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Bernard Cherqui : "Halte au feu ! Shein et Temu mettent en péril le commerce européen"

Bernard Cherqui, patron de l'ETI Monial Tissu et président de l'Alliance du Commerce, s'exprime pour mobiliser le gouvernement face à la concurrence déloyale exercée par les plateformes asiatiques. Bien que toutes les parties prenantes s'accordent sur la menace sociale et économique que représentent ces nouveaux acteurs, l'urgence grandit à la lumière des dernières mesures prises par Donald Trump. Les décisions ne peuvent plus attendre. Explications.

Publié par Elsa Guerin le | mis à jour à
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Bernard Cherqui : 'Halte au feu ! Shein et Temu mettent en péril le commerce européen'
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À lire vos publications et prises de parole, on a l'impression que nous sommes à un moment décisif concernant la réglementation de ces plateformes. Est-ce le cas ?

En effet, depuis mi-avril, les plateformes chinoises ont transféré 40 % de leurs investissements publicitaires des États-Unis vers l'Europe, et les résultats sont déjà visibles. Selon Ikom, une agence de webmarketing, les taux d'impression ont augmenté de 37 % en moyenne pour Shein et Temu, avec des pics dépassant les 100 % dans les secteurs de la mode et de la décoration depuis les annonces du Président Trump sur les nouveaux droits de douane. Ces chiffres sont spectaculaires. Les représentants de ces plateformes ont directement expliqué que, face aux mesures du gouvernement américain, ils avaient décidé de rediriger leur investissement publicitaire, habituellement effectué aux États-Unis, vers l'Europe. Les problématiques liées à Shein et Temu existent depuis six mois, et cela fait deux ou trois mois que les fédérations prennent la parole pour réclamer des mesures afin de réguler ces acteurs. Cependant, face aux décisions de Donald Trump, il est désormais impératif d'agir sans attendre.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi ces plateformes sont problématiques ?

Il est important de comprendre que mon message, ainsi que celui des autres fédérations, n'a pas pour but de défendre mon commerce spécifiquement. Shein et Temu ont adopté un mode de fonctionnement radicalement différent de ce que nous connaissions jusqu'alors : c'est la première fois qu'un produit passe directement de l'usine au client final à grande échelle. En pratique, ce sont 4,6 milliards de colis d'une valeur inférieure à 150 €, avec une moyenne de 22 €, qui ont été importés en Europe en 2024, dont 91 % proviennent de Chine. Ce chiffre est presque deux fois supérieur à celui enregistré en 2023 (2,4 milliards) et quatre fois plus élevé qu'en 2022 (1,2 milliard). Autrement dit, ils doublent systématiquement leurs volumes. Le risque ? Ce n'est pas simplement la fermeture de certains commerces, mais un risque systémique qui menace l'ensemble du secteur. À ce rythme, dans un délai très court, nous ne reconnaîtrons plus le commerce tel que nous l'avons connu jusque-là. Nous risquons de voir disparaître le commerce.

N'est-ce pas un risque inévitable dû à un système libéral ?

Non, nous n'avons rien contre le système libéral. Le problème réside dans la distorsion de concurrence sans précédent qu'opèrent ces plateformes. D'abord, en ce qui concerne les droits de douane : leurs produits sont en dessous du seuil de 150 euros, ce qui leur permet d'échapper à toute imposition douanière. Ensuite, il y a un manque d'action de la part de la DGCCRF, et nous ne comprenons pas ce manque de contrôle. Troisièmement, il y a les risques liés au RGPD. Actuellement, sur le site de Temu, on peut obtenir un bon d'achat en échange de l'accès à nos données personnelles à vie. N'oublions pas qu'en Chine, toutes les données collectées par les entreprises sont à la disposition de l'État. Enfin, il existe une grande opacité quant à leur système de TVA, et nous ignorons si elle est réellement reversée. Un autre problème majeur concerne la qualité des produits. La Fédération des jouets a effectué des tests : 95 % des produits de ces plateformes ne pourraient même pas être vendus en magasin. Et je mets de côté l'aspect des droits de l'homme, notamment l'exploitation des Ouïghours, sur lequel nous ne pouvons malheureusement pas agir.

Quelles actions le gouvernement peut-il mettre en place ?

ll y a une quinzaine de jours, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec la ministre du Commerce, Véronique Louwagie. Le gouvernement semble vouloir avancer sur ce dossier. Éric Lombard devrait également aborder ces enjeux et proposer des solutions concrètes dans les semaines à venir. En ce qui concerne les droits de douane, la Commission évoquait initialement un délai jusqu'en 2028, puis a avancé à 2026, mais ces délais sont bien trop longs. La situation est déjà critique : chaque jour, une centaine d'avions partent de Chine pour inonder le marché européen de ces marchandises. Et demain, la situation ne fera qu'empirer. À l'échelle européenne, les contraintes de temps sont réelles, mais en France, des mesures immédiates pourraient être prises, comme l'imposition de frais de gestion sur ces colis. Ce serait une première étape concrète. Enfin, il est incompréhensible que la DGCCRF, pourtant très présente dans nos commerces, n'agisse pas plus rapidement. On se demande ce qui bloque. Rappelons qu'en 2022, Bruno Le Maire avait demandé une enquête, et en 2025, nous attendons toujours des résultats. Je ne remets pas en cause la volonté du gouvernement, mais il est impératif de comprendre qu'il y a un réel danger... La maison brûle.

Concrètement, demain, que peut-on espérer ?

Il est urgent d'appliquer des frais de gestion et de renforcer les contrôles de la DGCCRF. Attendre jusqu'en 2026 n'est tout simplement pas envisageable. Tandis que le président Trump prend des décisions en quelques heures, l'Europe doit se mobiliser de manière plus dynamique, déterminée et rapide. Ce n'est pas uniquement mon commerce que je défends, mais bien le commerce dans son ensemble. En 2023, Temu n'existait même pas. Leur montée en puissance est phénoménale et, si l'on ne réagit pas, cela risque de nous priver du commerce, c'est-à-dire de notre présence dans nos villes, du lien social, des rentrées fiscales et de centaines de milliers d'emplois.


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