[Tribune] Les distributeurs à l'épreuve de la vente directe
Les industriels sont de plus en plus nombreux à expérimenter la vente directe auprès de leur clientèle. Car les bénéfices sont nombreux : enrichissement et qualification des data, fidélisation de communautés... Autant d'atouts qui valorisent leurs marques et pèsent dans les négociations commerciales avec les enseignes de distribution.
Je m'abonneLa vente directe a le vent en poupe auprès des industriels. Ils sont de plus en plus nombreux, en effet, à ne pas vendre uniquement par les enseignes de distribution, alliées historiques, pour s'adresser directement à leurs propres clients. En 2021, les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont vu leurs ventes de produits grande consommation (PGC) et frais libre-service (FLS) baisser de 2 % en volume, selon NielsenIQ. Le recul des catégories droguerie - parfumerie - hygiène (DPH) est encore plus fort, à - 2,9 %. La fréquentation des magasins s'érode et la vente directe, ou direct to consumer (DtoC), y contribue.
Interagir avec sa communauté
La démarche consistant à vendre en direct n'est pourtant ni naturelle ni aisée, quels que soient les canaux utilisés, magasins, site e-commerce, pop-up store. Les industriels s'inspirent des marques qui sont parvenues à relever ce défi, notamment les digital native vertical brands (DNVB). Parmi les plus grandes réussites hexagonales, citons par exemple le Slip Français, Sézane, ou encore La Crème Libre... Ce succès s'explique par un positionnement de marque très clair, des interactions continues sur le web et le mobile avec leurs communautés et un service clients irréprochable.
Il faut dire que le DtoC devient indispensable pour prendre continuellement le pouls des consommateurs dont les comportements évoluent très rapidement. Grâce aux retours et aux recommandations de sa communauté de clients, dont sont issus les bêta-testeurs, l'industriel peut faire évoluer ses produits au plus près de leurs besoins : la recherche et l'innovation gagnent ainsi en efficacité et en rapidité.
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Valoriser la marque
Bonduelle et L'Oréal font partie des pionniers. En 2011, le spécialiste des légumes a ouvert un magasin à Villeneuve-d'Ascq avec son drive « Bonduelle Bienvenue ». Chez L'Oréal, le DtoC constitue l'un des piliers de la stratégie de la marque, notamment au sein de la division luxe. Les clientes Lancôme, par exemple, achètent sur le site e-commerce : elles sont identifiées et se voient adresser des offres personnalisées les invitant notamment à consulter les beauty advisors dans les grands magasins. Un net promoter score (NPS) a été mis en place pour l'ensemble des canaux de distribution afin d'améliorer la notoriété de la marque avec un objectif : développer la fidélité client. Un acheteur fidèle consomme de 20 % à 30 % de plus qu'un autre ! Les produits L'Oréal Paris, de la division grand public, sont vendus en grande distribution, mais également sur Amazon et sur le site e-commerce de la marque. Ferrero, fabricant entre autres des produits aux marques Nutella et Kinder, va ouvrir prochainement un site e-commerce en Italie.
Concernant les circuits spécialisés, citons le récent exemple de Royal Canin. Sur le marché très porteur des aliments et accessoires pour chiens et chats (+ 9 % en 2021), l'entreprise teste actuellement deux boutiques à Paris, dont « L'atelier félin ». Elle a pour vocation de pallier le manque de magasins spécialisés dans les grandes agglomérations. Concrètement, elle propose une recommandation personnalisée, réalisée par un vendeur expert, ou si le client le souhaite, via une application digitale, correspondant parfaitement au besoin de son compagnon à quatre pattes. La fameuse expérience client est au rendez-vous.
Position de force
Grâce à ce custumer love, ces industriels valorisent les marques bien mieux que le fait un distributeur avec ses MDD (marques de distributeurs). Celles-ci font pâle figure, comme en témoigne leur baisse de chiffre d'affaires de 2,6 % sur l'année écoulée.
Les industriels se trouvent ainsi en position de force face aux distributeurs lors des négociations commerciales. Ils proposent des produits plus innovants, des marques dans l'air du temps et à forte notoriété. Les enseignes, qui se voient ainsi contraintes de proposer, dans leurs rayons, les produits de ces marques d'industriels devenues encore plus incontournables, sont soumis à une guerre de prix et de pression promotionnelle entre elles. Au détriment de leurs MDD. Tandis que les industriels bénéficient à moindre coût de la détention numérique inégalable des magasins de ces mêmes réseaux de grande distribution. La vente directe a pour conséquence de fragiliser les distributeurs, non en grignotant leur chiffre d'affaires, mais bien en entamant leurs marges commerciales.