[Tribune] E-commerce : la fin des retours gratuits au profit du développement durable
Les retours gratuits sont devenus essentiels pour certains clients. Mais lorsque l'usage de cette option va trop loin, comme lors des temps forts de l'année du Black Friday ou Cyber Monday, le nombre de retours de colis explose, entraînant un double coût pour les entreprises et la planète.
Je m'abonneCommander plusieurs produits en ligne parce qu'on peut les renvoyer gratuitement : voilà une offre attractive pour les clients. Ils peuvent en effet commander sans réfléchir en ayant l'assurance de pouvoir rendre le produit s'il ne convient pas. L'explosion de l'e-commerce depuis la pandémie a ainsi inévitablement entraîné une augmentation des taux de retour, mais de nombreux consommateurs ont poussé l'option de retour gratuit un peu plus loin, en particulier lors de journées comme le Black Friday ou le Cyber Monday, au cours desquelles les produits peuvent être achetés à des prix avantageux.
Ce nouveau comportement d'achat entraîne une augmentation considérable du nombre de colis retournés, ce qui a un coût, à la fois pour les entreprises mais aussi et surtout pour la planète.
Jusqu'à 20 % du prix de vente total de l'article
Relayé par la BBC, un rapport de Narvar (entreprise américaine spécialisée dans la gestion des retours) publié en début d'année estime que les retailers dépensent environ 33 dollars (30 euros) par retour, en comptant les frais d'envoi, l'emballage, la perte de valeur de l'article, la main-d'oeuvre et les opportunités de vente manquées. Pour les entreprises qui revendent des produits retournés, la remise à neuf peut représenter jusqu'à 20 % du prix de vente total de l'article.
En 2022, rien qu'aux États-Unis, les consommateurs ont renvoyé pour plus de 212 milliards de dollars (195 milliards d'euros) de marchandises achetées en ligne. À elle seule, l'entreprise néerlandaise Wehkamp retourne 50 000 colis chaque jour. Outre la charge de travail et les coûts supplémentaires qui en découlent du point de vue des stocks et de la boutique en ligne, l'impact sur l'environnement est également colossal.
Plus globalement, une étude Statista publiée l'an dernier estime que 39 % des internautes ont retourné un achat au cours des 12 derniers mois en France, contre 49 % aux États-Unis et au Royaume-Uni, 51 % en Allemagne et 66 % en Chine.
La fin de l'ère des retours gratuits ?
Pour lutter contre le problème croissant posé par la logistique des retours, plusieurs entreprises telles que Wehkamp, H & M, Zara, American Eagle, TJ Maxx ou JC Penney ont commencé à facturer des frais de retour. C'est aussi le cas de la marque chinoise de fast fashion Shein, dont le chiffre d'affaires s'élève à 100 milliards de dollars. Et de nombreuses autres entreprises qui sont en train de leur emboîter le pas.
Aujourd'hui, la plupart des magasins en ligne tiennent compte, dans le prix de vente de leurs produits, d'un certain pourcentage lié aux frais de retour. Les clients payent ainsi un prix légèrement majoré, qu'ils aient ou non recours à l'option de retour.
Si les retours gratuits n'étaient plus permis, les commerçants n'auraient plus besoin de prévoir une marge d'ajustement prenant en compte ces coûts de retour potentiel, ce qui leur permettrait de réduire leurs prix de vente. Et à une époque où l'inflation pèse lourdement sur les porte-monnaie, cette baisse de prix serait sans aucun doute bien accueillie par les consommateurs, qui n'ont sans doute pas conscience de ces coûts supplémentaires.
Les experts en retail s'accordent à dire que la facturation des retours serait un bon moyen de freiner les comportements excessifs des consommateurs, tout en encourageant des achats plus réfléchis. Mais le plus grand défi pour les retailers pourrait être leurs clients et leur réticence à renoncer aux retours gratuits.
Ceux-ci restent donc l'option de facto chez la majorité des e-commerçants. Cependant, toujours selon le rapport de Narvar, 40 % des e-commerçants facturent des frais de retour pour l'expédition d'un article vers un entrepôt, son remballage ou dans certains cas, sa mise au rebut. Cela confirme que près de deux tiers des consommateurs s'attendent encore à bénéficier des retours gratuits et que le processus de désapprentissage pourrait être douloureux pour les marques ; à moins qu'elles ne parviennent à motiver leur clientèle par d'autres moyens.
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Sous l'impulsion de grandes marques telles qu'Uniqlo, Next et Boohoo, la tendance semble toutefois être en train de s'inverser. Bien qu'il y ait encore des progrès à faire, l'ère des retours gratuits pourrait bien toucher à sa fin, ce qui serait positif à la fois pour l'environnement et pour les finances de ce secteur.
Le développement durable devient une préoccupation croissante pour les retailers. Encourager les consommateurs à limiter les "retours en série" (par exemple, commander le même article en 3 tailles pour en retourner deux) pourrait réduire les transports inutiles et la mise au rebut potentielle des produits retournés, ceux-ci étant difficiles à réintégrer dans les réseaux de revente et souvent tout simplement jetés.
Soyons clairs, la fin des retours gratuits ne va pas sauver la planète, pas plus qu'elle ne résoudra les problèmes financiers endémiques auxquels certains retailers sont confrontés aujourd'hui. Toutefois, elle va mettre de nombreuses marques sur la voie de Supply Chains plus circulaires et durables, ce qui ne peut être que positif.