Balance ta start-up : le compte Instagram qui crée la tourmente
Du harcèlement aux licenciements illégaux, sur Balance ta start-up, les témoignages s'empilent comme les followers, qui sont plus de 150 000. Coolitude de façade et gestion interne déplorable ? Ou simple vengeance de salariés échaudés ? Chacun veut distinguer le vrai du faux.
Je m'abonne"Elle m'a empêché de dormir tous les dimanches en m'envoyant des mails à 22h pour la réunion du lundi matin. Elle a aussi enclenché des dépressions chez les employés", "L'enfer sur terre... Elle fait régner la terreur et peu de monde ose parler", scande une voix anonyme sur le compte Instagram @balancetastartup En cause : la manageuse d'une start-up où les pratiques RH laisseraient à désirer. Son cas n'est pas unique : sur le réseau social, les témoignages glaçants se multiplient.
Fondé en décembre 2020, le compte Balance ta start-up se donne pour mission de dénoncer les dérives au sein de la start-up nation, du harcèlement au licenciement illégal. Y sont pointées du doigt des jeunes pousses de tous bords, tels que Doctolib, Lydia, Qapa, Side, Meero, Swile et plus récemment Lou Yetu. Les témoignages sont recueillis, à l'origine, sur le réseau social d'évaluation de l'environnement de travail, Glassdoor. La prise de popularité est flagrante. Dès lors, les langues se délient sur Instagram où la détentrice du compte publie les messages qui lui sont envoyés. Toutefois, l'anonymat reste de mise, par peur de représailles ou d'atteinte à la e-réputation.
Trois ans après les mouvements #MeToo et #Balancetonporc qui avaient embrasé les réseaux sociaux et mené à plusieurs procès, Balance ta start-up s'inscrit aux côtés des comptes éponymes @balancetonagency, @balancetonstage, @balancetaredaction ou encore @balancetontatoueur. Des initiatives à l'ADN commune : manifester en ligne en vue d'éveiller des méthodes discutables.
Une ancienne de la start-up nation
L'instigatrice de Balance ta start-up a entre 30 et 40 ans et affirme avoir collaboré au sein de 5 start-up. Oui les points positifs existent, mais divers agissements la froissent : "j'ai été témoin d'abus pendant des années, ça m'a donné envie d'agir", précise-t-elle incognito. Voyant les répercussions du compte @balancetonagency, qui a poussé à la démission plusieurs pointures du secteur de la publicité, et l'enquête de Médiapart sur la start-up "Lunettes Pour Tous" qui a révélé le management calamiteux de la start-up chouchoute de l'optique, elle se lance. Son objectif est d'alors apporter des solutions. "Je me suis rapprochée d'une avocate pour chercher des manières de proposer une aide concrète aux personnes en difficulté. Ce compte doit devenir le tampon entre les salariés et les aides auxquelles ils peuvent accéder", explique la militante.
Mais rapidement, son initiative dérange, même si sa page n'est pas vouée à exposer que le négatif. "Si j'ai dix témoignages sur une start-up, je vais publier les négatifs comme les positifs. Je me force à respecter le ratio, car je ne veux pas biaiser l'information, assure-t-elle. Si une marque veut s'exprimer, elle est la bienvenue."
Avec la popularité du compte qui dépasse les 150 000 followers, elle se méfie des anciens salariés mécontents en quête de vengeance. Ainsi que des marques qui envisageraient de s'en servir comme d'un canal de communication corporate. "Je ne cherche pas le buzz, ni à ce que les entreprises soient poursuivies. Je veux simplement que les choses bougent", affirme-t-elle.
"Tout ce qui est anonyme est faux"
À partir de la mi-janvier, une marque de bijoux parisienne, Lou Yetu, est la nouvelle start-up à faire les frais du compte. Les accusations sont multiples (travail dissimulé, harcèlement, ...), mais au téléphone son porte-parole réfute : "La marque dément fermement les attaques car elles sont portées de manière anonyme. Ces témoignages infondés sont orchestrés dans le cadre d'une campagne de dénigrement. Nous nous interrogeons sur les motivations du compte depuis la publication du nom de nos concurrents directs, qui eux seraient éthiques."
Par ailleurs, il stipule que Lou Yetu est contraint de poursuivre toute personne en lien avec ces propos diffamatoires qui constituent du cyberharcèlement. La fondatrice de la marque, Camille Riou, a supprimé son compte Instagram depuis la publication des premières déclarations.
Stéphanie Delestre, la fondatrice du site de recrutement Qapa, lui aussi dans la tourmente, assure ne pas avoir peur. "Il faut être ferme, tout ce qui est anonyme est faux, ça peut même être mon ex-mari qui signe les publications, argumente-t-elle. J'ai d'ailleurs essayé de me créer un compte sur Glassdoor. Il est très simple de laisser un avis sans laisser son nom. C'est pourquoi ça ne vaut rien. La meilleure chose reste la transparence."
Pour appuyer son propos, elle met en avant l'absence de recours aux prud'hommes de Qapa. Stéphanie Delestre est d'ailleurs prête à ouvrir les portes de son entreprise "pour prouver que tout va bien". Elle conclut : "Comme dans de nombreuse start-up, la première préoccupation, ce sont les collaborateurs et ensuite le business. Chez Qapa, cette polémique n'a donc aucune conséquence, en interne comme en externe."
Vérification des témoignages
De l'autre côté du ring, l'auteure de Balance ta start-up se désole de la réaction des entreprises au sujet de l'anonymat. "Il faut bien penser qu'il y a des humains derrière. Décrédibiliser la parole des victimes sous couvert de l'anonymat, c'est très grave. D'autant plus que ces individus ne veulent pas parler parce qu'ils ont peur", justifie-t-elle.
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Afin d'assurer la véracité des aveux, elle demande aux salariés et ex-salariés des preuves de travail dans les entreprises ciblées. Ce peut être des comptes LinkedIn ou des contrats, une manière selon elle "d'évincer les médisants voulant causer du tort".
À terme, l'ex-startupeuse ambitionne de proposer aux salariés en détresse un espace où les accueillir. Ils pourront alors y connaître leurs droits et obtenir des conseils. Enfin, pour approfondir son travail de recherche, elle précise vouloir s'appuyer sur des journalistes.
Dans le cadre de cette enquête, nous avons également contacté Chefing, Lydia, Swile et Doctolib. Ceux-ci n'ont pas souhaité nous répondre.
L'e-réputation au centre des préoccupations
Face à des accusations sur les réseaux sociaux, Stéphanie Laporte, spécialiste en e-réputation et fondatrice de l'agence Otta, conseille aux entreprises deux postures à adopter.
La première, dans le cas d'accusations partiales, la société a le droit de se défendre en faisant preuve de transparence. Elle adopte alors une attitude défensive et montre les actions déployées en interne, que ce soit pour le bien-être des salariés ou pour respecter certains engagements. Autre solution, l'entreprise se montre compatissante envers les personnes qui ont souffert de la situation. En faisant preuve d'ouverture, elle fait comprendre qu'il va y avoir des ajustements.
Le déni intégral des faits n'est donc pas la bonne approche. "On constate chez les start-up que la communication interne est souvent négligée. La définition de ce statut est d'être à la recherche d'un business model. Malheureusement la variable d'ajustement, c'est l'humain, que l'on néglige au profit de la croissance", raisonne Stéphanie Laporte.
Concernant l'anonymat des témoignages, l'experte en e-réputation est claire, il en est encore une fois de la précarité du modèle. "Cette souffrance au travail aurait dû remonter de la part des équipes. Peu importe le niveau de véracité des témoignages, on s'aperçoit qu'il y a quand même un souci pour qu'il y ait autant de colère", tranche la spécialiste.
Dès lors, la priorité des entreprises concernées serait de faire de l'ajustement et de rétablir la confiance en interne. Le tribunal d'opinion populaire qui a lieu sur Instagram ne peut pas se substituer à la justice. "Ces témoignages sont importants, mais les preuves le sont encore plus", conclut Stéphanie Laporte.