Jérôme Hiquet (CEO de StratNXT) : « Le retail est dans un cycle tumultueux »
Le secteur du retail foisonne d'expériences innovantes et doit se réinventer à l'aune des nouvelles attentes et comportements des consommateurs. Nouveau rôle du magasin, live commerce et les prémices du métavers sont autant de défis à relever pour les acteurs. Quelles opportunités dans la bataille du dernier kilomètre et celle de la data "1st party" ? Jérôme Hiquet, fondateur et CEO de StratNXT, livre sa vision du secteur.
Je m'abonneVous avez créé la société StratNXT, adossée au groupe Labelium, il y a un an, quelle est son activité et quelles sont ses missions ?
StratNXT est le cabinet de conseil stratégique du groupe Labelium, qui est une agence mondiale de performance digitale présente dans 20 pays. On tente, en 2022, de réconcilier trois dimensions clés du conseil, à savoir la capacité à dégager une vision stratégique et opérationnelle, l'expertise métier (le digital sur toute la chaîne de valeur) et l'expérience terrain - grâce à mes 20 ans passés au sein de différentes directions marketing. StratNXT rassemble une trentaine de clients en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. L'entreprise agit un peu comme un commissaire aux comptes du digital, un juge de paix face à la complexité du digital (orchestration ou accélération de projets) pour des grands comptes, des fonds d'investissement, mais aussi des PME.
Vous évoquez la "StratNext touch" comme identité d'entreprise, de quoi s'agit-il exactement ?
Pour la définir, le mieux est d'expliquer mon envie de créer le cabinet que j'aurais voulu avoir à mes côtés en tant que directeur marketing. Donc, elle réunit les trois choses qui me manquaient : avoir des convictions à impact, une vision agnostique, centrée business et être accompagné dans la gestion du quotidien. Grâce à nos outils en interne, nous pouvons scanner la maturité digitale d'une entreprise en six semaines.
Quelles sont, selon vous, les prochaines évolutions, voire innovations en termes d'usage de la data au service du consommateur ?
Le premier enjeu pour les marques est de réussir à affiner et unifier les signaux et les intentions des consommateurs. Ensuite, la fin du cookie va mécaniquement accélérer la valeur des retailers comme étant acteurs des médias. Car ils auront une quantité de données unifiées et qualifiées importante. Tous les acteurs aux États-Unis se positionnent sur ce sujet. Enfin, gérer le parcours client sans friction, ce qui suppose d'avoir un référentiel client unique, une capacité à orchestrer les commandes de manière omnicanale. La nécessaire fluidité des parcours client va pousser des sujets autour de la data.
« Le Covid a permis la clarification du rôle du magasin comme lieu de découverte immersif et de fullfilment omnicanal »
Comment définiriez-vous le "New normal" post-Covid ?
La difficulté du contexte actuel est de gérer des tensions opposées avec d'un côté des parcours client sans friction et le boom de l'hyper-praticité pour les consommateurs, ainsi que la pression sur les marges. Comment les marques peuvent-elles développer plus de services tout en contrôlant leurs marges ? Elles doivent devenir des "équilibristes du prix". Idem pour les enjeux de RSE. Les attentes du citoyen ne sont pas toujours celles du consommateur confronté à une logique de prix. Enfin, il faut intégrer le métavers dans les stratégies digitales tout en restant connecté. D'où l'intérêt pour les marques d'être attentives aux insights pour prioriser ce qui est important en termes d'innovation.
Quels sont, selon vous, les "megatrends" forts sur le retail qui semblent vraiment structurants ?
En premier lieu, l'avènement de l'ultra-praticité qui force la normalisation de nouvelles tendances d'achat (cryptomonnaie, BNPL...). On constate que la bataille pour le dernier kilomètre est vive avec l'omniprésence d'Amazon et un contrôle sur toute la chaîne du parcours de livraison : route, air, mer... S'en suit le quick commerce avec de nombreux tests sur les livraisons via les robots autonomes (Uber Eats), même si les business models ne sont pas encore au point. Il y a aussi l'avènement du local, la consommation près de chez soi. D'où l'explosion du "dark kitchen". Enfin, le secteur du retail doit intégrer la complexification du parcours client avec la multiplication des points de contact et une hybridation des parcours d'achat.
Deuxième tendance, le "alt-commerce", ou alternative commerce. Le live streaming est devenu un outil majeur pour permettre aux marques de se connecter avec leur audience. Par extension, la personnalisation va s'accentuer via le "live personal shopper", comme dans l'univers du luxe. Le re-commerce explose aussi et l'inflation peut être une opportunité pour ce marché de l'occasion.
Troisième axe, le magasin augmenté et la clarification du rôle du magasin comme lieu de découverte immersif et de fullfilment omnicanal (exemple avec Zara). Le point de vente se transforme de simple lieu de passage en une destination attractive. Dernière tendance, enfin, l'engagement client 3.0 avec le rôle de la réalité augmentée dans l'expérience retail virtuelle. De nombreuses marques de luxe testent la monétisation de leurs assets dans ce monde digital et je pense que la réalité du NFT va prendre tout son sens dans une logique de programme de fidélisation (exemple de Roland-Garros et son club de fans). L'engagement 3.0 est autant un engagement marketing que sociétal avec l'émergence d'une identité numérique comme levier d'expression des individus.
L'exigence des jeunes générations en matière de RSE des marques est-elle compatible avec les stratégies marketing des enseignes ? N'y a-t-il pas une limite à la transparence ?
Oui, car on assiste à l'avènement du marché de la seconde main et je pense que c'est un levier d'acquisition de nouveaux clients pour les marques avant l'achat de produits neufs. Donc il y a une cohérence. Mais il est à noter aussi qu'il y a un écart fort entre les intentions d'achat et la réalité pour des problématiques de prix. Malgré tout, je ne vois pas de limite à la transparence à partir du moment où la marque a une démarche authentique.
Quels sont les prochains défis des retailers ?
Nous entrons dans un nouveau paradigme du retail avec un écosystème - hors blockchain - où le magasin devient un lieu d'expérience et l'e-commerce est de plus en plus "live", collaboratif ; et d'autre part - dans la blockchain - avec l'avènement de la cryptomonnaie et le métavers. Cette composition triangulaire entre le magasin, le digital commerce et le méta-commerce est le prochain défi à appréhender pour les retailers. En parallèle, la gestion des datas s'impose pour une meilleure fluidité des parcours client et la compréhension des attentes consommateurs. Enfin, le rôle du staff en magasin est à réinventer. Le facteur humain est différenciant mais dans des magasins de plus en plus autonomes, il faut réfléchir au rôle des vendeurs comme animateurs de communautés locales à travers les réseaux sociaux ou accélérateurs de live shopping avec du live streaming...
Quelle est votre "expérience américaine" du retail ?
Le retail aux États-Unis est la première industrie en termes d'emploi, donc cela a un effet massif. Ce qui ressort, c'est le déploiement et l'excellence d'Amazon à travers ses points de vente. L'enseigne signe des partenariats, notamment avec Starbucks, pour créer le magasin le plus autonome possible à New York avec Amazon Go et Amazon One (système de paiement basé sur la reconnaissance palmaire des clients). Amazon est un retailer très inspirant (plus de 500 magasins dans le monde) en termes d'innovation avec le lancement d'un magasin à Los Angeles, baptisé Amazon Style, qui est une version autonome de shopping en mode personnalisé. D'autres grands acteurs américains s'associent pour faciliter l'expérience client. Les Américains dans leur démarche RSE sont davantage sensibilisés au volet social qu'en France.
« Le secteur du retail doit intégrer la complexification du parcours client avec la multiplication des points de contact et une hybridation des parcours d'achat »
Quels sont les engagements ou les marques qui vous inspirent ?
Amazon m'impressionne évidemment pour son expertise dans le retail, mais aussi Nike, Walmart qui ont appliqué les mêmes fondamentaux pour accélérer sur le digital. En France, le Club Med est un bel exemple de réconciliation entre une raison d'être autour du bonheur qui date de plus de 70 ans et une stratégie client centric autour d'un business model réinventé.
Quelles tendances voyez-vous se dessiner en matière de consommation et de rapport aux marques, de manière générale ?
Je vois pêle-mêle poindre des consommateurs de plus en plus responsables, des marques de moins en moins en contrôle, le rôle des célébrités qui monte dans les sources de confiance, une vigilance accrue vis-à-vis de la privacy et des datas personnelles en général, et un nouveau rapport à l'espace, plus local mais aussi plus digital.
Vous avez été directeur marketing dans de nombreuses entreprises d'univers très différents - Club Med, Formula E et Tough Mudder... -, en quoi ces expériences vous aident-elles à construire l'avenir ?
Le tourisme, le sport et l'expérientiel reposent finalement sur les mêmes piliers marketing, à savoir des fondations de marque très fortes, une expertise sur l'enjeu des parcours clients et de la data, et enfin une dimension innovation dans la culture d'entreprise. Mes expériences chez Formula E et Tough Mudder (entertainment) m'ont appris l'importance du contenu dans une économie de l'attention. Il faut du lien en continu pour ces industries liées à la passion.
Son parcours :
2004 : directeur CRM Voyages-sncf.com
2008 : directeur digital et CRM puis vice-président marketing du Club Med
2014 : directeur marketing Tough Mudder
2018 : directeur marketing Formula E
2021 : fondateur et CEO de StratNXT