[Dossier] La nouvelle ère du retail media
Le marché devrait représenter 30 milliards de dollars aux États-Unis en 2022. En France, en hausse de 42%, ce mode de commercialisation représente 8% d'un marché global, estimé à 9 milliards d'euros. Le retail media explose dans la publicité digitale et transforme en or la data « first party » des distributeurs, déjà lancés dans la bataille. Ce nouveau levier de croissance s'impose comme le futur eldorado des retailers.
Je m'abonneAu coeur de l'écosystème numérique, le media digital ne connaît pas la crise. L'e-commerce explose (130 milliards d'euros en 2021), plébiscité par les Français ces deux dernières années et le marché de la publicité en ligne s'engouffre dans cette dynamique économique. « Ralenti dans une moindre mesure en 2020, dès 2021, le marché retrouve sa dynamique pré-Covid avec une croissance de 29% par rapport à 2019 », annonce le SRI. Les chiffres issus du 27e Observatoire de l'e-pub, réalisé par le cabinet Oliver Wyman pour le SRI et l'Udecam, font état d'une bonne santé globale avec un rebond de l'ensemble des leviers de la publicité digitale en 2021 en croissance de 24% VS 2020 soit 7,7 milliards d'euros de revenus.
Le retail media en hausse de 42%
L'ensemble de marché du retail media, qui comprend principalement la publicité display sur les sites e-commerce et le sponsoring de résultats sur leurs moteurs de recherche, a connu l'an dernier en France un accroissement de ses revenus de 42 % par rapport à 2020. La hausse des recettes publicitaires des sites marchands est même en hausse de 69 %, comparée à 2019. Sur un total de 640 millions d'euros, 62% soit 395 millions sont réalisés via le retail search (+56%) (revenus tirés de liens sponsorisés dans les moteurs de recherches des sites des retailers) et 38% soit 245 millions d'euros via le display (+25%) (formats classiques, vidéo et OPS vendues par des acteurs sur leurs inventaires). Ainsi, le retail search représente désormais 12% du search.
« La croissance du retail media est portée par la consolidation du marché avec la constitution de partenariats entre acteurs majeurs, le lancement de plateformes, la hausse de la vente en programmatique et l'apparition de nouveaux formats publicitaires »
« La croissance du retail media est portée par la consolidation du marché avec la constitution de partenariats entre acteurs majeurs, le lancement de plateformes, la hausse de la vente en programmatique et l'apparition de nouveaux formats publicitaires », détaille Sylvia Tassan Toffola, présidente du SRI. La force du retail media, c'est d'être plus proche de l'acte d'achat. Ce levier permet aux enseignes de e-commerce et de la grande distribution de monétiser leur audience, et aux marques de booster leurs ventes grâce au ciblage des clients.
Côté consommateurs, les avantages de ce nouveau média garantissent une publicité incluse dans l'expérience client et dans le parcours d'achat. La publicité qui apparaît est ciblée, géolocalisée avec la meilleure promotion. Pour l'utilisateur, cette technologie ne nuit pas à son expérience et ne fait pas baisser le taux de conversion.
Côté marques, un des gros avantages de cette mécanique, c'est que la publicité payée par la marque se base sur les données du retailer pour augmenter sa visibilité via un emplacement privilégié sur le site ou sur mobile. C'est de la publicité ciblée au bénéfice d'une marque sur des articles référencés sur le site marchand. « C'est un peu l'équivalent des têtes de gondole en magasin pour générer de la préférence de marque », commente Geoffroy Martin, EVP & General Manager, Growth Portfolio de Criteo, acteur de référence sur le marché de la publicité ciblée.
Structuration du marché
Le retail media , qui représente 8% de la publicité digitale en France, suscite un intérêt grandissant. Cette nouvelle forme de commercialisation publicitaire déjà bien rodée outre-Atlantique - 40 milliards de dollars aux États-Unis dès 2024 (selon eMarketer) - pousse les distributeurs à nouer des alliances stratégiques et les agences de publicité à se structurer pour répondre aux demandes de leurs clients en termes de plan média. Havas (Ad to Basket) et Publicis (Epsilon) viennent de réaliser des investissements colossaux pour entrer dans la course sur ce marché florissant.
" Pour les marques, le retail media permet d'atteindre de grandes audiences, sans avoir recours à des cookies tiers et en liant directement les dépenses publicitaires aux résultats des vente"
« Pour les marques, le retail media permet d'atteindre de grandes audiences, sans avoir recours à des cookies tiers et en liant directement les dépenses publicitaires aux résultats des ventes. Par ailleurs, à l'ère du numérique, les marques sont davantage exposées aux problèmes de sécurité. Il offre un lieu sûr et adéquat pour les investissements publicitaires en ligne. C'est un écosystème vertueux qui permet d'apporter de la valeur aux marques, de pousser une meilleure offre pour les clients et de monétiser le trafic et les données des sites », décrypte Geoffroy Martin. Côté retailers, l'année 2021 a vu le développement de plateformes unifiées utilisables de manière autonome, qui sont en mesure de relier l'investissement média aux ventes et de mesurer l'impact business d'une activation publicitaire, tant en digital qu'en magasin. Ces nouvelles solutions sont apportées par des acteurs comme Carrefour Links, Infinity Advertising, Conso Régie, Critéo, Cdiscount Advertising, Amazon Advertising ou encore MyRetailink (régie Fnac-Darty). « Le retail media est une valeur refuge pour les marques où la clé de la croissance passe par le consommateur », explique Alexandra Suire, directrice de Retailink (régie Fnac-Darty).
Les ambitions européennes de Carrefour
En juin 2021, Elodie Perthuisot, directrice exécutive E-commerce, data et transformation digitale du groupe Carrefour annonçait le lancement de Carrefour Links : " Le marché du retail media est en forte croissance sur toutes nos géographies. Carrefour est déjà pionnier sur ce marché en plein essor puisque ses opérations retail media ont affiché en France une croissance de plus de 50% en 2020. " Carrefour souhaite développer ses parts de marché sur cette activité en s'appuyant sur une stratégie de personnalisation de son offre. Les derniers résultats du distributeur, publiés mi-février 2022, indiquent une croissance de 20% de l'activité e-commerce alimentaire et la plateforme de retail media compte plus de 150 partenaires industriels à fin décembre. « Elle génère des premiers résultats très prometteurs », indique le groupe. Carrefour se fixe l'objectif d'être le leader européen du data et du retail media et prévoit que cette activité génère 200 millions d'euros de résultat opérationnel courant (ROC) additionnel en 2026 par rapport à 2021.
Dans un contexte d'accélération du digital au sein du groupe (2,8 milliards d'investissements au digital sur 5 ans dans le cadre du plan Carrefour 2022), le distributeur a lancé cette nouvelle activité, orientée sur l'analyse de la data " first party " de l'enseigne (données de navigation et de transaction). " D'un côté, nous savons que 80% de nos clients -toujours plus omnicanaux- attendent des offres personnalisées et de l'autre, nous observons que les marques veulent toucher plus efficacement les consommateurs via le marketing digital. Carrefour Links répond à ces attentes ", précise la porte-parole du groupe. Pour proposer cette nouvelle offre sur le marché, l'enseigne s'est associée à trois partenaires technologiques : Criteo (ciblage publicitaire), Google (cloud) et LiveRamp (data sécurisée). La force de frappe est réelle : 80 millions de foyers dans le monde achètent chez Carrefour chaque année et son site e-commerce alimentaire est leader en trafic en France. « La solution de Carrefour combine tous les formats publicitaires avec un écosystème ouvert. Ainsi, les annonceurs peuvent faire une campagne cross retailers via une plateforme unique permettant d'agréger les données et d'avoir une vision globale de la performance de leurs opérations publicitaires », argumente Criteo, partenaire technologique.
La riposte de Casino et Intermarché
Dans le même contexte, le groupe Casino et Intermarché prennent également position en lançant « Infinity Advertising ». Cette structure, (5 enseignes et 17 millions d'encartés), présidée par Jérôme Sabatié, adhérent Intermarché, est dirigée par Alban Schleuniger, issu de " RelevanC ", filiale du groupe Casino positionnée sur la data. Ce nouvel acteur émerge dans un contexte très favorable aux campagnes sur les sites marchands. Avec l'explosion du e-commerce alimentaire durant le confinement, le marché de la publicité digitale a gagné 3 ans en 6 mois. " Les sites de e-commerce sont devenus des carrefours d'audience importants avec pour certains 18 millions de visiteurs uniques par mois. C'est une opportunité pour les marques. Nous proposons d'activer des leviers onsite (search sponsorisé et display sur le site de la marque) mais aussi offsite (ciblage du consommateur sur le digital) ", explique Alban Schleuniger, DG d'Infinity Advertising. Ainsi, durant tout son parcours digital, un client en possession d'une des cartes de fidélité du groupe va pouvoir être sollicité par une publicité ciblée plus efficace. " Nous proposons aux marques, en analysant la navigation du client, de savoir si la publicité poussée a impacté son panier d'achat. L'intérêt du retail media, c'est de mesurer le retour sur investissement ", argumente le DG.
Efficacité garantie
Face à Carrefour, Links, l'offre d'Infinity Advertising dépasse les 24% de PDM soit 17 millions d'encartés sur les sites des enseignes complémentaires comme Intermarché, Monoprix, Franprix, Casino et Hypermarché Géant et 41,5% sur le drive en France. " Par ailleurs, nous avons deux types d'offres et un guichet unique, une offre unifiée, pour les marques avec la garantie de toucher un consommateur sur quatre. Notre offre, c'est un point de contact, une seule facturation et un bilan de campagne unifié. Sur un marché très éclaté et encore jeune, nous simplifions l'accès à ces campagnes pour les annonceurs ou les agences media sans devoir additionner les partenaires. C'est une réponse avec une solution simple, puissante et précise face aux Gafa sur de la data first party ", poursuit Alban Schleuniger.
Autre acteur de référence à se positionner sur le retail media, le groupe Fnac-Darty qui a lancé en septembre 2021 sa plateforme baptisée "MyRetailink". Utilisable de manière autonome, cette solution de partage de données omnicanales et d'activation media digital, permet aux marques de mieux maîtriser leurs stratégies marketing et aux clients des deux enseignes de vivre des expériences plus individualisées et plus cohérentes avec l'évolution de leurs besoins. « Cette plateforme s'adresse à tous, du responsable commercial au trader media. Un fournisseur peut, par exemple, très facilement repérer une perte de vitesse sur ses ventes, un risque de rupture de stock avant de mettre en route une campagne. Un trader peut identifier ses cibles en naviguant facilement parmi plus de 200 segments d'audience préconstruits en amont de ses activations, optimiser ses achats en temps réel et en mesurer l'impact omnicanal », souligne Alexandra Suire, directrice de Retailink by Fnac Darty.
Des défis à relever
Même si le retail media est porté par la hausse des ventes d'espaces en programmatique et le succès de nouveaux formats publicitaires comme le live shopping, le marché reste dominé par Google, Meta et Amazon qui s'octroient 67% de parts de marché de la publicité digitale en France. Pour inciter à un rééquilibrage des investissements digitaux, il faut rassurer les annonceurs sur la transparence et la fiabilité des solutions mais aussi sur la rentabilité de leurs investissements. Enfin, le recueil et l'usage de la data (informations navigationnelles et d'achat) restent plus que jamais stratégiques pour les retailers. Ceux qui se sont lancé dans la bataille gardent le cap sur 2022 avec des perspectives de croissance du marché de la publicité digitale estimé à environ 9 milliards (+18% VS 2021) illustrant une accélération de la croissance post-Covid.