[Tribune] Le delivery crowdsourcing : un nouveau moyen de livraison de l'e-commerce
Les évolutions sociétales actuelles portent pour certaines sur l'usage et la propriété des biens. Les concepts de consommation collaborative et de crowdsourcing se développent dans de très nombreux domaines. Et la logistique n'est pas en reste...
Je m'abonneNous connaissons tous les réussites des vélos en libre-service ou d'Autolib, de sites comme Uber, RelayRides ou TaskRabbit. Des concepts comme ceux de la location temporaire d'appartements (Airbnb par exemple) ou du co-voiturage se développent également avec des taux de croissance impressionnants. L'usage d'un bien est plus important que sa propriété. Les avantages sont bien sûr économiques mais témoignent d'une réelle évolution des mentalités auprès de nombreux citoyens.
Depuis peu, des initiatives de delivery crowdsourcingsont apparues, qui constituent un phénomène intéressant à observer notamment dans le cadre des livraisons e-commerce.
Le principe général est simple : impliquer des particuliers dans l'acte de livraison, habituellement réalisé par des professionnels. Aider son voisin à faire ses courses n'est pas un phénomène nouveau! Cependant, la généralisation de ce principe repose sur la structuration de cette offre de livraison, l'association des services, le développement d'applications informatiques et la mise en oeuvre d'une organisation spécifique.
Avant d'examiner les tendances et quelques expériences emblématiques, il semble important d'en comprendre les raisons.
L'e-commerce, avec une croissance en France de 19% en 2012 et 13,5% en 2013[i] , génère des problématiques nouvelles de livraison du dernier kilomètre. Livrer un particulier est souvent complexe. Les transporteurs se heurtent quotidiennement à des difficultés de livraison des particuliers (accès aux immeubles en milieu urbain, absence du destinataire, etc...). La non-qualité de la livraison est souvent la cause de l'insatisfaction du e-consommateur. Bien entendu, pour faire face à cette situation se sont développés des réseaux de points relais, couplés avec des réseaux de consignes automatiques, des points de click & collect pour les enseignes de magasin, ceci incitant le consommateur à effectuer lui-même le dernier kilomètre.
Ces solutions restent souvent partielles, tant les situations personnelles des consommateurs et les exigences diffèrent.
Parallèlement à la croissance du e-commerce, nous constatons une croissance des drives et des livraisons à domicile pour les produits alimentaires notamment.
Les solutions de livraison collaborative ou de delivery crowdsourcing trouvent probablement leur origine dans le coût des livraisons à domicile, les horaires de plus en plus tardifs de livraison exigés par les consommateurs, et le délai de plus en plus court souhaité par tous. L'e-consommateur est le plus exigeant de tous. Il a pris l'habitude d'un prix de livraison réduit, voire inexistant, et d'un délai de plus en plus court. Face à cette situation, les modèles traditionnels deviennent dans certains cas inadaptés et justifient l'invention de nouvelles formes de livraison.
Plusieurs expériences actuelles méritent une analyse. Certaines d'entre elles nous viennent assez logiquement des Etats-Unis.
En mars 2013, Walmart annonçait en effet son intention de proposer à ses clients achetant dans les magasins de profiter de leur déplacement pour effectuer la livraison d'une commande achetée sur internet par une personne habitant à proximité, ceci moyennant une réduction de prix sur ses propres achats. Il s'agit en sorte d'employer ses propres clients ! Le test a été engagé sur 25 magasins avec une intention de doubler rapidement le nombre. Au-delà des problématiques juridiques liées à cette proposition, qui semblent complexes aux Etats-Unis, l'enjeu économique pour Walmart, qui a plus de 4000 magasins, est évidemment énorme, le coût de livraison n'ayant pas de commune mesure avec la réduction offerte. Sur un plan environnemental, même si le bilan carbone n'est pas évident, il y a fort à parier que l'économie est significative. Le détour effectué pour livrer un voisin sera probablement moins long qu'un déplacement de livraison.
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D'autres expériences avec des modèles assez proches de lien entre les commerçants et les consommateurs, et de livraison par des particuliers ont également été imaginées aux Etats-Unis. C'est par exemple le cas de Deliv, qui a été créé en Californie, essentiellement pour la livraison d'achats d'alimentation.
Les modèles de sites web présents aux Etats-Unis comme Postmates (San Fransisco et Washington) ou Zipments (New York) sont assez proches de cette idée et consistent à proposer à des particuliers d'effectuer des actes de transport avec leurs propres véhicules (vélo, voiture, etc...).
Ces initiatives ont fait l'objet d'un test dans un hypermarché dans l'Ouest de la France de service de covoiturage des courses. De la même façon que Walmart, cet hypermarché propose à ses clients une réduction de 3 € à ceux qui " covoiturent " les courses d'un internaute. L'aspect collaboratif, mais aussi environnemental, est mis en avant dans la démarche.
Au-delà de ces expériences provenant des magasins, certaines initiatives viennent directement des groupes de transport.
DHL a été porteur d'un projet en Allemagne, dénommé " Bring.Buddy ", en partenariat avec l'université de Potsdam. La base de ce projet est d'utiliser la mobilité des personnes (à pied, en transport en commun, en vélo) pour livrer des colis.
La difficulté de livrer l'internaute lorsqu'il est absent a incité DHL à tester à Stockholm, une application dénommée Myways, qui est inspirée du projet " Bring.Buddy " et permet à des particuliers (souvent des étudiants) de livrer les colis à un emplacement et un horaire convenu avec l'internaute. Dans la pratique, l'internaute s'inscrit sur le site, propose un prix de livraison, un lieu et un horaire. Il est ainsi mis en contact avec un particulier livreur, qui lui livre le colis et se constitue ainsi un revenu d'appoint. Tous y trouvent leur intérêt. DHL parvient à livrer avec efficacité les colis à l'internaute itinérant. L'internaute peut récupérer son colis rapidement, à l'horaire et au lieu convenu. Le livreur occasionnel se constitue un revenu complémentaire.
Le covoiturage de colis C to C s'est également développé comme le covoiturage de passagers au travers de différents sites collaboratifs, essentiellement des sites d'annonces, qui mettent en relation des personnes effectuant un trajet en voiture et des particuliers ayant un colis à transporter. C'est par exemple le cas en France de www.colisvoiturage.fr ou www.colismalin.fr. Le très fort développement des achats C to C et donc de l'envoi de colis de particuliers à particuliers se heurte au problème du coût du transport. Le covoiturage permet de trouver des solutions simples à des prix réduits par rapport aux réseaux de transport professionnels.
Si ces différentes expériences limitent leur champ d'action à la livraison du dernier kilomètre, soit pour des colis, soit pour des courses alimentaires ou des produits plus encombrants, certaines entreprises ont imaginé aller plus loin en proposant à un particulier d'effectuer l'achat pour le compte d'un autre particulier, donc le picking dans un magasin, la queue à la caisse, le paiement et la livraison finale à une heure et un lieu convenu. C'est par exemple le cas du service " Milk, please ", développé en Italie (Milan) . Ce concept vise essentiellement l'achat et la livraison de produits alimentaires d'appoint.
Une des expériences les plus intéressantes de covoiturage de colis a été imaginée en Suisse par la société Bringbee. L'analyse effectuée par les fondateurs de ce projet, Stella Viktoria Schieffer et Philipp Oberender, montre que les véhicules qui circulent disposent de capacités considérables de place disponible pour le transport de colis (environ 70%). Donc pourquoi ne pas imaginer que ces particuliers transportent des colis B to C (notamment des achats dans les magasins) à d'autres particuliers? Un partenariat a été mis en place avec IKEA, permettant ainsi à des particuliers de livrer, en complément de leurs propres achats, ceux qu'un voisin aura effectué sur internet.
Bringbee a débuté en 2013 et est présent dans les grandes villes suisses (Zürich, Genève, Berne, Lucerne). Cette entreprise a déjà 1500 membres et prévoit une implantation prochaine en Allemagne et en Autriche. La culture helvétique de responsabilité est peut-être plus importante que dans d'autres pays, mais force est de constater que les problèmes de livraison sont extrêmement rares. La plupart des commandes sont livrées dans les délais prévus et sans anomalie. Le principal problème, d'ailleurs commun à tous les e-marchands, qui assimilent le stock du site web à celui d'un magasin, est le risque de rupture de stock. Le produit disponible en stock informatique peut en effet être prélevé par un client physique...
Ces différentes expériences sont fondées sur des principes collaboratifs, environnementaux et économiques. Une chaîne vertueuse, permettant une optimisation des déplacements urbains ou périurbains, un service collaboratif à un prix réduit et surtout une amélioration du service aux internautes est ainsi mise en place.
Cependant, comme dans de nombreux projets de crowdsourcing, nous constatons un vide juridique qui diffère selon les pays et les situations. Les questions qui pourront se poser concernent notamment la responsabilité, le respect des engagements, et le fait que le transport est une activité réglementée... Il est donc probable que ce sujet fera l'objet dans un proche avenir de débats et ajustements. Il est pourtant fort à parier que les évolutions sociétales liées au crowdsourcing ne s'arrêteront pas à ces obstacles.
[i] Source Fevad