Patrons de la relation client : maillons forts des sites marchands
Alors que la relation client sort du bois, ses responsables deviennent directeurs de l'expérience client, rattachés au top management des enseignes où la fonction est confisquée par ses dirigeants. Ils nous expliquent comment ils pilotent, désormais, la stratégie des sites.
Je m'abonneLa rémunération d'un responsable de service client oscillerait entre 32 300 € pour son niveau le plus bas et 114 860 €, pour le plus haut, selon "Le guide des salaires". Dans le secteur du digital, le directeur de clientèle web est un métier récent. Les jeunes - moins de trois ans d'expérience - perçoivent entre 30 à 46 k€, lorsque les plus expérimentés, pouvant justifier de trois à cinq ans d'expérience, voient leur rémunération atteindre les 65 k€, d'après l'Étude de rémunération nationale 2014 de Hays.
D'une façon générale, la relation client étant au coeur des préoccupations des entreprises, la tendance est à la hausse des rémunérations, depuis trois ans.
Néanmoins, le CRM a connu, en 2013, un morcellement important, donnant naissance à de nouvelles spécialités (brand content, social acquisition, real time bidding) et de nouveaux métiers centrés sur la "data" (Chief Data Officer, Data Scientist, Data Analyst), d'après la 34e édition de l'Étude salaires 2014, de Maesina International Search et Aon Hewitt.
La mission de ces cadres va bien au-delà de l'exploitation statistique des données traditionnelles : ils sont chargés d'exploiter les nouvelles technologies pour une meilleure interaction entre les canaux de contact, définir des modèles prédictifs avec les services études et améliorer l'expérience client.
Directeur de l'expérience client
"La direction de la relation client est un poste qui prend de l'importance, allant jusqu'à être rattaché au comité de direction alors qu'il dépendant du marketing ou de la logistique", affirme Étienne Turion, directeur business unit chez Webhelp.
La fonction devient stratégique : le levier de différenciation n'est pas le produit, mais l'expérience. Exit la fonction support ou limitée au SAV. "Les titres changent : au responsable du service client succède un directeur de la relation client ou de l'expérience client", ajoute Étienne Turion.
La place du patron de la relation client dans l'organisation semble, néanmoins, dépendre de la taille de l'enseigne et de sa maturité. "La relation client n'est reconnue en tant qu'outil d'aide à la vente et de fidélisation par les poids lourds de l'e-commerce que depuis quelques années", résume Franck Diego, directeur commercial et marketing de Mezzo.
Les petits sites méconnaissent la fonction ou l'associent au SAV. "Dans les sites de taille moyenne, qui gèrent entre 50 et 500 commandes par jour, la fonction n'existe pas encore. La relation client est toujours assimilée à un dysfonctionnement du site", ajoute l'outsourceur.
Des patrons issus du sérail...
Les enseignes les plus matures ont pris conscience du potentiel de la relation client. L'enjeu majeur consiste à faire évoluer la relation et à passer d'un niveau de service (réclamation, livraison) à un niveau de conseil (accompagnement). L'objectif sous-tendu étant de fidéliser le client et d'en faire un ambassadeur. Le service relation client grossit à mesure que le site développe son chiffre d'affaires et s'enrichit de spécialistes du datamining.
Chez LDLC, site de vente de produits informatiques créé en 1996, le service client a vu le jour en 2000, mais il n'employait, alors, que deux collaborateurs, dont son patron actuel. "Quatorze ans plus tard, nous sommes une cinquantaine", témoigne Christophe Bégué, responsable du service client de LDLC.
À 35 ans, l'homme, titulaire d'un DUT statistique et traitement informatique des données, réunit les compétences et qualités exigées pour le poste : il vient de la data et des nouvelles technologies, est féru de produits high-tech et a suivi le développement du groupe, qui réalise aujourd'hui 250 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Il maîtrise à la fois l'offre et l'analyse des données clients. Surtout, il a les coudées franches. "Le président de LDLC, Laurent de la Clergerie, me laisse une grande liberté, car sa stratégie place la relation client au coeur de l'entreprise; elle n'est pas considérée comme un centre de coûts, mais de profits et, d'ailleurs, nous n'évoquons jamais le coût de contact", explique Christophe Bégué.
La posture du marchand est sans ambiguïté : un client bien conseillé avant la vente achète et se montre fidèle. LDLC chouchoute sa communauté sur les réseaux sociaux et incite au partage d'expérience.
Chez Kiabi aussi, la patronne de la relation client vient du sérail : Carole Villanueva Theeten, 47 ans, dont 26 au service des clients de l'enseigne ! Celle qui a démarré sa carrière dans les magasins au contact de la clientèle, a rejoint le Web en 2000, après un passage aux approvisionnements.
Elle chapeaute une équipe de quatre chargés de relation client, répartis par site marchand et zone géographique (France, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Kiabishop.com) et assure le suivi des prestations d'un outsourceur. "Mon job consiste à orchestrer la politique de relation client crosscanal de l'enseigne", déclare-t-elle.
Ses équipes gèrent l'opérationnel. "Mes collaborateurs ont pour mission d'apporter une réponse pertinente et immédiate aux clients dans le but de les fidéliser", précise-t-elle. Pendant ce temps, elle travaille à ses prochains défis : mettre le cap sur la proactivité, être garante de la fidélisation, et accompagner le développement international de la marque en localisant un chargé de relation client en Russie ou encore au Brésil.
... ou issus de la direction
Quand ils ne bénéficient pas d'une promotion en interne, les patrons de la relation client viennent d'autres secteurs d'activité. "La mise en place d'un département relation client avec des objectifs basés sur l'anticipation, la stratégie de fidélisation et la reconnaissance, a nécessité la construction d'une fiche de poste et le recrutement de talents extérieurs", remarque Franck Diego. iDTGV est allé chercher sa responsable de la relation client dans la téléphonie.
Dans d'autres cas, la fonction fait partie des missions d'un des dirigeants. "Il n'y a pas plus important, dans notre entreprise, que la relation client !", s'exclame Martin Ohannessian, fondateur et CEO du site d'abonnement de vin Le petit ballon.
Pour l'entrepreneur, diplômé de l'EM Lyon, la fonction est stratégique, c'est pourquoi il la dirige. "Le business du vin est lié au goût des consommateurs, à l'espace de stockage dont ils disposent; la connaissance du client nous permet de personnaliser les offres, de fédérer une communauté et de la fidéliser", indique-t-il.
Christian Jorge, directeur des opérations de Vestiaire Collective et cofondateur de l'enseigne, concentre entre ses mains la logistique, le contrôle qualité et la relation membres. Dépassant la simple activité d'intermédiaire entre particuliers, le site de dépôt-vente chic se définit comme une plateforme sociale. "Tous les services du site sont liés à la relation avec ses membres", martèle Christian Jorge.
Interactions
L'objectif est de fidéliser et de faire croître la communauté tout en continuant d'affirmer un positionnement haut de gamme. Pour inciter les membres à passer du temps sur le site et à échanger, Christian Jorge s'est entouré de deux équipes, externe et interne.
Viapost - la filiale du groupe La Poste - gère les appels entrants portant sur le fonctionnement de la plateforme et les questions basiques (une dizaine d'opérateurs prennent en charge les flux).
Mais les questions plus pointues sont traitées par le service multilingue interne. "Notre plus gros défi est de pouvoir, mois après mois, garantir un service haut de gamme à nos membres en absorbant la croissance de l'activité, et notamment à l'étranger, puisque plus de 50 % des commandes viennent de l'international", confie le directeur de la relation membre.
Ce qui implique une amélioration constante et encadrée des prestations. Les équipes de Viapost sont invitées à progresser vers le niveau 2 (plus complexe) et à gérer une partie des flux asynchrones. "Cela passe, en effet, par de la formation, le contrôle qualité, l'ouverture de nos systèmes et le partage des indicateurs. Vestiaire Collective peut auditer les appels de nos conseillers", ajoute Steven Lautru, directeur des solutions clients de Viapost.
À n'en pas douter, la montée en compétences des équipes va de pair avec l'importance que prend la fonction dans les organisations.
Décryptage
À 48 ans, Myriam Berthy, responsable de la relation client d'Autoescape, peut se féliciter : le site de location de véhicules vient d'être primé, dans le cadre de l'Élection du service client 2015 (chaque année, une enquête menée par Inference Operations, groupe BVA, pour Viséo Conseil, basée sur 215 tests clients mystères, distingue les entreprises les plus performantes).
Celle qui a commencé sa carrière chez American Express Travel, après avoir obtenu un BTS tourisme, gère depuis de longues années la relation client dans le secteur du tourisme (UCPA, Héliades).
Elle supervise, aujourd'hui, un dispositif bien rodé. Le site externalise, en effet, la gestion du niveau de base de sa relation client auprès de l'outsourceur B2S, à Casablanca (17 agents, 2 superviseurs, 1 coach qualité et 1 chef de plateau). "Je ravaillais déjà avec eux à l'UCPA", glisse Myriam Berthy. "Je connaissais leur sérieux, c'est pourquoi nous avons fait appel à eux".
En interne, elle dispose d'une équipe (10 collaborateurs) chargés du niveau 2 (suivi de dossier, problème lié à la disponibilité d'un modèle, réclamation et litige). "Mon métier est un métier de chiffres, car je surveille et consolide en permanence le taux de contacts dans l'objectif de le réduire et de rendre nos clients autonomes", explique la responsable. Un véritable défi dans la mesure où les loueurs modifient régulièrement leur politique commerciale, ce qui rend l'offre opaque.
Une autre dimension est cruciale : les ressources humaines. La patronne de la relation client veille à ce que les équipes, interne et externe, entretiennent des liens étroits. "Tous mes collaborateurs se sont rendus au moins une fois sur le site de Casablanca pour rencontrer les agents : j'y vais moi-même quatre jours par mois et nous faisons un point hebdomadaire par téléphone lors d'un miniconseil de pilotage", explique-t-elle. Les contacts par mail ou par téléphone entre les deux services sont quotidiens.
Prochaine étape : renforcer la personnalisation. Autoescape s'est doté d'un CRM pour mieux reconnaître ses clients et Myriam Berthy espère bénéficier de l'expérience du géant Expedia, qui a racheté le site en juin