Dossier[Dossier complet] Les nouveaux codes du retail
3 - L'offensive des retailers sur le marché de l'occasion
La crise sanitaire renforce l'intérêt des enseignes et des consommateurs pour la seconde main. Aujourd'hui, phénomène de masse, la plupart des distributeurs, sur tous les segments, proposent une offre de produits d'occasion en magasin et sur le Web.
Plus de 7,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires générés en 2020, dont la moitié par l'e-commerce (source Xerfi Precepta). En une dizaine d'années, le marché de la seconde main s'est fortement accéléré en France. Poussés par les consommateurs pour des motivations économiques, environnementales et sociétales, de nombreux retailers et e-commerçants se sont mis à l'occasion. Cette accélération prend deux formes, l'achat de seconde main et la vente de ses propres produits avec parfois les deux simultanément. Le secteur reste porté majoritairement par le digital avec l'émergence des plateformes comme Vinted (la France est devenue son premier marché avec 16 millions d'utilisateurs), Vestiaire Collective, Rakuten, Videdressing ou Leboncoin, et de nouveaux modes d'achat. D'après une récente étude Xerfi de 2021, la structure des ventes par profil d'acteurs montre que les sites de petites annonces généralistes, Leboncoin en tête, continuent de s'imposer comme les leaders du marché de la seconde main avec environ 28% des ventes en valeur en 2020. Viennent ensuite les plateformes en ligne spécialisées (Vinted, Back Market, Vestiaire Collective...) qui captent autour de 22% des ventes.
Source Foxintelligence
«Le marché de l'occasion s'est développé et "industrialisé" à travers des intermédiaires, les plateformes en ligne, pointe Linda Gmati, experte retail chez Sia Partners. Les retailers et e-commerçants l'ont d'abord subi avant de reprendre le sujet pour plusieurs raisons. Les enseignes peuvent se mettre à l'économie circulaire – et renforcer leur image RSE – via la récupération de leurs produits pour refaire du business, tout en captant les clients grâce aux bons d'achat.» Une stratégie défensive à l'origine pour ne pas laisser échapper une partie de ce marché.
Un cercle vertueux pour créer de la fidélisation
Côté retailers et e-commerçants, les expérimentations se sont multipliées en deux ans : Kiabi, La Redoute, Zalando, Cdiscount, Decathlon, Petit Bateau, Gémo, Cyrillus et bien d'autres ont lancé leurs sites ou espaces dédiés. Les ventes de vêtements d'occasion explosent dans l'Hexagone. Elles ont augmenté de 140% en deux ans (Observatoire Natixis Payments). Ce marché représente déjà 1,16 milliard d'euros de chiffre d'affaires (Kantar). Le prix reste un critère déterminant.
«Les enseignes de prêt-à-porter, dont le marché a perdu 30% de sa valeur en dix ans, y voient notamment un potentiel relais de croissance», explique Benoît Samarcq, spécialiste retail et e-commerce de Xerfi. Ikea propose, lui, depuis juin, la réservation des meubles d'occasion disponibles chez eux sur le site marchand. Le leader mondial de l'ameublement et de la décoration testera en 2022 un magasin dédié à la seconde vie des meubles à Paris. «Les leaders de l'électrodomestique (Darty, Boulanger...) misent exclusivement sur la vente en ligne d'électroménager et d'électronique grand public reconditionnés», note Benoît Samarcq de Xerfi. Autres initiatives dans le secteur du bricolage, Leroy Merlin propose – de puis le mois d'octobre – aux clients de revendre leurs produits sur le site ou l'application en échange de bons d'achat. Le service est centré sur les perceuses, visseuses et perforateurs – des best-sellers de la marque – avant d'élargir à d'autres gammes d'outillage. Après avoir été reconditionnés, ces derniers sont disponibles à l'achat sur la marketplace de Leroy Merlin. Cette année, Castorama ouvrira sa boutique en ligne de seconde main.
La grande distribution, Leclerc en tant que pionnier mais aussi Carrefour, Auchan, le groupe Casino, Cora ou Système U, s'est également mise à l'occasion (articles électroniques, jeux vidéo, livres, petit électroménager notamment) via des partenariats avec des enseignes spécialisées sur ce créneau (Cash Converters, Patatam, Happy Cash). «Ils ont majoritairement choisi d'aborder ce marché en déployant à l'entrée de leurs points de vente des shop-in-shop ou des corners dédiés à l'achat-revente, précise Benoît Samarcq. En confiant la gestion de leurs concepts dédiés à l'occasion, les grandes surfaces alimentaires limitent leurs investissements et donc leur prise de risque. Si le marché de l'occasion offre de belles perspectives de croissance, il est encore loin d'être consolidé et tous les nouveaux entrants ne parviendront pas forcément à se faire une place.»
L'enjeu pour les grandes surfaces alimentaires est avant tout de renforcer leur image prix et de fidéliser leur clientèle.
Les supermarchés ou hypermarchés procèdent à une expertise du produit – proposé à la revente – afin de déterminer son prix en fonction de son état. Certains distributeurs offrent des bons d'achat à valoir en magasin, d'autres donnent du cash. Les enseignes du secteur du jouet, PicWicToys, King Jouet, ou JouéClub, confrontées pourtant à des normes de sécurité élevées, expérimentent également ce marché. Les grands magasins, les Galeries Lafayette et le Printemps, valorisent également la mode circulaire avec des espaces dédiés et mis en scène comme pour les articles neufs.
Ré-imaginer sa relation avec les clients
La seconde main devient un phénomène de masse aujourd'hui et inclut la quasi-totalité des secteurs. «Le marché de l'occasion intéresse un nombre grandissant d'enseignes, pointe Antoine Jouteau, CEO de Leboncoin. C'est un nouveau métier pour la plupart. Les marques doivent maintenant intégrer le fait que leurs produits ne sont plus obsolètes. Les revendeurs sont leurs propres clients.» Un changement qui induit de ré-imaginer sa relation avec les consommateurs et la trajectoire des produits en les réinjectant dans les circuits de distribution. «Les business models et la structure de coûts de la vente de produits d'occasion sont bien différents du commerce de détail de produits neufs, souligne Benoît Samarcq. L'offre de produits d'occasion expose notamment au risque d'écorner son image de marque – en raison d'une offre jugée moins qualitative –, de cannibaliser une partie de ses ventes de produits neufs ou encore d'accentuer les pressions tarifaires en modifiant durablement les prix des références des clients.» La collecte, la remise en état et le tri de produits nécessitent un savoir-faire spécifique.
La rentabilité demeure compliquée.
«Le développement de partenariats avec les spécialistes de l'occasion s'impose comme l'une des stratégies privilégiées par les enseignes», poursuit le spécialiste retail de Xerfi. Le rythme de croissance du marché sera porté d'ici 2023 par une forte demande et le développement de l'offre en ligne et en magasins, notamment dans les rayons des acteurs du neuf. Les secteurs du meuble et des articles de décoration (27% des ventes) ou des livres (12%) demeurent les principaux produits de seconde main vendus dans l'Hexagone. Dans les prochaines années, les ventes d'articles de mode (16% de part de marché) et de luxe (11%) devraient tirer ce marché en plein essor !