Jean-Denis Deweine (DG Auchan Retail France) : "Auchan est le pionner de l'e-commerce alimentaire"
Le nouveau directeur général d'Auchan Retail France, Jean-Denis Deweine, revient sur les conséquences de la crise sanitaire pour le secteur de l'alimentaire. L'occasion d'aborder les transformations du marché de la consommation et l'accélération de l'e-commerce alimentaire pour le distributeur.
Je m'abonneDepuis le premier confinement, l'e-commerce alimentaire a fortement progressé chez tous les distributeurs. Qu'en est-il pour Auchan?
Début 2020, notre chiffre d'affaires en ligne s'élevait déjà à plus de 10%, probablement le chiffre le plus haut parmi les distributeurs. Un certain nombre de grandes tendances de consommation sont à l'oeuvre: nous vivons de nombreuses transitions sur les plans alimentaire, digital, sociétal. Elles poussent les consommateurs à être de plus en plus digitaux en matière de choix ou de parcours de courses. Le Covid-19 n'a fait qu'accélérer, de manière assez spectaculaire, ces tendances vers le digital. Lors du premier confinement, nous avons connu une croissance de l'ordre de 100% de notre activité e-commerce durant quelques semaines. En 2020, nous dépasserons les 13% de chiffre d'affaires réalisé sur ce circuit (NDLR : l'interview a été réalisée fin d'année 2020), via une croissance de plus de 30%. Notre objectif est d'atteindre 15% en 2022.
Quelle est l'histoire d'Auchan dans l'e-commerce alimentaire?
Auchan est le pionner de l'e-commerce alimentaire: nous avons été les inventeurs du drive, en alliant le digital et l'alimentaire.
Le premier drive en France a été ouvert à Leers (Hauts-de-France) il y a vingt ans. Nous avons rôdé le concept dès le début des années 2000, en proposant sous forme de service gratuit à nos clients des hypermarchés la mise en coffre des produits. Cette proposition digitale a été augmentée avec le click and collect, y compris pour les produits frais. Nous avons ainsi lancé le site "Auchan Frais", à l'occasion des périodes festives de fin d'année, afin de répondre à l'afflux de clientèle et de commandes sur le rayon traiteur. Est venue ensuite une nouvelle étape au début des années 2010 avec la création de l'entité "Auchan direct" pour la livraison à domicile. Aussi en 2015, nous avons investi dans un entrepôt automatisé à Chilly-Mazarin (Essonne) pour pouvoir livrer en région parisienne. Notre offre digitale en alimentaire s'est d'abord construite à partir d'un parcours de courses et chaque parcours, d'une certaine manière, disposait de son propre site: "Auchan drive", "Auchan frais", "Auchan direct"... Aujourd'hui, nous avons unifié notre activité d'e-commerce alimentaire sous un même site "Auchan.fr". Notre objectif est de toucher le client en répondant à ses besoins à chacun de ses moments de vie via cette nouvelle proximité digitale. Ces nouveaux formats s'appuient sur l'effort de l'hypermarché auquel nous donnons une nouvelle vocation. Nous réexploitons ses mètres carrés, sous forme "d'entrepôts déportés", pour approvisionner nos petits magasins d'ultra-proximité digitale et ainsi minimiser le coût du dernier kilomètre.
Nous avons inauguré le tout premier drive piéton, "Auchan piéton", en 2014-2015 à Paris. Des magasins de toute petite surface que nous réimplantons en centre-ville. Pendant 50 ans, nous nous sommes implantés en périphérie en faisant venir les clients sur nos parkings. Aujourd'hui, nous effectuons le mouvement inverse, nous entrons dans les villes avec ces nouveaux formats. Lorsque nous implantons des "Auchan piéton", nous avons en moyenne 50% de nouveaux clients. Des consommateurs plus jeunes que notre clientèle habituelle.
Où en êtes-vous dans le développement des "Auchan piéton"?
Nous priorisons géographiquement la MEL (Métropole européenne de Lille), pour des raisons de proximité. Cinq "Auchan piéton" y ont déjà été inaugurés. Trois autres ouvriront début 2021 puis nous couvrirons les villes périphériques (Tourcoing, Roubaix, Villeneuve d'Ascq...). Notre objectif est d'atteindre 300 "Auchan piéton" fin 2021. Aussi, nous travaillons actuellement sur leur déploiement dans l'ensemble des métropoles de France. Pour cela, nous identifions les zones de vie, de chalandise à travers des algorithmes basés sur des data internes et externes, qui nous permettent de cibler les potentiels de quasi chacune des rues des villes en question. Nous pouvons ainsi définir au plus près le nombre de formats "piéton" réalisables dans une ville.
Quels changements percevez-vous auprès de votre clientèle en ligne?
Nous observons qu'une partie de notre clientèle, laquelle se rendait dans nos magasins (en hypermarché en particulier), a basculé sur les modèles digitaux, notamment sur le drive. Cette clientèle a pour caractéristique d'être plutôt senior. Ces clients ont certainement souhaité éviter la promiscuité et les risques sanitaires. Nous avons réussi à fidéliser une partie significative d'entre eux ces derniers mois. De fait, les paniers évoluent en raison de cette clientèle davantage senior, au pouvoir d'achat un peu plus élevé.
Nous allons devoir réviser nos offres produits sur les drives, en particulier, pour offrir davantage de produits frais. Ces catégories ont fortement progressé dans nos ventes. Pour cela, nous n'aurons pas besoin de mettre en ligne plus de références que nous en avons aujourd'hui. Nous réduirons très certainement la profondeur de nos réponses, c'est-à-dire, le choix multiple à un même besoin, pour privilégier la largeur. Par conséquent, nous devons proposer un plus grand assortiment sur certains produits, comme le bio, qui n'étaient pas forcément les stars de ces formats.
Vous avez signé un partenariat avec Glovo, société de livraison par coursier, dans quatre pays européens (Espagne, Portugal, Pologne et Ukraine). Avez-vous prévu de l'étendre notamment en France?
En France, nous avons des partenariats avec deux entités de livraison collaborative: Yper et Shopopop. Pour le moment, Glovo n'a pas répondu favorablement à notre appel d'offres sur le territoire français. Il considère que le marché de la livraison à domicile et du dernier kilomètre est beaucoup trop concurrentiel en France pour "en dégager" la valeur requise. Naturellement, la livraison à domicile et le dernier kilomètre en 30 minutes ou en une heure font partie de nos sujets de réflexion, nous sommes en discussion avec des professionnels.
Quelle est votre vision de l'évolution de ce marché dans les prochains mois?
Cette accélération du commerce digital dans l'alimentaire va se poursuivre, d'autant plus que de nouvelles formes de proximité digitale vont naître. La livraison à domicile restera toujours un service assez cher. Il n'y a qu'en Chine que le sujet se développe à très grande vitesse car le coût du dernier kilomètre est quasi nul. Dans les pays européens, lesquels n'ont pas les mêmes structures de villes qu'en Chine, le dernier kilomètre restera coûteux pour le distributeur ou pour le client. Au final, c'est une solution qui, de mon point de vue, tant que le coût du dernier kilomètre ne baisse pas, risque de demeurer marginale par rapport à la taille du marché alimentaire. En revanche, les formats de nouvelle proximité digitale vont connaître une dynamique extrêmement forte. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir le combat sur le piéton ou les magasins autonomes qui se hissent déjà auprès des enseignes. Ces formats donneront une vraie dynamique au commerce alimentaire on line.