[Tribune] Pratiques anticoncurrentielles : l'ex-alliance Casino-Intermarché dans le collimateur de la Commission européenne
La Commission européenne a annoncé le 4 novembre avoir diligenté une enquête en matière de pratiques anticoncurrentielles sur d'éventuels comportements coordonnés de Casino et Intermarché au moyen de leur alliance INCA-A, centrale d'achat des deux groupes fondée en 2014, et aujourd'hui disparue.
Je m'abonneLa Commission européenne a annoncé le 4 novembre avoir ouvert une enquête en matière de pratiques anticoncurrentielles sur d'éventuels comportements coordonnés des groupes Casino Intermarché au moyen de leur alliance INCA-A, la centrale d'achat créé en octobre 2014 par Casino et Intermarché, aujourd'hui disparue, suite à des inspections dans les locaux des deux groupes en février 2017 et mai 2019. Casino est dorénavant allié à Auchan, Intermarché à Carrefour.
Selon son communiqué, "la Commission craint que Casino et Intermarché" n'aient coordonné "leurs activités relatives au développement de leurs réseaux de magasins et leurs politiques de prix à l'égard des consommateurs" au moyen de leur puissance d'achat. La Commission précise qu'une enquête ne préjuge pas d'une quelconque responsabilité et rappelle que les avantages procurés par les alliances peuvent être de nature à susciter des baisses de prix aux consommateurs ou à une amélioration de la qualité des produits ou des services pour les consommateurs. L'enquête en question porte donc sur le marché aval. Ce n'est par conséquent pas l'alliance elle-même qui est en cause, mais ses effets non-profitables éventuels aux consommateurs.
Si une entente anti-concurrentielle est constatée, alors les sanctions sont lourdes (amende de 10 % du CA total).
Cette enquête intervient dans un contexte particulier où les autorités ou le législateur français lui-même s'intéressent aux alliances. Un Rapport de l'Assemblée nationale du 25 septembre 2019 en témoigne. Cependant, en France, un tropisme anti-grande distribution semble conduire à une analyse plutôt limitée au marché amont : fournisseurs-grands distributeurs. C'est ainsi que le ministre de l'Économie assigne depuis plusieurs années les grandes enseignes sur le fondement de l'existence de déséquilibre significatifs entre les droits et obligations des parties (Article L442-1 du code de commerce, anciennement L442-6), mais aussi le Rapport précité relève que "dans la grande majorité des cas, néanmoins, ces alliances semblent davantage relever d'une forme d'opportunisme que d'une stratégie globale de coopération - le caractère volatile des rapprochements en témoigne. Les mouvements de rapprochement, entre distributeurs, à l'achat contribuent également à une déstabilisation des fournisseurs qui sont confrontés à des alliances variables lors des négociations".
Pourtant, l'Autorité de la concurrence a déjà traité la question des alliances. A la demande du ministre de l'Économie en 2015, l'Autorité de la concurrence (avis n° 15-A-06) a pour les alliances Système U et Auchan, Intermarché et Casino, Carrefour et Cora, créées en 2014, écarté l'application des règles du contrôle des concentrations, tout en rappelant que, si la part de marché cumulée des alliés à l'achat n'excède pas15 % tant sur les marchés amont que sur les marchés aval, il est probable que les conditions d'exemption visées à l'article 101, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne seront remplies.
Un constat s'impose. Les alliances existent, sont mouvantes et, partant probablement animées par des contraintes concurrentielles aigües qui ne sont pas nouvelles :
- 1999-2006 : alliance Système U et Leclerc pour le carburant, les PGC et premiers prix alimentaires ;
- 2014 : Système U et Auchan (mandat), Intermarché et Casino (INCA-A), Carrefour et Cora (distribution) ;
- 2016 : Casino et Conforama ;
- 2018 : Casino et Système U et, en tête de pont, Auchan (Horizon) ; puis Système U et Carrefour avec Cora (Envergure sous forme de JV) ;
- 2019 : Intermarché et Francap ;
Ces mouvements méritent certainement l'intérêt des autorités mais relèvent également d'une évolution plus large et probablement plus radicale, qui a conduit Carrefour et Auchan, à s'allier aux puissants de l'époque, Tencent pour le premier et Alibaba pour le second. Puissance d'achat, puissance de vente, certes mais contraints également par les changements de comportements des consommateurs et l'avènement des plateformes numériques qui rognent la traditionnelle distribution.