Carrefour : « Nous sommes au rendez-vous de l'accélération du digital »
Depuis quelques mois, les annonces de nouveaux services sur le digital se multiplient. L'e-commerce est devenu la « pièce maîtresse » du distributeur, un choix confirmé lors de la présentation du nouveau plan stratégique à horizon 2026, en novembre. Pour Élodie Perthuisot, directrice exécutive e-commerce, data et transformation digitale du Groupe Carrefour, la feuille de route n'en est qu'à ses débuts. Explications.
Je m'abonneVous avez été élue Personnalité E-commerce 2021. Quelle est la valeur de ce prix à vos yeux ?
J'ai bien sûr été ravie de le recevoir mais au-delà de ma propre distinction, ce prix a eu un beau retentissement pour mes équipes et de manière plus générale en interne. Il a été perçu comme un succès collectif récompensant l'ensemble de nos initiatives en 2021. Carrefour n'est pas forcément considérée à l'extérieur comme une entreprise "digitale", pour autant, au sein de mes équipes, nombreux sont les collaborateurs qui y travaillent. Ils ont besoin de cette reconnaissance, de se dire qu'ils sont bien dans une aventure digitale.
Pouvez-vous nous présenter l'éventail de vos missions au sein du groupe Carrefour ?
Je m'occupe de l'e-commerce, l'innovation, la data, ce qu'on appelle la transformation digitale, un scope assez large, car j'ai également la responsabilité des fonctions IT et tech. Globalement, ma mission est d'embarquer l'ensemble de nos équipes vers la Digital Retail Company. Dans l'e-commerce, il y a évidemment une partie stratégique pour fixer la vision, le cap mais aussi beaucoup de travail au quotidien avec les équipes pour m'assurer qu'elles ont les bons talents, les bonnes compétences, qu'elles sont sur la bonne voie pour délivrer leurs projets. Le marché français compte une importante équipe e-commerce. Nos autres pays sont parfois plus petits et il faut faire en sorte qu'ils puissent bénéficier de l'expertise des uns et des autres, celle qu'on a construite en France ou dans le groupe. Par exemple, au Brésil, il y a une forte expertise digitale sur les services de paiement. Mon rôle est de repérer ces compétences et de les partager pour que les autres équipes s'en imprègnent et en bénéficient.
En novembre, Alexandre Bompard (P-dg du groupe Carrefour) a présenté le nouveau plan stratégique à horizon 2026, l'e-commerce est devenu la pièce maîtresse. Un changement fort au sein de la grande distribution ?
C'est la première fois en effet. D'ailleurs, il n'a pas présenté tout son plan stratégique 2026 mais a dévoilé son ambition digitale. En général chez Carrefour et globalement dans la distribution, vous avez un plan stratégique dans lequel le digital peut être un chapitre plus ou moins conséquent. La suite du plan de transformation sera annoncée cet automne. Nous pensons qu'il y a une accélération du digital. Nous voulions donner un signal fort et montrer que nous sommes au rendez-vous. Un certain nombre d'orientations, d'évolutions se prennent maintenant.
Qu'ont représenté les ventes e-commerce en 2021 ?
Nos chiffres montrent que nous sommes sur la bonne voie avec une croissance de 20 % de l'e-commerce alimentaire. Une belle preuve de notre accélération. Ces résultats confirment notre position de leader sur la livraison à domicile en France, notre rôle de pionnier sur les nouveaux marchés de l'e-commerce et notre business model réinventé autour de l'omnicanal. En 2021, nous avons réalisé une GMV (volume brut de marchandises) e-commerce de 3,3 milliards d'euros en hausse de 12 %, et avons pour ambition de tripler cette GMV à 10 milliards d'euros en 2026.
Carrefour a donc pour ambition de tripler son volume d'affaires e-commerce en cinq ans. Les objectifs sont forts ?
Le plan de transformation Carrefour 2022 a été le socle absolument nécessaire pour celui de 2026. Nous avons posé des bases pour nous permettre désormais d'accélérer dans l'e-commerce. Nous avons aussi appris de ces métiers spécifiques du digital qui ne sont pas tout à fait les mêmes que le retail pur. Durant ces dernières années, nous avons analysé nos résultats et constaté le réservoir de croissance encore possible. Le plan est ambitieux parce que dans notre monde digital, il faut de l'ambition. Je crois que la volonté et la puissance de l'ambition font aussi beaucoup pour une entreprise. Aucune société ne s'est transformée sans un dirigeant (ou dirigeante) avec des propositions fortes.
Quels sont les résultats de votre marketplace ?
En fin d'année, nous recensions entre 300 et 500 vendeurs. La markeplace monte en puissance. L'an dernier, nous avons créé un espace sur Carrefour.fr un peu séparé de l'alimentaire pour commencer sur le non-alimentaire. Nous sommes en train de réunir les deux espaces. En avril, nous aurons un site unique avec une expérience client commune entre l'alimentaire et non-alimentaire et où sera intégrée notre marketplace. Nous la compléterons sensiblement quand nous aurons notre offre stockée et un parcours unique sur Carrefour.fr. L'une des grandes transformations à venir sur le site en 2022.
Comment définiriez-vous aujourd'hui votre stratégie omnicanale ?
Elle consiste à faire venir massivement nos clients des magasins vers nos solutions digitales au sens large. Évidemment vers l'e-commerce mais au-delà vers notre application : visualiser son ticket de caisse, consulter les catalogues, sa carte de fidélité et son solde... L'objectif est que ces usages deviennent de plus en plus des réflexes. Dans la grande distribution, l'omnicanal consiste en des choses extrêmement simples mais elles doivent être massives pour rendre service à nos clients.
En un an, de nombreux acteurs sont apparus dans la livraison ultra rapide qualifiée de « quick commerce ». Vous avez investi en septembre 2020 au sein de la start-up française Cajoo. Quelle est votre vision de ce nouveau marché ?
Le quick commerce a un fort potentiel de développement. Il correspond à un étendard client, une attente d'être livré en 10-15 minutes. La mise en avant du délai de livraison a permis de faire connaître le service et de susciter l'intérêt de nos clients. Nous avons été pionniers à travers notre partenariat avec Uber Eats en proposant d'abord un délai de livraison de 30-40 minutes, puis en le réduisant à 20. Nous l'avons transformé en « Carrefour Sprint », livraison en 15 minutes avec Uber et Cajoo. Aujourd'hui, nous vivons clairement un moment de consolidation de ce marché. Notre priorité est d'avoir les bons partenariats car beaucoup de ces acteurs investissent énormément en marketing pour créer des bases clients.
Le quick commerce est-il une niche urbaine ?
Le service reste clairement très urbain puisque son déploiement nécessite des densités très fortes. Le quick commerce est différent de la livraison classique ou du drive tel qu'on peut le pratiquer, visant des zones moins denses. La frontière s'estompe un peu entre des zones très denses où la proposition sera de 10 min et des zones un peu moins denses à 30 minutes. Le quick commerce ou l'express dépend du lieu d'habitation.
Quels sont les grands enseignements concernant vos différents services de livraison ?
En septembre dernier, nous avons dépassé l'objectif fixé de 2 000 points de vente e-commerce d'ici fin 2021. L'ambition portait notamment sur les villes de taille moyenne qui n'avaient pas toujours accès aux services de livraison à domicile. Aujourd'hui, nos magasins proposent soit du drive accessible en voiture, du drive piéton, de la livraison à domicile à partir du lendemain, de la livraison express... Chaque magasin est libre de mettre en place le service le plus adapté à sa zone de chalandise. Nos magasins s'intéressent au sujet et y voient un moyen de satisfaire leurs clients. Il n'y a pas de meilleur signal de la digitalisation des points de vente que leur volonté de se connecter à ces services.
En fin d'année, vous avez multiplié les initiatives multi-sectorielles, pourquoi y a-t-il eu autant d'annonces en si peu de temps ?
Je ne fais pas de stratégie d'annonces. En revanche il est important de donner du sens aux initiatives par rapport au marché, aux collaborateurs en interne... Ces annonces contribuent positivement à l'accélération digitale de Carrefour. En 2022, nous allons encore lancer de nombreuses initiatives. Dans le digital, il faut décider, lancer des projets, faire tourner la roue. Nous pouvons faire des erreurs et ce n'est pas grave. En revanche, ne pas décider, ne pas faire de projets, c'est prendre un risque.
Je dis souvent à mes équipes digitales que nous devons avoir les doigts dans la prise pour sentir ce qui se passe sur le marché, sentir comment nos clients réagissent.
J'assume cette puissance des annonces et des projets que nous prenons. Ils s'inscrivent tous dans notre vision développée lors du « Digital Day » (nouveau plan de transformation à horizon 2026), en novembre, en donnant une colonne vertébrale très claire sur ce que nous voulons faire...
En septembre, vous avez lancé le service en ligne personnalisé de shopper « OK Market » -après l'avoir expérimenté dans d'autres pays (Roumanie, Belgique et Argentine). A-t-il pris en France ?
Nous sommes encore en phase de test à Paris et Lyon. Avec ce service, le client a la possibilité de demander à son shopper d'ajouter des produits supplémentaires en cas d'oubli après la validation de la commande, ainsi que de valider avec lui les éventuels produits de substitution, ou encore les choix à faire sur les fruits et légumes. Le dialogue est fait par un chat intégré à l'application "Ok Market ! "et le shopper peut aussi être appelé ou contacté à tout moment. Nous avons de très bons scores de fidélité clients et de retours sur l'expérience proposée. Nous regardons aujourd'hui dans quelles géographies, zones, villes, nous déploierons ce service pour qu'il ait le plus d'impact. Nous testons le pricing, les frais de livraison, les différentes expériences (client, shopper...). Nous avons également signé un partenariat avec Everli (NDLR : service de personal shopping) en France et en Italie et nous nous enrichissons de leur méthode pour fournir ce service.
Vous expérimentez l'Eco-score sur votre site e-commerce, quels sont les résultats ?
Régulièrement, nous lançons de petites enquêtes en ligne sur le site pour obtenir des feedbacks concernant nos initiatives. Nous avons de bons retours clients sur l'Eco-score. Aujourd'hui, une partie des clients attendent de pouvoir acheter en ligne en ayant plus d'informations sur les produits alimentaires. Ils sont à la recherche d'une consommation plus raisonnée via l'Eco-score, le Nutri-score...
Quelles sont les opportunités et promesses dans le metaverse pour Carrefour ?
Nous sommes dans le domaine de l'innovation et non dans le business à court terme. Néanmoins, au vu du niveau d'investissements sur ce sujet, le metaverse me paraît moins prospectif qu'on ne l'imagine. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons acheté une parcelle dans le jeu vidéo The Sandbox. Nous raisonnons à quelques années sur ce sujet. Nous devons sentir ces nouvelles tendances de consommation dans le retail. Avec mon équipe innovation, nous dévoilerons un certain nombre de projets concrets autour du metaverse et des NFT, au fur et à mesure de l'année. Notre objectif est de comprendre les impacts et comment nos clients, en particulier les plus jeunes très connectés, peuvent réagir.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre partenariat avec Brut dans le live shopping ?
En mettant nos forces de distributeurs et de média social en commun, nous avons l'ambition de créer la plateforme de live shopping la plus puissante du marché français. Cette expérience d'achat nouvelle et communautaire est porteuse de croissance et de valeurs pour nos deux entreprises. Après l'annonce de ce partenariat, nous avons reçu beaucoup de manifestations d'intérêt de marques et d'influenceurs. Nous sommes plutôt confiants sur notre capacité à sortir des premiers live shopping dans quelques semaines.
Selon vous, quelles sont les innovations les plus marquantes dans le retail?
La robotisation et mécanisation dans les entrepôts et la préparation des commandes e-commerce deviennent matures. Nous observons la multiplication des technologies utilisées par le retail -comme les caméras qui permettent de repérer les ruptures en rayon, etc.- devenu un vrai terrain d'innovations. Dans les années à venir, la façon dont la technologie impacte le retail va encore s'accélérer.
Son parcours
Née en 1976, Elodie Perthuisot est diplômée de l'Ecole Polytechnique (X-Mines), de Sciences Po et titulaire d'un exécutive MBA de l'ESCP. Elle a commencé sa carrière dans le secteur public, où elle a notamment dirigé le cabinet du ministre de la Culture et de la Communication.
En 2012, elle rejoint le groupe Fnac pour diriger la filiale de billetterie. À partir de 2013, elle devient directrice commerciale de la Fnac, et conduit la transformation multicanale de la stratégie commerciale de l'enseigne. Lors de la fusion avec Darty, elle devient directrice commerciale du groupe Fnac Darty.
En 2018, elle rejoint Carrefour France comme directrice marketing et clients, membre du Comex France. Depuis 2021, elle est directrice exécutive e-commerce, data et transformation digitale pour le Groupe Carrefour, membre du Comex Groupe.