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"Notre éthique est de faire attention à la protection de l'utilisateur qui reste bien propriétaire de ses données"

Publié par Emmanuelle Serrano le | Mis à jour le
Fondateur de la société Emova
Fondateur de la société Emova

L'essayage virtuel gagne du terrain sur les sites de e-commerce. Un bon moyen d'abaisser les retours et d'éviter des pertes sèches de chiffre d'affaires. Basée à Rennes et labellisée Deep Tech par Bpifrance en 2023, la société Emova est une jeune pousse (11 personnes) qui développe une technologie de création de jumeau virtuel pour faciliter l'essayage avant achat. L'occasion de regarder ce qui se passe sous le capot en compagnie de son patron Gaël Seydoux.

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Quels sont les principaux obstacles à l'adoption massive par les e-commerçants de ces outils qui ont vocation à démocratiser l'essayage virtuel ?

L'essayage virtuel existe déjà grâce à la réalité augmentée depuis quelques années. Plusieurs sites d'e-commerce, marques et plateformes de vente en ligne l'ont déployée. Fittingbox propose par exemple d'essayer des lunettes en réalité augmentée. Perfect Corp, société taïwanaise, propose un système répondant aux mêmes besoins mais pour le maquillage et les bijoux.

Le rythme d'adoption de ces dispositifs progresse grâce à l'accélération des progrès de l'intelligence artificielle (IA), qui a rendu possible le développement d'une technologie plus précise et plus rapide. Sans oublier les améliorations apportées au cloud et à la 4G puis à la 5G maintenant. Malheureusement, ces technologies souffrent de quelques limitations. Parmi les points problématiques, on peut mentionner le tracking vidéo. Avec la réalité augmentée (RA), on prend une image vidéo avec un téléphone mobile ou une caméra sur un Mac ou un PC. On enregistre en live l'image d'une personne sur laquelle on ajoute un élément 3D. Puis, sur ce dernier, on positionnera par exemple une paire de lunettes ou des boucles d'oreilles. Or, le problème est de suivre en temps réel la personne, le visage, la main, le corps, etc. Ce tracking dépend de la qualité de l'image, de la prise de vue et de celle de la lumière. Selon la prise de vue, la qualité du téléphone portable ou de la lumière disponible, le tracking peut présenter des défauts. Le deuxième problème, ce sont les occlusions. Quand on tourne la tête, il faut bien sûr que l'objet 3D vienne se surimposer à l'image réelle et fasse bien l'occlusion pour que la boucle d'oreille disparaisse derrière la joue ou que la branche de lunette s'efface derrière la partie droite du visage, si la personne se tourne vers la gauche.

Enfin la qualité de rendu des objets 3D peut varier. Aujourd'hui, on utilise WebGL, technologie de rendu d'objets 3D sur internet. Elle a quelques défauts notamment quand on surimpose à l'image réelle un objet en trois dimensions dont les calculs ne correspondent pas forcément à la lumière ou bien alors le rendu du bijou n'est pas parfait, faisant apparaître une différence et donnant l''impression que l'objet n'est pas vraiment intégré.

C'est pour pallier ces lacunes qu'Emova, spin-off de Technicolor et d'Interdigital, société technologique américaine, a été créée en mai 2022. Maîtrisant les technologies propres au jeu vidéo et au film, elle propose une reconstruction d'avatar réaliste en 3D. Une technologie permettant de faire de l'essayage virtuel. Nous avons un avatar et un objet 3D. Du coup, nous n'avons plus de problème de tracking et de rendu défaillant car celui-ci est fluide et homogène sur l'avatar et sur l'objet, contrairement à ce qu'il se passe dans la réalité augmentée. De plus, nous pouvons proposer des rendus dans des ambiances différentes.

Nous bénéficions du boom des achats sur internet. Or, il y a beaucoup de retours produits. Dans la mode, ce sont près de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires qui n'ont pas été réalisés en 2021 à cause de cela. Avec cette technologie, nous contribuons à renforcer l'expérience client, le consommateur réalisant de son côté un achat plus pertinent car mieux renseigné, tout en s'économisant le déplacement dans le magasin, s'il le souhaite. Enfin, l'essayage virtuel est en train de se développer de plus en plus car les jeunes générations, qui sont très versées dans les technologies et ont un smartphone dans leur grande majorité, utilisent de plus en plus Internet et les réseaux sociaux pour partager, par exemple, un essayage virtuel (photo ou vidéo) avec les proches et amis pour avoir un avis, etc. Toutes les marques dans la mode et le luxe avec lesquelles nous discutons sont très à l'écoute et trouvent cela important.

Avec le Digital Services Act (DSA), les very large online platforms (VLOP) vont devoir être plus vigilantes. Est-ce que cela change quelque chose pour vous en tant que prestataire ?

Nous pourrions nous s'adresser aux plateformes qui les agrègent les marques comme Zalando par exemple ou Google mais nous préférons nous adresser aux marques qui vendent leurs produits online. En matière de protection des données personnelles des utilisateurs de nos solutions, qui sont les internautes ou mobinautes clients de nos clients, il n'y a pas de soucis à avoir car l'avatar 3D créé est dans une blockchain privée, il donc appartient à l'utilisateur. La marque ne possède pas l'avatar de son client, c'est parfaitement en règle avec le RGPD et les règlements Digital Services Act (DSA) et même le Digital Markets Act (DMA). Le Data Protection Act protège aussi la data des utilisateurs en France et dans le reste de l'Europe. Nous ne vendrons jamais les informations collectées (ex : comportements d'achat). Notre éthique est de faire attention à la protection de l'utilisateur qui reste bien propriétaire de ses données. Nous ne gardons pas les images que l'utilisateur prend avec son téléphone portable pour créer l'avatar. Compte tenu de la qualité des capteurs de la plupart des smartphones, ce qui n'est pas toujours le cas des caméras des ordinateurs portables, l'image prise est en général très bonne. La 5G aussi représente un gage de qualité d'expérience client. Notre société est partenaire du réseau expérimental 5G de l'opérateur télécoms « Orange 5 Lab ».

Deuxièmement, le lien entre le téléphone et notre serveur est sécurisé pour être sûr que les images que l'on collecte et transfère vers notre serveur sont bien protégées. Pour l'infrastructure IT, nous travaillons avec un cloud provider français, qui offre un haut niveau de sécurité (traitement de données bancaires et de santé).

Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?

Nous sommes en train de préparer une levée de fonds de deux millions d'euros, après en avoir déjà fait deux au démarrage de la société en 2022. La plus récente était auprès de business angels auprès desquels nous avons collecté 300 000 euros. Bpifrance nous a aussi accordé des subventions à nos débuts. Cela devrait nous permettre de finaliser le produit et de faire le go-to-market avant de le commercialiser. Nous avons déjà des prospects intéressés et prêts à s'engager avec nous mais pour des raisons de confidentialité, je ne peux pas les citer. L'idée est de délivrer 3 ou 4 POC (proof of concept) d'ici la fin de l'année.

Côté ressources humaines, nous sommes actuellement 11 dont 7 développeurs et ingénieurs. Quand nous avons fondé Emova.me en 2022, j'ai eu tellement de mal à recruter que finalement nous avons dû nous déployer sur 3 sites (Montpellier, Paris et Rennes) avec une part importante de télétravail. Nous avons un partenaire en Finlande, chez qui j'ai placé deux ingénieurs pour qu'ils montent en compétences avant de les faire revenir en France. Cette année, nous faisons partie des 60 entreprises retenues sur plus de 1 600 candidats dans le cadre d'un concours pour start-up en Corée, le « K Start-up Grand Challenge ». Nous sommes la seule entreprise française parmi ces 60 sociétés. Le marché coréen est très intéressant car une société culturellement axée sur la technologie. Nous cherchons des investisseurs aux États-Unis et en Corée car ce sont de gros marchés technologiques. De Corée, nous pourrons tenter aussi de pénétrer le marché japonais.

Que pensez-vous du paysage de l'e-commerce français ? L'export vous semble-t-il plus porteur ?

Nous sommes très à l'aise en France car trois des plus grandes marques du luxe mondial sont françaises : Kering, L'Oréal et LVMH, d'autant plus que cette filière a engrangé de belles croissances de leurs chiffres d'affaires. Néanmoins, nous prospectons en Corée et en Inde aussi. Notre solution d'essayage marchera certainement aussi à l'international. La seule réticence tient à l'infrastructure cloud qui pourrait constituer un frein à l'international. Mais à nous de régler cette question en trouvant la bonne structure et architecture IT.

Les débuts sont en tout cas très prometteurs. Avec notre projet immersif, je pense que nous sommes en mesure de transformer 15 à 20 % du parcours d'achat des clients avec un gain de temps et de sécurité notamment sur le plan de l'hygiène. Par exemple, si vous voulez essayer des boucles d'oreilles, par exemple, il peut y avoir des problèmes d'hygiène. Avec le virtuel, vous pouvez en essayer des dizaines sans aucun problème.

 
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