"Les géants du retail débloquent d'énormes moyens pour être présents sur Internet"
Marc Lolivier, délégué général de la Fevad, revient sur les derniers chiffres du e-commerce en France, la montée en puissance des retailers traditionnels, et analyse les grandes tendances de marché.
Je m'abonneLes ventes en ligne ont atteint 13,5 milliards d'euros, au troisième trimestre 2014, soit une progression de 11%. Sur les neuf premiers mois de l'année l'e-commerce a généré 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Marc Lolivier, délégué général de la Fevad analyse le marché et les évolutions qui le sous-tendent.
Le chiffre d'affaires du e-commerce est en hausse, tout comme le nombre de nouveaux sites marchands sur le Web. Dans le même temps, le panier moyen ne cesse de dégringoler de trimestre en trimestre. L'e-commerce français nage-t-il en plein paradoxe ?
Nous observons en effet une baisse progressive du panier moyen. Mais celle-ci s'explique par deux phénomènes. Tout d'abord, il y a un effet 'produit mix', c'est-à-dire que tout ce vend sur internet y compris des petits produits tels que des stylos ou encore des couches, qui coûtent peu cher. Cela n'était pas le cas auparavant, et donc cela contribue à tirer le panier moyen vers le bas, même si c'est à relativiser au regard du panier moyen dans le commerce traditionnel, qui se situe autour de 50 euros.
Par ailleurs, cet effet est probablement accéléré par la crise, puisque notre pays est quasiment en déflation. Aussi, la baisse du panier moyen baisse est véritablement compensée par la progression du nombre d'acheteurs (+7% au troisième trimestre 2014), ainsi que par leur fréquence d'achat. Ceci dit, il ne faut pas nécessairement se plaindre de cette baisse du panier moyen car si elle est liée aux prix, elle devient aussi la raison pour laquelle les gens viennent de plus en plus acheter sur Internet.
Sur la période de Noël, les intentions d'achats mettent en lumière la montée en puissance du multi-device, ainsi que celle du clic&collect. Ces nouveaux usages révèlent ils le point d'inflexion du e-commerce tel que nous le connaissions il y a quelques années ?
C'est en effet la fin du e-commerce, et l'avènement du commerce connecté qui avait été prédit. Le seul point sur lequel nous nous sommes trompés, c'est que ce phénomène arrive beaucoup plus tôt que nous l'avions prévu. Les frontières entre les différents canaux de vente sont tombées et cela s'accélère. Alors, on parle beaucoup du Web to store avec notamment le retrait en magasin, mais on peut également parler du Web in store, avec des clients présents en magasin et qui commandent sur internet depuis le point de vente.
Au final, le résultat est le même, c'est le consommateur qui a dicté sa loi, et pour lui le multicanal n'a jamais eu aucun sens, il veut simplement acheter ce qu'il veut, quand il veut, où il veut. Les magasins ont du s'adapter à cette nouvelle donne, et les pures players réfléchissent désormais à la manière dont ils peuvent survivre sans magasin.
Pensez-vous que l'adaptation des pure players à cette réalité et suffisamment rapide ?
Il est vrai que le challenge du e-commerce, pendant longtemps, a concerné les commerçants physiques, mais ils sont vraiment en train de rattraper leur retard. Pour les pure players, le challenge est de s'adapter par rapport à cette contre-offensive des magasins sur leur terrain. Finalement nous allons voir ce qui est plus difficile : être e-commerçant et devenir commerçant, ou être commerçant et devenir e-commerçant.
Il est donc possible d'affirmer que les retailers traditionnels ont pris leur revanche sur les pure players ?
La réalité c'est que l'on assiste progressivement à la sortie des pure players et que si l'on regarde dans le détail, il n'en reste pas beaucoup. Groupon, Redoute, Amazon. mais Rue du Commerce appartient à Altarea Cogedim, Cdiscount est davantage un hybride adossé à Casino... La bataille va désormais se jouer entre quelques très gros pure players et les retailers traditionnels. L'avenir des pures players sera dans les marchés de niches et sur les offres spécifiques de type ventes événementielles comme Vente-privee.com par exemple.
Pendant ce temps, les gros retailers classiques débloquent d'énormes moyens pour être présents sur Internet, et ce qui est intéressant de constater, ce sont les passerelles créées entre magasins et Internet, comme le retrait en magasin. Mais lorsque l'on sait que 60% des gens qui ont acheté en magasin déclarent avoir effectué un achat au sein du point de vente, cela montre en réalité qu'Internet contribue à repeupler les magasins.
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Depuis quelques temps déjà, les places de marché explosent en France. Désormais, en moyenne, 21% du chiffre d'affaires des grands sites marchands qui en disposent, est réalisé depuis les market places. Comment analysez-vous ce succès ?
Les places de marché deviennent réellement structurantes pour les sites marchands. Elles sont symptomatiques de l'évolution du modèle économique des sites. En effet, ce sont principalement des sites qui, pour des raisons historiques, ont eu besoin d'atteindre des tailles critiques. Ils ont donc joué une course à l'audience pendant plusieurs années, parce qu'elles en avaient besoin notamment pour bénéficier d'effets de volumes auprès de leurs fournisseurs. Lorsque les sites se sont aperçus que le taux de conversion en ligne restait assez faible par rapport au commerce traditionnel, ils se sont dit qu'il fallait trouver un moyen d'exploiter l'audience colossal dont ils disposaient.
L'idée est de proposer une offre qu'eux-mêmes ne développent pas, et de créer ainsi un phénomène vertueux. Pour le site, la market place ne nécessite pas ou peu d'investissements additionnels, et pour le petit commerçant, il dispose d'une audience géante en quelques clics. Et par ailleurs, cela permet de minimiser le risque car le commerçant ne paye que quand il fait des ventes. Enfin, c'est bon pour le consommateur qui bénéficie ainsi d'une offre encore plus large sur un site donné. Il s'agit vraiment d'un modèle gagnant-gagnant. D'ailleurs, aux États-Unis, Amazon est de plus en plus considéré comme un concurrent de Google puisque les gens utilisent un peu Amazon comme un moteur de recherche, et cela n'est possible pour un site marchand, que grâce aux market places.
Dans le cadre du projet de loi de finances rectificatives, le gouvernement prévoit de se doter de moyens plus efficaces pour lutter contre ce qui aurait été identifié comme étant de la fraude à la TVA sur les places de marché. Quel regard portez-vous sur cette disposition ?
L'administration dispose déjà d'un droit de communication. Il s'agit donc d'étendre ce pouvoir afin de lui faciliter l'accès aux données transactionnelles. A mon sens, le problème porte d'abord sur la lutte contre les professionnels qui ne se déclareraient pas, bien qu'il n'existe aucun chiffre permettant d'évaluer l'ampleur du phénomène qui a souvent tendance à être surestimé. D'autant que les principales plateformes de CtoC ont mis en place des politiques internes assez rigoureuses, permettant de déceler les vendeurs qui réalisent un grand nombre de ventes afin de les basculer sur un statut de professionnels. Concernant les places de marché, il s'agit plutôt de lutter contre les sites hébergés qui ne s'acquitteraient pas de la TVA ou des droits de Douanes. Là encore, je pense qu'on manque sérieusement d'éléments d'évaluation sur l'ampleur réelle du phénomène.
En attendant le gouvernement, qui pourtant ne manque pas une occasion de rappeler les enjeux liées à la protection des données, va prendre des mesures qui ne sont pas sans risques sur le plan de la vie privée, puisque l'administration pourra demander un très grand nombre de données aux plateformes. Par ailleurs, on va imposer de nouvelles charges sur les acteurs français qui risquent de favoriser le développement des ventes sur des plateformes situées à l'étranger qui, de ce fait seront beaucoup plus difficiles à contrôler. Le plus surprenant dans cette affaire c'est que le gouvernement n'ait pas jugé utile de consulter les acteurs. C'est tout sauf l'intérêt des plateformes et des sites français que de favoriser l'évasion fiscale. Alors pourquoi ne pas les avoir consulté. Il serait temps que certains responsables politiques comprennent qu'on a la chance d'avoir en France des acteurs responsables qui ne demandent pas mieux que de contribuer aux politiques publiques en matière de lutte contre la fraude. Pour autant qu'on les consulte.
L'e-commerce devrait générer 56 milliards d'euros de chiffre d'affaires cette année. La France reste donc sur la troisième marche du podium européen derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Que manque-t-il à l'e-commerce français pour faire jeu égal avec ses voisins ?
C'est un mal un peu français de voir que nous sommes en troisième position. Vous pourriez dire plutôt que nous sommes cinq fois plus importants que l'Espagne et l'Italie par exemple. Il ne faut pas tomber dans le french e-commerce bashing. Ceci dit, l'Angleterre est à mon sens un Ovni en la matière. Nous pouvons même considérer que si l'on ramène le secteur du e-commerce à la population, le UK est le premier pays au monde pour l'Internet marchand.
Concernant l'Allemagne, les chiffres délivrés sur ce marché sont parfois un peu contradictoires. L'an passé, le secteur générait un chiffre d'affaires aux alentours de 60 milliards. Nous n'en sommes pas très loin, d'autant que leur population comprend 20 millions de personnes de plus qu'en France. Aussi, l'Allemagne est le premier pays en Europe à avoir une tradition de l'achat à distance, devant le Royaume-Uni. Pour autant, ce qui nous a peut être manqué à un moment donné par rapport à nos voisins européens, c'est un investissement fort des retailers dans l'e-commerce. D'un autre côté, nous avions un socle de pure players très important. Désormais, puisque les distributeurs investissent massivement dans l'Internet, nous combinaisons peu à peu les deux forces, et pour cette raison, il y a de grandes chances pour que nous rattrapions nos voisins, et très rapidement.