Où va l'Internet mobile ?
Les successeurs du Wap se pressent au portillon : des téléphones-organiseurs, à moins que ce ne soit des PDA communicants, mais aussi les téléphones GSM avec leur messagerie SMS, le i-mode japonais ou encore l'UMTS. Qui l'emportera ?
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Quel sera le visage de l'Internet mobile ? Le débat tourne aujourd'hui
autour des causes de la faillite relative du Wap. Une analyse pertinente des
erreurs devrait faciliter la vie à ses successeurs qui, sans nul doute, seront
nombreux. Car, grâce à la publicité faite au Wap, l'idée a fait son chemin : de
nombreux internautes et abonnés à la téléphonie mobile sont prêts à investir
dans un moyen de connexion léger et intelligent, capable de les accompagner où
qu'ils soient et de remplacer l'ordinateur à la volée. « L'Internet mobile a
aujourd'hui l'image d'un perdant car on l'associe à une seule technologie. Or,
cette technologie du Wap n'a pas rempli l'ensemble de ses promesses », déclare
Giles Corbett, directeur général d'In-Fusio. Pour lui, la réalité de la
technologie Wap a été inférieure à la publicité : « C'est un Minitel mobile. Ce
qui n'enlève rien à son utilité mais pose des limites quant à son utilisation.
Si le Wap devenait plus fiable, si les opérateurs développaient un bouquet de
services de qualité comme le japonais Docomo, alors on aurait pu parler d'un
décollage. Car la force de l'opérateur japonais est bien d'avoir appliqué une
approche à deux vitesses : un espace ouvert à tout le monde est complété par
une offre soignée signée par Docomo lui-même. » L'opérateur NTT Docomo vient de
lancer le téléphone de troisième génération. Ces appareils sont équipés des
fonctionnalités vidéo, réception en haut débit et caméra intégrée, pour un prix
de vente proche de 700 euros. On peut consulter Internet sans occuper la ligne
téléphonique, et même poursuivre la conversation pendant ce temps grâce à une
oreillette. L'accès est aujourd'hui limité à un millier de sites déjà
configurés pour les futurs standards. L'expérience de Docomo fait aussi des
jaloux. « Le i-mode, c'est de la poudre aux yeux !, prétend Olivier Thierry,
directeur général de Digital Rum. Le jour où il sera disponible en France, le
Wap et son successeur, le GPRS, auront déjà dépassé le stade des maladies
infantiles. Les opérateurs français savent bien que le système de facturation à
la minute est inadéquat. Il faut leur laisser le temps de s'adapter, laisser au
marché le temps de mûrir. » Cependant le temps joue contre eux : le i-mode
compte aujourd'hui plus de 27 millions d'abonnés au Japon et pourrait bien
séduire les consommateurs européens. Les acteurs de l'Internet mobile français
ne veulent plus entendre parler du Wap. « C'est un canal peu ergonomique. Le
temps d'établissement de la communication est de 45 secondes, l'attente de la
réponse entre 1 et 1,5 minute, tout cela payé au temps passé. Le service est
cher pour un confort faible », estime Yvon Corcia, P-dg d'Aladdino, éditeur de
solutions mobiles. « J'ai calculé qu'il m'en coûte en moyenne dix francs avant
de pouvoir accéder au service qui m'intéresse », précise Giles Corbett. « Le
Wap est un flop, nous préférons travailler avec des Palm », estime pour sa part
Didier Brochet, directeur commercial de 7DistriInfo. « Le Wap a un débit lent
et un écran limité. Le m-commerce va peut-être rebondir sur des PDA », confirme
Philippe Poux, directeur marketing de MIC 2. Les futurs PDA communicants ou
PDA-téléphones sont souvent cités comme un canal d'avenir. Au départ, le prix
de vente des machines du type Palm les réservait aux cadres dirigeants. Ce
stade est aujourd'hui dépassé car les prix sont devenus abordables. D'un autre
côté, le PDA-téléphone le plus connu, celui de Nokia, un modèle sorti il y a
environ cinq ans, est resté un exemple de mauvaise ergonomie. Il vient d'être
remplacé par un nouveau modèle dont on ne connaît pas encore les capacités
opérationnelles. Reste aussi à franchir la barre du débit de 9 600 kilo-bauds,
un véritable frein au développement des services mobiles.
Messages SMS contre assistants PDA
Certains acteurs se tournent vers
l'utilisation des "messages courts", les SMS pour les téléphones mobiles. «
Nous avons choisi le GSM parce qu'en tant que fournisseur de services nous
sommes intéressés par une base d'abonnés la plus large possible, estime Giles
Corbett. Or il s'est vendu autant de PDA en quinze ans qu'il se vend
aujourd'hui de téléphones GSM en quinze jours. » « Le SMS est l'équivalent d'un
e-mail, avec la possibilité de communiquer sur une liste de diffusion, mais
aussi avec la contrainte de taille limitée à 160 caractères. Ce média est vendu
très cher par rapport à son coût de revient, pense Philippe Bornstein,
directeur de Netsize. En revanche, le SMS n'autorise pas certaines
fonctionnalités de marketing direct car en France la fonction roaming des
messages est bloquée par les opérateurs.» Si ce n'était pas le cas, les abonnés
au téléphone mobile auraient été inondés sous une montagne de spams. Selon
Philippe Bornstein, le SMS pourrait servir de moyen de paiement, par exemple,
pour des parcmètres, des distributeurs de boisson ou des places de cinéma : «
Je prends Pariscope, je choisis la salle et la séance, je trouve le code
correspondant et l'envoie par SMS au numéro du service réservation. Quelques
instants plus tard, je reçois par retour un code EAN que je présenterai,
affiché sur l'écran de mon téléphone, à la caisse du cinéma où il sera lu par
un lecteur de codes-barres. » Les applications pour la téléphonie mobile
présentent en effet un certain intérêt, vu que le nombre de postes mobiles en
France vient de dépasser le nombre de postes fixes, soit désormais plus de 34
millions d'abonnés. Ce chiffre a aussi une autre signification : plus d'un
Français sur deux possède désormais un téléphone dans sa poche. Et même si les
possibilités de commerce électronique sur les téléphones mobiles sont limitées
par la petite taille de l'écran et les faibles capacités d'évolution offertes
par l'équipement, elles restent néanmoins comparables à celles d'un Minitel
amélioré. Et l'on se souvient du succès rencontré autrefois par le Minitel, du
fait notamment de sa simplicité.
Quel sens pour l'Internet mobile ?
Au-delà des questions sur le ou les successeurs du Wap, les
acteurs de ce marché s'interrogent sur le sens que l'on donne à l'Internet
mobile et au m-commerce. S'agit-il d'un moyen d'accès sans réseau filaire aux
informations d'Internet classique ? Dans certaines limites seulement car les
conditions de consultations sur un terminal mobile - position debout, petit
écran, faible débit - n'encouragent pas la navigation. Doit-on s'attendre à des
développements des services "d'urgence", destinés à des situations où l'on ne
veut pas ou ne peut pas attendre le moment où on se retrouvera devant son PC
avec son clavier confortable et la bande passante d'une connexion ADSL ? Sur
ces questions de fond, les analyses originales ne sont pas rares. « Aujourd'hui
le commerce mobile ne marche pas, clame Yvon Corcia. Il y a un an, tout le
monde croyait que le m-commerce allait engendrer des achats en situation de
mobilité. Nous avons ouvert un service achats sur PDA, sur notre portail
Aladdino. Son volume est aujourd'hui très peu significatif. Pourquoi ? Je pense
que c'est culturel. Nous n'avons pas l'habitude d'acheter en courant. Mais,
même sur les sites web de la grande distribution, où le client est
confortablement assis devant un terminal, les résultats sont faibles. » Ce qui
doit marcher en situation de mobilité, selon Yvon Corcia, ce sont des services
de fidélisation, de consultation de compte en banque, de lecture de journaux.
C'est la capacité de fidéliser le client n'importe où, n'importe quand, qui va
compter. Grâce au terminal mobile, vous êtes dans la poche du client et il
n'est pas obligé d'aller jusqu'à son ordinateur pour vous parler. Aladdino va
lancer une opération avec Décathlon, sur les packs téléphone-PDA de Sagem. «
Notre raisonnement est qu'il est difficile de trouver un terminal d'accès
internet dans une station de montagne, explique Yvon Corcia. Nous allons donc
proposer une diffusion d'informations pratiques pour les skieurs - état de
l'enneigement, ouverture et fermeture des pistes, pour chaque station choisie.
A l'avenir, nous allons étendre ce concept vers d'autres communautés sportives,
toujours dans une approche de gestion de la relation client. On peut aussi y
ajouter des services et produits immatériels livrables sur le lieu de vacances,
par exemple des forfaits remontées mécaniques ou descentes hors-piste
héliportées. »
Gare aux interfaces multiples
La
conception des applications d'Internet mobile présente quelques particularités
intéressantes. « La réalisation d'un site destiné aux applications mobiles est
beaucoup plus compliquée que celle destinée à l'Internet classique, estime
Olivier Thierry. Sur le Web, le nombre d'interfaces possibles se limite à deux,
celle de Netscape et celle d'Internet Explorer. Quelques autres projets comme
Opéra n'ont jamais réussi à recueillir l'adhésion du public. Sur le téléphone
mobile les interfaces sont plus nombreuses, notamment par le fait d'un grand
nombre de constructeurs qui fournissent les portables. » Les conditions de
consultation des applications sur un téléphone mobile sont aussi sensiblement
différentes par rapport à l'Internet classique : l'écran est petit et l'abonné
le consulte le plus souvent en position debout. D'où la double contrainte
d'utiliser des interfaces ergonomiques qui permettent un accès facile et direct
à partir à l'information d'une petite surface d'affichage et en un minimum de
temps. Cette contrainte est encore alourdie par la facturation à la minute qui
plombe le Wap. D'un autre côté, il n'est pas souhaitable de s'enfermer dans un
seul environnement propriétaire restrictif. « L'objectif est de faire de telle
sorte qu'un éditeur qui souhaite diffuser son contenu, puisse utiliser
différents supports sans un nouveau reformatage, explique Sébastien Preignan,
directeur du développement de Mobipocket, spécialiste de diffusion des livres
sous forme électronique. Imaginez une entreprise qui s'enferme dans une seul
format, quel qu'il soit. Si cette technologie devait ne pas avoir d'avenir,
l'entreprise courrait le plus grand danger. A ce titre, prenez l'exemple de
Psion qui a été obligé de se limiter au marché professionnel, faute de
débouchés ailleurs. » L'édition électronique a résolu le problème en adoptant
un format dit Open e-book. Le hic, c'est que ce format universel ne peut
rentrer directement dans aucune machine, ne correspond à aucun des formats
utilisés. Cela laisse aux prestataires la faculté de développer leurs formats
d'habillage propriétaire, un pour chaque support de diffusion, et des logiciels
"moulinettes" qui vont avec. Du travail en plus mais aussi une garantie
d'indépendance et de survie pour l'ensemble des intervenants du marché. Pour
imaginer un exemple contraire, il suffit de se tourner vers l'univers des
logiciels pour PC où un éditeur a réussi à asservir la majorité des acteurs
grâce à un format propriétaire. Une aberration qui ne devrait pas se reproduire
sur l'Internet mobile.
L'enjeu de la sécurité des transmissions
Le développement des services d'Internet mobile va
aussi poser le problème de sécurité des transmissions et du fonctionnement. «
Le point commun de tous les systèmes d'Internet mobile, c'est l'accès par IP et
donc toutes les failles propres à ce mode d'accès, estime Thierry Karsenti,
directeur technique de Check Point Software. On y retrouve une bonne partie des
failles de Windows, la possibilité de prise de contrôle malicieuse à distance,
le "déni de service" ou attaque en masse, et enfin le vol des informations
sensibles comme les numéros de cartes bancaires stockés sur le serveur de
m-commerce. Les terminaux équipés de Windows CE peuvent être attaqués par des
"chevaux de Troie", des programmes permettant une prise de contrôle à distance
dans le but de dérober des données. » Dans le domaine de la santé et de la
pharmacie, ce sont les informations confidentielles stockées sur les terminaux
mobiles des visiteurs médicaux qui peuvent être volées. Le "téléphone
intelligent" est aussi vulnérable même si les capacités HTML des terminaux Wap
sont faibles. L'avènement de la connexion UMTS permettra des débits plus élevés
et donc plus de possibilités d'attaques. Le même raisonnement vaut pour les
téléphones multimédia. Les réponses passent par une sécurisation des
infrastructures et surtout par le chiffrement des transmissions et les moyens
de contrôle d'accès sur les terminaux mobiles. La véritable difficulté de
concevoir aujourd'hui des applications pour l'Internet mobile provient de
l'incertitude sur les standards et sur les interfaces. On sait déjà que le
futur GPRS ne sera pas une succession ni un développement du Wap dans la mesure
ou il imposera aux abonnés le remplacement de tous les téléphones "compatibles
Wap" désormais périmés et aux opérateurs eux-mêmes, le remplacement des
logiciels dans leurs réseaux. Et tout cela en attendant l'UMTS qui imposera une
fois de plus un renouvellement de l'ensemble du parc des téléphones et cette
fois-ci, de l'ensemble de l'équipement des opérateurs. Le chemin à parcourir
est par conséquent encore très long.