Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée du Commerce : "Le quick commerce n'est pas une menace pour le commerce français"
Depuis fin 2022, nombre de personnalités politiques se battent pour réguler l'implantation des enseignes de quick commerce (dark stores et dark kitchen). Décryptage de ce modèle économique et son impact sur le paysage commercial français avec Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l'artisanat et du tourisme.
Je m'abonneLe quick commerce menace-t-il le modèle économique du commerce français ?
À date, c'est loin d'être le cas. À son apogée en 2021, le quick commerce avait globalement un chiffre d'affaires équivalent à celui d'un seul hypermarché. 170 millions d'euros sur un CA du commerce de détail de 500 milliards d'euros. Dans la ville la plus prisée, Paris, il y avait 80 dark stores, contre 60 000 commerces.
En 2022, et encore aujourd'hui en 2023, comme toutes les entreprises tech, le secteur est entré dans une phase de consolidation radicale. En un an à peine, nous sommes passés de neuf acteurs à deux, dont un en redressement judiciaire. Dans six mois, qu'en sera-t-il ? Je l'ignore, en tout cas ce n'est pas une menace pour le commerce français.
Les dark stores, tels qu'ils existent actuellement, sont désormais interdits à Paris, préconisez-vous cela pour toute la France ?
Les dark stores ne sont pas interdits : il est possible de les interdire. La nuance est importante. Avec Olivier Klein, nous avons donné le pouvoir aux maires pour mieux les réguler. Vous comprendrez que cela n'aurait pas de sens de dire aux élus locaux ce qu'ils doivent faire. Les maires ont désormais la possibilité de choisir si oui ou non ils souhaitent la présence de dark stores dans leur commune. Ce n'est donc pas à l'État de mener la politique d'urbanisme et de commerce à la place des communes.
La manière dont se sont implantés les dark stores / kitchen en France semble avoir manqué de transparence, à quoi attribuez-vous cela ?
Un manque de transparence je ne suis pas certaine. Disons plutôt que c'était une activité totalement nouvelle, un objet juridique non identifié avec le flou juridique qui l'accompagne. Qu'on le veuille ou non, l'innovation précède toujours la régulation. Dans ce cas précis, le sujet c'était : est-ce que les dark stores sont des commerces ou des entrepôts ? Le débat a eu lieu et il a été tranché par le gouvernement, en concertation avec les élus locaux. Nous sommes d'autant plus satisfaits de notre solution que le Conseil d'État est arrivé en parallèle à la même conclusion. Désormais, les règles sont claires.
Pensez-vous que le quick commerce représente l'avenir de nos modèles de consommation ?
Non, pour l'heure, le quick commerce ne concerne que les petits achats d'appoint, et cela me semble très lié à l'offre qu'il propose avec des références limitées pour une clientèle jeune, qui passe une commande spontanée avec un panier moyen très bas. Je ne vois pas cet état de fait évoluer à moyen terme, le long terme étant par définition difficile à prévoir.
Dans l'état actuel du marché, l'effort logistique considérable qu'implique le quick commerce coûte cher, trop cher pour un panier moyen à 20 euros. De plus, je pense très sincèrement que l'avenir du commerce c'est celui de proximité, que les Français affectionnent particulièrement, parce que c'est un circuit plus vertueux à bien des égards, avec une production locale, plus respectueuse de l'environnement. Et puis surtout, rien ne pourra jamais remplacer le conseil client apporté par nos commerçants de proximité.
Sommes-nous en train d'assister à une ubérisation des habitudes d'achats quotidiens ?
Ce n'est pas parce qu'une brèche est visible qu'elle est profonde. Le quick commerce, c'est un effet de la transition numérique avant d'être un effet de l'ubérisation. Or, la transition numérique ne doit pas être vue comme une menace, bien au contraire. Dans beaucoup de cas, elle apporte une aide importante à bien des aspects pour nos commerces de proximité, que ce soit en termes de visibilité, d'optimisation des tâches administratives ou encore pour toucher de nouvelles clientèles et apporter une solution d'achat complémentaire.
Le modèle économique de ces dark stores est-il viable ?
La consolidation extrême du secteur montre qu'en l'état, il est permis d'en douter.
Juridiquement, comment différenciez-vous un dark store d'un drive (piéton ou voiture) ?
Par le droit de l'urbanisme. Dans le cas d'un dark store, votre local sert à livrer et génère des externalités sur les riverains, avec en particulier le bruit des nombreux allers et retours des livreurs. Dans le cas d'un drive, vous vous rendez au local, comme vous le feriez pour un commerce habituel. Vous n'avez pas de livraison, vous générez un flux qui bénéficie à l'animation des rues et aux commerces voisins.
La législation va-t-elle évoluer et traiter ces dark stores comme des drives ?
Non, l'arrêté du 22 mars 2023 qui modifie la définition des sous-destinations de constructions a déjà permis d'apporter ces clarifications : les drives sont des commerces dès lors qu'il n'y a aucune livraison effectuée mais uniquement des retraits au comptoir, les dark store des entrepôts.
Avec l'avènement des livraisons et commandes internet, la loi obligeant les commerces à ne pas réserver plus d'un tiers de leur surface au stockage a-t-elle toujours lieu d'être ?
Cette réglementation est spécifique à la ville de Paris, à une époque où chaque commune était libre de créer ses propres catégories de destinations et de sous-destinations. C'est pour simplifier le travail du juge administratif et la stratégie des entreprises que le législateur a prévu, dès 2014, d'uniformiser ces destinations et sous-destinations. La ville de Paris doit précisément présenter prochainement son nouveau plan local d'urbanisme (PLU).
Sur ce sujet, comment se passe le dialogue entre votre ministère et les acteurs traditionnels de la grande distribution ?
Comme toujours, nous échangeons constamment et en toute transparence avec toutes les parties prenantes. Les distributeurs ont été très attentifs à la question des drives piétons lors de nos concertations sur la régulation des activités des dark stores.
Comment se passe le dialogue entre votre ministère et les acteurs principaux du quick commerce ?
Notre porte est toujours ouverte. Nous sommes à l'écoute de toutes les sollicitations mais le ministère a pris une position récemment et nous n'y dérogerons pas, évidemment.