamentalement les deux bouts de la chaîne d'approvisionnement dressent un constat sans appel: il n'y aura pas de solidarité sans achat local.
L'auteur
Diplômé en 1996 de l'EDHEC Business School (majeure entrepreneur), Pierre-Olivier Brial débute sa carrière chez Bossard consultants. Engagé en 2001 par la société française Manutan en qualité d'adjoint au directeur de la recherche et développement, il prend en charge par la suite différentes fonctions de direction au sein du groupe, dans les domaines de l'e-business, du développement et du pilotage de zones géographiques européennes. Depuis novembre 2011, il occupe le poste de directeur général délégué. Il pilote le groupe aux côtés de Xavier Guichard, le petit-fils et fils des fondateurs de l'entreprise, et Brigitte Auffret, également directrice générale déléguée. Il préside parallèlement la commission digitale du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et le Club ETI d'Île de France.