[Tribune] La mort du modèle Boucicaut
Le modèle classique du retail est en train de s'effondrer, bousculé par la fulgurante progression des marketplaces. Mais aussi par une deuxième vague de désintermédiation, qui rebat les cartes de la consommation et de la distribution.
Je m'abonneLe modèle Boucicaut aura perduré 150 ans. De 1869 à 1877, Aristide Boucicaut, le fondateur du Bon Marché, invente et codifie le rôle du détaillant moderne: sélection des fournisseurs et des produits, prise de risques sur un stock, mise à disposition des marchandises au public, prix fixes, admission libre, soldes, livraison à domicile, réclame... Il définit le rôle, crucial dans nos économies, du retailer, qui ne changera pas pendant près d'un siècle et demi. La géniale intuition d'Aristide Boucicaut, s'imposant comme le tremplin du commerce moderne, justifie l'accaparement, par le détaillant, d'une partie significative de la marge réalisée sur la vente.
Une remise en cause par les marketplaces
Pourtant, le modèle classique du retail est bien en train de s'effondrer. Les fournisseurs réalisent, en effet, qu'ils sont capables de livrer directement les clients finaux. De même, ils découvrent que les opérations prises en charge par les détaillants ne justifient plus de leur rétrocéder 40% de marge. Le phénomène récent des marketplaces connaît ainsi une fulgurante progression, comme en témoignent les chiffres d'Amazon: en 2018, le modèle marketplace représente 69% du volume total de ventes en France (source Foxintelligence) et 58% dans le monde (source Amazon).
Plus largement, sur l'ensemble des grandes enseignes e-commerce dans l'Hexagone, la part de la marketplace est passée de 21% en 2015 à 35% en 2018. Enfin, aucune catégorie ne semble épargnée par la déferlante que constituent les marketplaces.
En France, l'an dernier, 52% de la catégorie high-tech, 48% du bricolage ou encore 39% du secteur beauté-parfum étaient servis par des vendeurs tiers sur des marketplaces.
En prélude du Global M2C
Désormais, cette vague de désintermédiation s'accélère avec l'arrivée d'un deuxième phénomène: le Global M2C, pour Global Manufacturer to Consumer. Les fabricants, notamment chinois, livrent dorénavant les clients finaux en direct et par-delà les frontières. Cela s'illustre par l'émergence d'AliExpress, Joom, Shein et, bien évidemment, Wish, qui rejoint en 2018 le podium français de l'e-commerce, à côté d'Amazon et de Cdiscount (en volume de produits livrés). La désintermédiation extrême de ce modèle, qui permet, par exemple, à Wish d'enregistrer des prix de vente moyens de 5 euros par objet et des paniers moyens de 19 euros, explique la popularité grandissante de ces plateformes. Dans ce contexte, les acteurs du monde du retail traditionnel, qui avaient jusque-là prospéré sur les faibles coûts de production offerts par la Chine, deviennent les premiers concurrents, sinon les premières victimes, de leurs anciens fournisseurs.
UE : les relations entre marketplaces et vendeurs bientôt mieux encadrées
Comment se lancer sur une marketplace?
Ces places de marché d'un genre nouveau représentent donc un signal fort pour redéfinir le rôle des marques comme celui des distributeurs, mais également le droit commercial et le droit de la consommation. En fait, tout ce qui a été construit depuis 150 ans pour encadrer la consommation et la distribution doit aujourd'hui être repensé.
La nouvelle vague des places de marché
Bouleversant les codes du commerce traditionnel, les places de marché continuent leur marche en avant: au premier semestre 2019, 43% des articles achetés en ligne en sont issus, contre 41% un an plus tôt. Amazon, la figure de proue des places de marché, est loin devant ses concurrents sur ce segment, avec 67% du volume d'affaires des places de marché en France réalisés par la seule plateforme d'Amazon.
Derrière Amazon et Cdiscount (l'autre géant français des places de marché), trois spécialistes des places de marché se distinguent: Rakuten, Mano Mano (le spécialiste du bricolage) et Back Market (spécialiste de l'électronique reconditionné). Ces spécialistes créés il y a moins de 10 ans (à l'exception de Rakuten, anciennement Priceminister) devancent déjà les places de marché de grands noms du commerce français, comme la Fnac ou Darty, et continuent leur progression rapide.
Diplômé d'HEC, Édouard Nattée rejoint Bain&Company en tant que consultant pendant quatre ans, avant d'intégrer les équipes d'Amazon France. Il cofonde ensuite et dirige, durant quatre ans, Westwing France, site de ventes privées de meubles et d'objets de décoration. En 2016, il crée Foxintelligence, éditeur qui commercialise Foxwatch. Cette plateforme logicielle s'appuie sur le plus grand panel consommateurs d'Europe et une technologie propriétaire permettant de capturer quasiment en temps réel toutes les dynamiques de l'e-commerce et des business digitaux (parts de marché, fidélité des consommateurs...).