[Etude] Marché des entrepôts en France : le locatif, à la peine
L'étude "Marché des entrepôts en France" au 1er semestre 2020, menée par Cushman & Wakefield fait apparaître un très net "décrochage de la demande placée". Mais "Le second semestre 2020 sera davantage révélateur des choix d'acquisition post COVID des investisseurs en immobilier logistique".
Je m'abonneCe qu'il faut retenir de l'étude Cushman & Wakefield
- La demande placée d'entrepôts logistiques a totalisé 1 million m² au terme du 1er semestre 2020, un volume d'activité en baisse de 46% en un an
- La concrétisation de plusieurs opérations XXL attendues de longue date a néanmoins atténué ce décrochage, particulièrement fort sur les créneaux de 30 000 m² à 60 000 m²
- Ce rythme entravé traduit les effets d'un choc exogène auquel les acteurs de la filière logistique ont bien réagi, mais dont les effets secondaires se prolongeront encore plusieurs trimestres
- La reconfiguration de la demande exprimée par les utilisateurs sera décisive pour les prochains trimestres
- Un peu plus de la moitié de la demande placée s'est effectuée hors de la dorsale, une répartition géographique qui fait la part belle aux régions du Centre-Val de Loire, des Hauts de France et de la Normandie
- Les chargeurs de la distribution non alimentaire ont été les principaux pourvoyeurs d'activité devant les acteurs de la grande distribution alimentaire et l'industrie
- Les valeurs locatives prime restent stables, mais les dynamiques haussières sont pour le moment entravées et un certain nombre de signaux sont sous surveillance (délais de commercialisation, mesures d'accompagnement, taux vacance)
- L'offre immédiate d'entrepôts (2,9 millions de m² début juillet 2020) a peu progressé (+5%), néanmoins un mouvement haussier est appelé à se prolonger au cours des prochains trimestres
- A l'inverse du marché locatif, l'investissement en immobilier logistique a effectué l'un de ses meilleurs semestres de la décennie, avec 2,1 milliards d'euros d'engagements, devant le retail
Après la mise à l'arrêt forcé de pans entiers de l'économie française puis leur redémarrage progressif à partir de mi-mai, la demande placée d'entrepôts logistiques accuse le coup, avec 1 million de m² au 1er semestre 2020, son point bas des 5 dernières années. D'un point de vue fonctionnel, la grande distribution, la logistique et le transport sont sortis par le haut d'une situation inédite sans ruptures majeures des chaînes d'approvisionnement. Les pics de demande pour certains produits ont cohabité avec des mises mise à l'arrêt brutales de sites logistiques, la suspension des chantiers, et l'adoption rapide de mesures sanitaires inédites en entrepôts. Adaptation et résilience ont été les maîtres mots pour une filière dont certains maillons ne sont pas ressortis indemnes (le transport, notamment).
En contrepartie, le recentrage de l'ensemble de ces acteurs sur leurs capacités d'entreposage existantes a fortement freiné le rythme d'activité en immobilier logistique. Un certain nombre de projets stratégiques déjà avancés ont suivi leur cours (avec quelques décalages) et des besoins de surfaces en débord ont été comblés par des baux dérogatoires de court terme. Au final, le décrochage de la demande placée est bien là et il faudra attendre plusieurs trimestres pour recouvrer un profil de demande plus classique.
Redéfinir les besoins à moyen terme
L'une des clés de lecture de la baisse de régime du 1er semestre 2020 réside dans les gabarits de surfaces : c'est entre les deux polarités de la gestion urgente et de la projection à long terme que la demande placée a le plus diminué, les utilisateurs ayant besoin de temps pour gagner en visibilité et redéfinir leurs besoins à moyen terme. Ainsi, la demande placée d'entrepôts de 30 000 m² à 60 000 m² a littéralement fondu, passée de 685 000 m² mi 2019 à 100 000 m² mi 2020 (Ferrero, ID Logistics, Carrefour). A cet égard, la crise sanitaire paraît avoir aggravé une perte de vitesse déjà perceptible pour ces créneaux à partir du 2nd semestre 2019.
La donne est toute autre au-delà de 60 000 m², et la concrétisation de quatre transactions XXL (100 000 m² à Meung sur Loire, Samada, Katoen Natie, et Sun City) ont atténué la chute d'un 1er semestre qui aurait pu être plus abrupte. En deçà de 30 000 m², les baisses de régimes sont en revanche moins spectaculaires, en particulier pour les entrepôts de moins de 10 000 m².
Plus généralement, une partie de la demande appelée à s'exprimer pendant le confinement est susceptible d'avoir été décalée, voire repoussée sine die. Le retour à l'équilibre dépendra aussi en grande partie de la consommation des ménages et d'une resynchronisation du couple offre/demande dans l'économie française. La re-coordination de maillons fortement intégrés à l'échelle mondiale, la gestion des trésoreries et des pertes seront décisives pour nombre d'acteurs. Les achats en ligne ont de leur côté bénéficié d'effets de report qui confirment l'importance des solutions logistiques omnicanales et e-commerce. Pour autant, on ne peut parler d'un jeu à somme nulle en matière de consommation globale.
Le rythme d'activité du 2nd semestre donnera la tonalité finale d'un exercice 2020 "empêché". Dans l'hypothèse d'un redémarrage graduel, la demande placée pourrait atteindre entre 2 et 2,5 millions de m² fin 2020.
Une fenêtre de tir à la négociation
Du côté des valeurs locatives, le statu quo prévaut pour le loyer prime, mais les dynamiques haussières sont pour le moment entravées et plusieurs signaux sont sous surveillance : délais de commercialisation, volume des disponibilités immédiates, taux de vacance et mesures d'accompagnement. Pour l'heure, un certain nombre de relocations confirment des loyers faciaux d'avant crise. Il faudra néanmoins s'attendre à des indexations négatives de l'ILAT qui pénaliseront les revenus perçus pendant plusieurs trimestres. "Une fenêtre de tir à la négociation pourrait en tout cas s'ouvrir, mais combiner une localisation stratégique, un bâti de qualité et un potentiel d'extension restera, au cours des prochains trimestres, le meilleur rempart contre d'éventuelles corrections de loyers", analyse Alexis Bouteiller, directeur logistique utilisateurs au sein de Cushman & Wakefield.
L'offre immédiate d'entrepôts (2,9 millions de m² début juillet 2020 ; +5% en 6 mois), traduit des évolutions contrastées entre la dorsale (+2%) et les marchés hors de cet axe (+11%). Au cours des prochains trimestres, ce volume de disponibilités est appelé à se renchérir, effet d'une consommation moins forte de surfaces logistiques, de libérations, et de la livraison d'opérations démarrées en blanc avant le confinement. "L 'une des grandes forces du marché français réside dans son absence de surproduction, d'autant que les taux de vacance restent très bas sur l'ensemble de la dorsale, en particulier sur les marchés de Lyon et de Marseille (moins de 3%)" nuance Alexis Bouteiller.
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A contrepied du locatif, l'investissement en immobilier logistique a totalisé 2,1 milliards d'euros au 1er semestre 2020, un volume d'activité record qui dépasse, à lui seul, le niveau de plusieurs années pleines, devant le commerce. La crise sanitaire a déjà produit un effet de ralentissement décelable dans la répartition des engagements : 1,7 milliard d'euros au 1er trimestre puis 400 millions d'euros au 2e. La montée en taille des acquisitions est spectaculaire : parmi les 5 plus grandes des transactions du semestre, qui concentrent à elles seules 75% des montants investis, 4 portefeuilles dépassent ou avoisinent les 300 millions d'euros.
A la différence du cycle de retournement conjoncturel précédent, l'immobilier logistique pourrait sortir par le haut comparé à d'autres classes d'actifs plus chahutées . "Tous les facteurs structurels favorisant un niveau élevé d'investissement en immobilier logistique restent présents et une gamme élargie d'investisseurs sont enclins à se positionner à des niveaux de prix d'avant crise", analyse Romain Nicolle, directeur logistique investissement chez Cushman & Wakefield. Les taux de rendement prime restent inchangés, mais le prime du risque immobilier avec des acquisitions core + ou value-added pourrait s'amplifier. "Dans ce contexte, la juste appréciation des fondamentaux géographiques et locatifs seront plus que jamais décisifs, sachant que les destins du commerce et de la logistique restent liés. Le second semestre 2020 sera donc davantage révélateur des choix d'acquisition post COVID des investisseurs en immobilier logistique", conclut Romain Nicolle.