[Interview] Anne Browaeys (Club Med): "Le digital est au service de l'émotion"
Lancement d'un nouveau site en France, réorganisation de l'entreprise, digitalisation des agences... Les sujets ne manquent pas au Club Méditerranée. Nommée directrice générale marketing, digital & technologies en octobre 2015, Anne Browaeys détaille la stratégie digitale du Club Méditerranée.
Je m'abonneVous venez d'être nommée directrice marketing, digital & technologies du Club Méditerranée. Pouvez-vous détailler ce périmètre ?
L'équipe comprend 150 personnes au siège sur des métiers qui vont des sujets IT que sont les " infras ", les ERP RH ou Finance, les applications commerciales et les sujets plus digitaux que sont le e-commerce, les outils de ventes B to B et des sujets plus marketing tels que le "online media", le CRM, le digital en village. Puis toute la partie marketing socle, qui est le marketing produit, les études clients, la communication, la publicité et les reportages. Dans le monde digital dans le lequel nous vivons les clients sont friands d'images et le Club Med s'est donné les moyens de produire de manière homogène et qualitative des vidéos pour tous nos villages dans le monde.
Quelle est votre vision des grandes évolutions du commerce induites par le digital pour le Club Med ?
Le phénomène de fond sur lequel nous travaillons le plus, dans une logique de moyen terme, est le cross canal. Dans le domaine du tourisme, nous sommes sur des achats impliquants de par leur montant et la nature du sujet, et avec la montée en gamme que le Club Med a réalisé depuis 10 ans, notre clientèle est plus exigeante vis à vis de ses vacances. Elle attend le meilleur de la marque qui va les accueillir. Cela signifie qu'avant de réserver des vacances au Club Med, quel que soit le canal, nos clients vont être omniscients, vont consulter de multiples sites, concernant les prix mais pas uniquement.
Il s'agit d'avoir un aperçu de ses vacances en anticipation. Ce phénomène est particulièrement vrai à l'international notamment pour des clientèles chinoises ou japonaises. Sur ces marchés, les gens prennent moins de jours.
"Nous souhaitons développer un lien extrêmement fort entre notre site internet, nos agences et nos call centers."
En Chine, la durée moyenne de vacances est de 4 jours plutôt que 7 jours en Europe. Quelles en sont les conséquences ?
L'intensité avec laquelle le digital va être utilisé pour se renseigner avant d'acheter est pour nous un élément de changement de fond dans la manière de travailler. Nous souhaitons dans les prochaines années développer un lien extrêmement fort entre notre site internet, nos agences et nos call centers. 9 clients sur 10 choisissant le Club Med ont visité ClubMed.com. Peu d'acteurs dans l'industrie du tourisme ont une marque aussi forte ! L'autre enjeu est d'intégrer le digital en agence pour favoriser la vente. Nos clients, les GM (gentils membres, ndlr) aiment échanger sur leurs vacances et nous pouvons leur proposer des expériences très qualitatives en agence.
Un concept-store a été lancé sur les Champs Elysées qui illustre bien cette digitalisation des agences...
En effet, dans l'agence des Champs Elysées, nous avons installé des casques de réalité virtuelle de marque Samsung Oculus, grâce auxquels les clients ont la possibilité de faire une visite à 360 degrés de nos plus beaux villages. Vous pouvez vous téléporter à Finolhu, aux Maldives, grâce à cette technologie ! Face à l'appétence pour cette expérience, nous avons déployé un plan de tournage pour l'ensemble de l'année afin de couvrir une vingtaine de villages en visite à 360°. Il s'agit d'un des éléments clés des apports du digital en agence physique.
Cette approche cross canal affirmée a-t-elle d'autres implications ?
Oui, le cross canal change également notre stratégie de vente des produits premiums ou complémentaires. Traditionnellement la vente additionnelle se faisait soit au moment de la réservation soit lors de l'arrivée du client en village... Nous réorientons nos démarches en utilisant davantage la période de deux mois avant le début du séjour. Lors de la réservation initiale nous créons un parcours simple, centrée sur la vente et la réservation du séjour. Nous préférons proposer des services additionnels dans un second temps ainsi que la proposition de services gratuits dont peuvent bénéficier nos clients.
Quels ont été les impacts sur votre organisation ?
La stratégie déployée sur le digital compte schématiquement deux parties. Le choix d'être " smart follower " pour tout ce qui est avant ou après l'achat. Et la volonté d'être un pionnier sur l'expérience digitale en village. Ce qui est au coeur de notre stratégie : c'est de respirer le même air que nos clients. Les usages de ces derniers ont changé et ces changements s'accélèrent. Ils veulent un mix d'éléments très rationnels, de réassurance mais aussi de détails sur l'ensemble de la prestation et in fine d'émotion. Toute l'orientation que l'on prend au Club Med sur le cross canal est de mettre le digital au service de l'émotion. En village, le digital est un moyen pour nos équipes de G.O (gentils organisateurs, ndlr) de faire vivre de meilleures vacances au client en faisant résonner les émotions. Ainsi, nous devons observer les usages de nos clients, les meilleures pratiques dans l'univers du tourisme et dans d'autres secteurs et être capable de déployer rapidement ces nouveautés. Cette mise en oeuvre rapide impliquait de changer la manière de travailler et c'est pour cela que nous avons revu l'organisation et réuni le marketing, le digital et la technologie.
Quels sont les fondamentaux de cette nouvelle organisation ?
L'objectif est d'avoir un time-to-market plus rapide qu'auparavant. Nous avons réuni les 3 équipes marketing, le digital et l'ensemble de la DSI. Pas seulement les applications IT commerciales mais l'ensemble de la DSI. Car nous avons aussi fait le constat que chacun des éléments de la DSI était important voire vital pour permettre à l'ensemble de l'entreprise d'avoir plus d'agilité. Nous nous sommes inspirés du monde de la Tech. Quand une entreprise bascule en méthode agile, elle gère des cycles courts tout en gardant en perspective des cycles plus longs. Tous les éléments de la méthode agile retrouvent leur écho dans la façon dont nos villages fonctionnent. La multiculturalité est inscrite dans les gènes du Club Med puisque nous avons 110 nationalités parmi les GO de nos villages. Cette adaptation permanente est dans la culture du Club Med.
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Vous êtes-vous fait accompagner dans cette transformation ?
Oui par le cabinet Octo Technologie qui nous a formé à la méthode et accompagné dans notre montée en puissance. Passer en méthode agile est un changement de fond qu'il ne faut pas sous-estimer.
"Depuis février 2016, notre trafic provient à plus de 50% du mobile."
Vous avez lancé une nouvelle version du site e-commerce en mars 2016, en mode agile. Quel est votre bilan ?
L'équipe e-commerce a travaillé en mode intégré marketing digital et IT. Cela nous a permis de démarrer le projet en mars 2015 et de lancer, dès le mois d'août, les premiers sites. Le Chili a été lancé en premier et la France, notre premier marché, a été lancé un an après seulement, c'est-à-dire deux fois plus vite qu'avec nos méthodes de travail antérieures. Nous y sommes parvenus car, en méthode agile, nous travaillons avec des méthodes telles que le MVP (minimum viable product) qui consiste à ne pas attendre d'avoir le produit idéal pour le lancer. Ce changement a été gagnant, car nous avons fait le choix de basculer le site en responsive. Et depuis février 2016, notre trafic provient à plus de 50% du mobile. Pour notre moteur de réservation, nous avons également fait le choix d'être mobile-first et China-First, avec une cible de lancement en septembre 2016. La Chine est notre deuxième marché en taille après la France et notre conviction est qu'il faut prendre l'innovation partout où elle se trouve sur les différents métiers et les différentes géographies. Les Etats Unis sont un centre d'innovation important en particulier sur les réseaux sociaux. Et la Chine a une avance de 2 ans sur le reste du monde concernant le m-commerce. Nous avons notamment étudié les acteurs leaders chinois, C-trip, mais aussi Ali-trip (site de voyages d'Alibaba) et nous allons nous inspirer de ces acteurs sur la partie m-commerce.
Quel est le principal bénéfice que vous avez trouvé à cette méthode agile ?
Le time to market. On a fait en un an ce qui nous prenait deux ans avant. Et ce time to mrtket est vital sur le digital car les usages de nos clients évoluent très vite. Mais cette méthode ne peut fonctionner que parce que nous avons une équipe de talents hybrides au sein des équipes marketing, digitale et IT. Non seulement ils travaillent dans le même bureau, sous la responsabilité du même patron mais cette proximité est motivante. Nous sommes convaincus que le marketing et l'IT sont les piles et les faces d'une même pièce. Le marketeux qui a un geek en lui a une employabilité plus forte dans le futur, et l'on doit donner les moyens à la DSI d'être positionnée en tant que business partner. C'est un choix visionnaire qui a été fait il y a plus d'un an par les membres du Comité de Direction Générale du Club Med.
Son parcours
1996. Marketing d'Equant (start-up phare des télécoms devenue Orange Business Services)
1997. Chef de produit France puis Europe au Service Marketing d'Hayward Pool Products
1998. Consultante chez Grey Interactice. Cette agence (devenue le groupe FullSIX) est spécialisée dans la transformation digitale et le conseil auprès de grands groupes internationaux et le développement de solutions digitales innovantes pour leurs clients.
2001-2013. Directrice associée des agences FullSIX de Paris et de New York. (A ce poste, elle accompagne de grands groupes dans leur virage e-commerce, dans l'utilisation d'internet comme un levier de branding et développe l'offre CRM de l'agence). Puis elle est nommée Directrice Générale de l'agence FullSIX en 2007.
2010-2013. Directrice Générale du Groupe en France.
2013. Directrice Générale Adjointe de la régie Amaury Médias (en charge de L'Équipe et du Parisien)