Le mariage de la télévision et du Web se fait attendre 1/2
La convergence télévision/Internet, tout le monde en parle, mais personne ne sait quelle sera sa forme. On a, d'un côté, la Web TV, de l'autre, la télévision interactive. Les technologies diffèrent, mais c'est surtout l'usage qui n'est pas le même. Alors, va-t-on bientôt regarder des films sur son PC ou surfer depuis son poste de télévision ? Rien n'est moins sûr : malgré le haut débit et un rapprochement des techniques, ordinateur et téléviseur risquent de rester deux entités bien séparées pour quelques années encore.
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Convergence est sans doute, à l'heure actuelle, le terme le plus à la mode
de la nouvelle économie. On évoque par là le rapprochement de deux médias, la
télévision et l'Internet. La Web TV (ou Webcast) consiste à filmer, numériser,
puis diffuser des contenus plus ou moins enrichis sur l'Internet. La télévision
interactive, elle, met du Net dans le poste de télévision. Avec le
développement du haut débit (ou broadband), le PC se voit propulsé nouveau
terminal pour les images animées, quelles soient vidéo ou nées du Web, comme le
Flash de Macromédia. De son côté, le bon vieux téléviseur des familles (au
sens propre) connaît une nouvelle jeunesse grâce aux applications comme le mail
ou les guides de programmes interactifs (EPG). Mieux : la nouvelle génération
de télés devrait être dotée de disques durs permettant d'enregistrer un
programme tout en s'arrêtant sur une image pour pratiquer quelque manipulation
interactive.
Etienne Grangé (NPTV)
: "L'intérêt pour les chaînes qui utilisent nos
applications est de pouvoir intégrer directement le coût de l'interactivité
dans celui des programmes".
Le TAK de Thomson Multimédia préfigure cette télé nouvelle génération, avec sa
télécommande/clavier ovale pour afficher des pages web, mais il ne possède pas
encore de disque dur intégré. Alors qui gagnera le match, Net ou télé ? "C'est
un faux débat", répondent les intervenants. Il ne s'agit pas d'une convergence
des technologies, IP et HTML contre OpenTV et Liberate, mais des contenus.
Grâce au Rich Média, qui rend les images intelligentes, téléspectateurs et
internautes seront réconciliés, chacun se mélangeant un peu aux autres pour
donner naissance au "télénaute". « PC et télé sont des médias aux usages
différents. C'est un problème de contenus, pas de technologie. Le Rich Média
est un nouveau mode d'écriture et de communication », estime Nathalie Fourcade,
président directeur général de NTV Factory. « On se focalise sur la technologie
alors que la différentiation se fera par l'usage », ajoute Denis Tillier,
directeur général de Lab Production.
Quatre types d'applications
Pour Jacques Rosselin, président de canalweb.net,
il faut éviter les confusions. D'après lui, la convergence concerne quatre
types d'applications. On a, d'un côté, de l'Internet sur la télé, via une set
top box (décodeur externe) ou des décodeurs internes, comme le TAK et les
projets de TPS et de CanalSatellite, ou encore AOLTV aux Etats-Unis (voir en
page 59). Il s'agit de se servir de l'écran du téléviseur familial comme d'un
moniteur pour un accès au Net en mode texte. « On est dans la mouvance du
télétexte et du vidéotexte, une sorte d'accès Minitel amélioré avec un clavier
», estime le créateur de Canalweb.
Jacques Rosselin (Canal Web)
, multiplie les ouvertures de filliales en
Europe pour exporter son modèle de télévision sur Internet.
De l'autre, il y a les sites internet des chaînes de télévision généralistes
qui veulent capitaliser sur leur marque pour créer des portails ou devenir des
FAI (fournisseur d'accès Internet). « Ils y mettent quelques vidéos, qui sont
le plus souvent des resucées de leurs émissions phares, comme les journaux
télévisés. L'objectif étant de devenir un outil marketing pour la chaîne »,
ajoute-t-il. C'est le modèle qu'a choisi par exemple eTF1 (voir encadré). «
Nous avons une politique de redistribution des JT de 13 et 20 heures, plus une
politique de production de contenus en Rich Media, c'est-à-dire une fenê-tre
vidéo et des textes contextuels à côté », explique Ludovic Lecomte, responsable
des contenus. Il évoque ainsi une récente interview du Premier ministre sur
eTF1, additionnée en temps réel de chiffres sur les sondages des élections
municipales. Troisième étage de la fusée convergence, la télévision
interactive, qui fonctionne avec des logiciels spécifiques. « Pour l'instant,
on rencontre des applications assez basiques, comme les guides de programmes ou
le téléachat, ou encore la consultation des mails », détaille Jacques Rosselin.
Quatrième et dernière pièce du puzzle : la télévision numérique diffusée sur
Internet, sur un réseau terrestre bas débit - pour l'instant.
L'hyper spécialisation comme business model
Dans cet
univers compliqué, on trouve des acteurs de natures différentes. Le monde de la
Web TV est composé de sociétés productrices de contenus écrits en langage du
Net (HTML, Java, Flash et, peut-être, I2BP (voir E-Commerce Magazine n° 10). Ce
sont les Canalweb, Nouvo.com (qui est aujourd'hui en redressement judiciaire)
et autres Clickvision. On peut ajouter à cette liste les émanations des
sociétés de production d'animateurs de télévision, comme Réservoir Net de
Jean-Luc Delarue ou alatele.com de Michel Field. Mais, pour Digital Business
Globe, qui a fait en avril 2000 une étude sur les Web TV et les médias
traditionnels sur le Web, mise à jour actuellement (1), le nombre est bien
supérieur : « il s'en crée dix nouvelles par mois, c'est un secteur
complètement atomisé », rappelle Sokrarith Henry, analyste du DBG. D'après
l'étude, ces télés sur Internet coûtent en moyenne 100 000 F à monter, mais la
fourchette est large, de 20 000 F pour l'associative insoumise.org à 5 millions
pour sportsmouv.net. Cette explosion rappelle les grands moments des radios
libres, au début des années 80. On connaît leur sort : disparitions, fusions,
rapprochements, puis absorptions par des groupes de médias. En l'absence d'un
business model éprouvé, les pure players de la Web TV ont du souci à se faire.
La publicité déserte le Net, l'audience est confidentielle, la qualité de
visionnage reste pauvre en attendant le haut débit. « L'avenir passe par des
programmes payants, via un contenu attractif, non vu ailleurs, avec une réelle
valeur ajoutée », insiste Sokrarith Henry. Il cite ainsi le succès de la chaîne
des échecs (Diagonale) sur Canalweb qui répond à un vrai besoin. Autrement dit,
l'hyperspécialisation au secours de la télé sur le Net.
Les nouveaux prestataires du Webcast
C'est aussi
l'avis de Jacques Rosselin qui développe un bouquet de chaînes et se présente
comme un « opérateur de télévision européen sur Internet », et revendique un
modèle économique fondé sur la publicité mais aussi les abonnements payants.
Avec 130 millions de francs levés récemment auprès des actionnaires de départ
(Pierre Berger, Oléron Participation, Cefid, Galiléo et le Groupe Sud-Ouest) et
de nouveaux investisseurs, comme Paribas Affaires Industrielles ou Apollo
Invest (80 MF), le fondateur de Canalweb peut voir venir. Il multiplie
d'ailleurs les ouvertures de filiales en Europe pour exporter son modèle.
Nathalie Fourcade (NTV Factory)
: « PC et télé sont des médias aux
usages différents. C'est un problème de contenus, pas de technologie. Le Rich
Média est un nouveau mode d'écriture et de communication ».
Deux études sur la convergence Web/télé
Les rapports de plus en plus étroits entre télévision et Internet suscitent les interrogations les plus diverses : qui va gagner le match ? Y aura-t-il un vainqueur ou verra-t-on l'émergence d'une troisième voie hybride ? Surfant sur l'intérêt que fait naître la convergence, les études sur le sujet se multiplient. Celle de Digital Business, intitulée "L'audiovisuel sur Internet", fait 210 pages et recense tous les acteurs de ce marché émergent. Radios et télés sur le Web, poids des acteurs, apparition des EPG (Electronic Program Guides), l'étude de Digital Business se veut exhaustive et vaut 8 000 francs (www.digitalbusiness.fr). La version 2001 est en cours d'actualisation et devrait sortir en juin. D'autre part, l'étude "Web on TV" a été réalisée par Axance.com (www.axance.com), société d'études et de conseil spécialisée dans le Web, Ideoz (www.ideoz.com), web agency qui conçoit des programmes télévisuels interactifs, et Cell Network (www.cellnetwork.com), réseau européen de conseil et services opérant dans le domaine de l'Internet, de la télévision numérique et du téléphone mobile. Qualitative, l'étude a été menée auprès de dix-huit personnes aux habitudes de consultation différentes : internautes experts et novices, utilisateurs de télévision interac-tive. Installés en situation réelle et équipés d'un matériel standard, ces testeurs ont navigué sur le Net par l'intermédiaire d'un téléviseur. Un questionnaire de pré-test sur les attentes et un autre de post-test sur le bilan complètent l'analyse. Cette étude vaut 30 000 francs HT.
eTF1 croit à la convergence Web/TV
TF1.com revendique 50 millions de pages vues et compte jouer un rôle de premier plan dans les nouveaux médias audiovisuels. « Les équipes de TF1, de eTF1 et de TPS travaillent sur la convergence. Quelle forme auront ces nouveaux médias ?
"En tout cas, nous sommes convaincus que le Web ne tuera pas la télé. Ils sont complémentaires, pas concurrents », estime
Ludovic Lecomte
, responsable des contenus chez
eTF1
Pour lui, éditer et produire en HTML ou en vidéo, c'est le même métier. Néanmoins, eTF1 regarde ce que fait en particulier le Rich Media, qu'il teste sur les abonnés qui disposent du haut débit, ADSL et câble. Cette offre spécifique ne comprend pas de programmes quatre fois plus lourds, c'est un compromis entre l'utilisation réelle du haut débit par les internautes et le contenu proposé. Ce « caviar du haut débit », selon Ludovic Lecomte, est gratuit, pour l'instant. En effet, il estime que les programmes de Web TV ne sont pas suffisamment attractifs aujourd'hui, du moins sur la cible de eTF1, c'est-à-dire le grand public. Le business model du site enrichi continue donc de reposer sur la publicité, mais avec de nouveaux formats de spots de 8 secondes insérés en début de vidéo. Le sponsoring est aussi une piste à creuser selon le responsable des contenus. Il s'interroge également sur des modèles d'abonnement, offre premium ou pay per view. « Un artiste de music-hall connu va sans doute nous autoriser à diffuser les quinze premières minutes de son prochain spectacle », précise Ludovic Lecomte. Persuadé que le Web enrichi de programmes audiovisuels est promis à un bel avenir, eTF1 prévoit l'équilibre en 2004. « Nous voulons accompagner l'internaute dans sa consommation médias », conclut le responsable des contenus.
Le FIFI révèle les talents du Net
Les oeuvres dédiées à l'Internet existent et le FIFI (Festival International du Film de l'Internet) est leur vecteur. L'apparition de la technologie Flash de Macromédia a encore accentué cette tendance. Créé en 1999 par trois compères issus du satellite et du consulting (Medhi Benjemia), de la distribution de films et du streaming (Christophe Clément) et de l'édition d'un magazine de cinéma sur le Net, Ecran Noir, (Vincent Thomas), le FIFI en est aujourd'hui à sa troisième édition, qui a eu lieu à Lille, du 26 au 30 mars derniers. Une des révélations de l'édition 2000 est déjà une vedette : il s'agit de "Banja le petit rasta", créé par Chman, et qui va être décliné dans des publicités, des jeux pour consoles et même dans une série de vingt-six épisodes sur la "vraie" télévision. « Nous avons toujours pensé que la création sur le Net pouvait être viable en suivant un business model de licensing d'oeuvres, puis de leur déclinaison sur d'autres supports », déclare Vincent Thomas, président du FIFI et par ailleurs créateur de la web agency the Content Company. Avec ses 100 000 visiteurs en 2000, son Forum, qui a attiré un millier de personnes, ses 20 pays participant à la sélection dont les Etats-Unis et le Japon, le FIFI est devenu incontournable dans le monde de la fiction en ligne. « Nous sommes le seul festival de ce type au monde », aime à préciser son président. Avec ses 2,5 millions de francs de budget (plus 2 millions pour le Forum qui traite de sujets comme la télévision numérique, l'UMTS, la boucle locale radio, la vidéo sur Internet ou la création numérique dans le e-commerce), le FIFI est encore loin de Cannes, mais il compte dans le petit monde du Net. Il a même créé le terme "digima", hybride de digital (numérique) et de cinéma, pour qualifier ces oeuvres de fiction créées pour et diffusées sur l'Internet. Le Club Digima regroupe des acteurs, tels que Real Networks, Nouvo.com, Microsoft, France Télécom, Cable and Wireless, The Content Company, Réservoir Net ou eTF1. Laboratoire grandeur nature, le FIFI accueille créateurs et créations, qu'on retrouvera certainement bientôt sur les portails du Web, mais aussi sur les chaînes du câble et du satellite, sans oublier les consoles de jeu.
Les sites à visiter
www.aoltv.com www.axance.com www.canalweb.net www.cellnetwork.com www.digitalbusiness.fr www.eauctionroom.com www.gencom.fr www.ideoz.com www.internet-film.org www.lelab.com www.liberate.com www.nptv.fr www.ntvfactory.com www.opentv.com www.perfect.fr www.replaytv.com www.tf1.fr www.tivo.com www.westcast-systems.com
Comment décrypter la télévision interactive
Bien que tous les acteurs de la convergence préfèrent parler de contenu plutôt que de technologie, il est pourtant difficile de faire l'impasse sur les techniques employées. Celles du Web sont connues : langage HTML et Java, protocole IP, lecteurs audiovisuels QuickTime d'Apple, Real Player de Real Networks et Windows Media Player de Microsoft, plus Flash de Macromedia pour les animations. Côté télévision interactive, c'est moins simple. Plusieurs technologies incompatibles s'affrontent. OpenTV est la plus diffusée. Elle a été inventée par Sun et Thomson et elle est utilisée par TPS, Noos, BskyB. MediaHighway est la technologie propriétaire employée par le groupe Canal Plus et toutes ses filiales. Liberate a été développée par Oracle et Nestcape. C'est l'héritière des NC, les Network Computer, que voulaient lancer Sun et Oracle, mais qui n'ont jamais séduit. AOL l'utilise pour AOLTV. Microsoft TV est utilisée par le TAK de Thomson et quelques câblo-opérateurs portugais, anglais et hollandais. « Ce sont des applications complexes et onéreuses, quatre fois plus que pour le Net », estime Denis Gillier de Lab Production. Les sociétés TiVo et ReplayTV fabriquent, elles, des décodeurs avec disques durs intégrant ces technologies.