La délégation e-commerce, secteur en croissance
La délégation consiste pour une marque ou un site à confier les clés de sa boutique en ligne à un prestataire spécialisé. Des acteurs majeurs prennent position sur ce marché et de nouvelles offres apparaissent. Le point sur cette activité en plein essor.
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Un vent de délégation souffle sur l'e-commerce français. GSI Commerce a été racheté par eBay en mars 2011. Digital Commerce Factory, une nouvelle activité de la maison mère Vente Privée, a été lancée il y a quelques mois. De quoi compléter un panorama d'acteurs déjà bien implantés, à l'instar d'E-Merchant, de Yoox ou en encore de Brand Online. Le marché de la délégation croît et se structure. Et pour cause. Marques et retailers nationaux et internationaux sont de plus en plus en demande.
Concrètement, la délégation e-commerce est un contrat entre 2 parties. Il convient donc de décrire ce marché en présentant les offres des délégataires à travers le prisme des demandes des clients. Les uns adaptant leurs propositions et leur conseil aux attentes des autres. C'est un fait, il n'y a pas de délégation standard mais des offres construites par chaque opérateur e-commerce pour chaque marque.
Des offres à géométrie variable
De facto, les prestataires se déclarent prêts à prendre en charge l'ensemble des métiers de l'e-commerce. Leurs offres comprennent la conception ou la fourniture d'une plateforme; la gestion du site, depuis les opérations de lancement et d'exploitation jusqu'à la logistique en incluant le CRM. Et sans oublier la création des catalogues, la mise en avant des produits et leur marchandisation sur le Net. Seuls les très grands acteurs, les pure players comme E-Merchant, GSI Commerce ou la nouvelle Digital Commerce Factory, sont à même de proposer, en interne ou en s' appuyant sur des partenaires de longue date, une offre réellement globale. L'histoire du délégataire joue également pour beaucoup. Ainsi, quand Ping-Ki Houang, directeur délégué d'E-Merchant, affirme: «Nous avons monétisé un savoir- faire que nous mettons à disposition de nos clients», il faut aussi comprendre que la société mère Pixmania a réalisé d'énormes investissements et que l'activité de délégation e-commerce est une façon de les rentabiliser. Pour leur part, les plus petits acteurs, ou les plus récemment créés, oeuvrent davantage dans une approche de sous-traitance. Dans ce cas, l'entreprise Solucia explique sa philosophie: «Nous jouons un rôle de chef d'orchestre, de coordinateur qui s'assure que l'ensemble des départements jouent bien la même partition», souligne Thierry Deffrennes, son dirigeant.
Le positionnement du délégataire d'une part et le besoin des marques de l'autre influent donc sur les prestations assurées. Et cela au travers d'un fonctionnement qui intervient en quelque sorte à la carte. Car en matière d'e-commerce délégué, tout part en effet des besoins du site ou de la marque. Ainsi, la marque S.T. Dupont, très réputée pour ses luxueux briquets, a fait le choix d'utiliser la plateforme technique d'E-Merchant, ses services logistiques et de relations clients, mais elle a souhaité garder en interne le marketing. Autre cas de figure, chez le même prestataire, l'enseigne Sud Express utilise les outils informatiques et marketing mais s'occupe elle-même de sa logistique et de son CRM. A chaque site sa stratégie de délégation. Naf Naf, qui a confié son e-commerce au délégataire The Other Store, continue pour sa part de travailler sur le volet communication du site avec son agence habituelle. «Nous collaborons avec cette agence, bien sûr. Mais elle reste l'acteur principal sur ces problématiques», explique Candice Delorme de The Other Store.
Le plus important est que la prestation permette à la marque «d'entrer rapidement sur le marché Internet sans renoncer ni à son image ni à ses marges», indique Philippe Rodriguez, président de Mixcommerce. Le rôle du délégataire est «d'aider à l'opérationnalité en proposant des solutions concrètes aux enjeux identifiés par les marques», précise-t-il.
Dans la vie réelle, prestataires et marques sont conscients que l'e-commerce est un métier difficile où il faut aller vite. De ce point de vue, l'entreprise qui fait appel à un délégataire, spécialiste de l'e-commerce, fait le choix d'aller vite et de faire bien sûr ces métiers compliqués. La marque Naf Naf est tout à fait dans cette logique. «Nous n'avions pas le temps d'acquérir une culture Internet et nous avons pris le package complet. Avec pour objectif que la boutique en ligne soit l'une de notre réseau. Un transfert de compétences s'établit, mais ce canal reste trop spécifique pour que nous le prenions en charge seuls», indique Julie Bigot, directrice de la communication en charge de l'e-commerce de Naf Naf. Pour une marque, déléguer les opérations d'e-commerce est donc une façon d'entrer sur la scène Internet sans devoir faire face à de trop lourds investissements structurels de départ.
3 questions à... Thomas Cohen, dirigeant de Bonton, marque de textile pour enfants,«J'ai compris qu'Internet était un vrai métier et que ce n'était pas le mien»
Vous avez choisi la délégation e-commerce. Pourquoi?
Parce que faire appel à un spécialiste permet d'atteindre un chiffre d'affaires qui serait inaccessible sinon. Et je sais de quoi je parle puisque nous avons commencé par exploiter nous-mêmes notre boutique en ligne. Nous l'avons initialement créée il y a quatre ans, avec l'aide d'un spécialiste qui a réalisé à notre demande un développement spécifique. Une fois en ligne, nous nous sommes nous-mêmes occupés de l'exploitation, de la gestion quotidienne des commandes, des expéditions, des retours. Bref, nous faisions tout, et nous étions plutôt contents.
Pourquoi avoir changé de cap?
J'ai eu l'occasion de rentrer en contact avec un délégataire. Il m'a proposé un rendez-vous et il est apparu qu'il y avait des choses que je ne faisais pas, d'autres que je faisais mal. J'ai compris qu'Internet était un vrai métier et que ce n'était pas le mien. Parce que j'avais mené ma propre expérience, j'ai pu apprécier les apports de mon délégataire.
Quelle est la nature de votre partenariat?
Nous avons conclu un contrat pour six saisons (NDLR: soit trois années). Nous en sommes au tout début puisqu'il en reste quatre à mener. Et d'ores et déjà, le chiffre d'affaires à doubler pour atteindre 250000 euros annuels.
Nous avons retenu une prestation partielle. L'achalandage et le design restent toujours réalisés par nos soins. Ce qui est intéressant c'est que nous travaillons véritablement main dans la main.
Ping-Ki Houang (E-Merchant):
«Nous avons monétisé un savoir-faire que nous mettons à disposition de nos clients.»
Des modèles payants variables
Dans la foultitude des offres, plusieurs modèles économiques coexistent. Cependant, conformément à l'un des principes fondateurs de la délégation e-commerce, la prestation du délégataire était, à l'origine, rémunérée uniquement à la performance. Un pourcentage était, en effet, négocié sur le chiffre d'affaires, dans une fourchette comprise en général entre 30 % et 50 %, voire un peu moins en cas de prestation partielle. Si le principe du commissionnement est toujours d'actualité, certains prestataires ont cependant tendance à imposer un ticket d'entrée. Ce dernier prend le plus souvent la forme d'une participation au financement des installations techniques ou de la mise en oeuvre de la charte graphique de la marque. « I l y a des frais de mise en place et d'accès aux outils, avec un coût de l'ordre de 30000 euros. Ce qui n'est pas mutualisable est à la charge du client», indique Thierry Deffrenes, de Solucia. Chez E-Merchant le discours est peu ou prou équivalent. «Nous définissons des honoraires de set-up pour la mise en place du site et, quand il est en ligne, nous percevons un pourcentage sur le chiffre d'affaires généré», explique Ping-Ki Houang. Des honoraires qui peuvent atteindre 300 000 euros, voire 500 000 euros, et même plus pour les sites d'e-commerce de grande envergure et les entreprises internationales. Création du site, mise en place du catalogue, shooting des produits, ne sont donc pas toujours pris en charge par le délégataire. Pas plus dans certains cas que les frais de transport ou les achats média. « Quand la marque offre les frais de livraison, par exemple, il s'agit d'une opération marketing qu'elle devra payer», explique Antoine d'Arifat de Brand Online. Pour autant, dans le panorama des offres, certains opérateurs e-commerce sont restés fidèles au principe de la performance pure, quitte à être un peu plus exigeants sur les commissions perçues. C'est, par exemple, la position de Be2Store, une structure récemment installée à Auxerre comptant sept collaborateurs. «Nous ne prenons pas de frais d'entrée et notre taux de commission se situe entre 30 et 40%. Les marques apprécient cela en temps de crise», estime Rachid El Idrissi. Ce modèle reste de nature à séduire des marques qui veulent tester l'activité sans prendre de risques financiers. «Il était hors de question que je paye un droit d'entrée. Les commissions sont bien assez importantes!», explique Thomas Cohen de la marque Bonton.
Interview: Catherine Barba, directrice générale de Digital Commerce Factory « Une relation client-prestataire, où la marque ne décide pas, ne peut pas fonctionner»
Pourquoi avoir lancé la Digital Factory maintenant?
Une société, c'est d'abord une affaire humaine, des personnes qui se rencontrent et qui décident de s'associer. En juin dernier, j'ai vendu ma société de conseil Internet, Malinea, à Jacques-Antoine Granjon et aux autres fondateurs de Vente-privee.com, pour lesquels j'ai un immense respect. Avec eux et Amandine Codorniou, qui était directrice des opérations de Malinea, nous nous sommes associés dans Digital Commerce Factory, et nous allons développer la structure en France et en Europe. Il y a aussi la demande marché qui est très forte: aujourd'hui, la grande majorité des acteurs du retail, grandes Une société, c'est d'abord une affaire humaine, des personnes qui se rencontrent et qui décident de s'associer. En juin dernier, j'ai vendu ma société de conseil Internet, Malinea, à Jacques-Antoine Granjon et aux autres fondateurs de Vente-privee.com, pour lesquels j'ai un immense respect. Avec eux et Amandine Codorniou, qui était directrice des opérations de Malinea, nous nous sommes associés dans Digital Commerce Factory, et nous allons développer la structure en France et en Europe. Il y a aussi la demande marché qui est très forte: aujourd'hui, la grande majorité des acteurs du retail, grandes enseignes ou PME, se posent encore beaucoup de questions sur la façon de faire de l'e-commerce. Nous sommes là pour leur apporter les bonnes réponses et les accompagner.
Présentez-nous votre offre de délégation? Quel est le modèle économique? Le positionnement par rapport à la concurrence?
Digital Commerce Factory est une agence e-commerce qui travaille pour toutes les marques, enseignes et commerçants qui s'interrogent sur leur e-commerce. Nous sommes organisés autour de deux métiers, deux forces: le consulting e-business issu de Malinea et la création e-commerce «en dur» avec le support des infrastructures deVente-privee.com. Nous accompagnons tous nos clients dans leur réflexion sur leur positionnement, leur refonte de site, leur déploiement international, leur relation client multicanal et leur communication digitale. Dans certains cas, nous allons jusqu'à mettre en place et gérer leur activité e-commerce, de A à Z ou à la carte: de la création à l'exploitation de leurs sites web et mobile, en passant par la production de catalogue photos et vidéos, la logistique, le service clients, l'e-marketing... Au-delà de l'expertise e-commerce, ce sont une forte sensibilité aux marques et une expérience du cross canal qui caractérisent les gens de notre équipe (consultants, chefs de projet, e-store managers... et même l'équipe technique!). L'e-commerce n'est pas une bulle digitale coupée du commerce physique. L'enjeu est de réussir à bien intégrer sa boutique en ligne à son réseau de distribution existant, pour apporter plus de service, du plaisir, de l'émotion, une expérience unique à ses clients.
Certains parlent de délégation, moi je n'aime pas ce mot. Déléguer, c'est «envoyer quelqu'un comme représentant, après lui avoir donné un pouvoir de décision». Une relation client-prestataire, où la marque ne décide pas, et qui repose sur un modèle économique basé essentiellement sur la performance, ne peut pas fonctionner. Une marque, une enseigne, un commerçant, même s'ils confient l'exécution de leurs sites à des experts, doivent toujours en rester propriétaires, maîtriser leurs offres et leurs investissements. Des ressources expertes en interne doivent être dédiées au projet, car l'e-commerce représentera bientôt 10 à 15 % de la totalité des revenus des clients.
Les investissements liés à la délégation
Selon le modèle choisi, l'ouverture d'une boutique en ligne va, en effet, nécessiter des investissements pour l'enseigne. Sans parler de droits d'entrée, elle devra mobiliser des ressources pour assumer cette diversification. Recrutement de personnel, communication et intégration du site dans ses supports traditionnels, opérations événementielles, promotions de lancement voire création de gammes d'articles spécifiques. Autant de budgets qu'il faudra provisionner rapidement, à hauteur de 5 à 10 % du chiffre d'affaires traditionnel, estiment les observateurs pour s'assurer d'une véritable ambition de développement de l'ecommerce de la marque. «L'une des premières choses dont nous nous assurons est que l'enseigne est prête à investir pour que le on line représente entre 8 et 10% de son chiffre d'affaires», explique ainsi Ping-Ki Houang d'E-Merchant. Ainsi pour que le délégataire prenne en charge l'e-commerce de son client, une relation gagnant-gagnant doit pouvoir s'instaurer. Tous les délégataires réalisent ainsi avec leurs prospects, un business plan comme premier élément d'appréciation de la faisabilité du projet. Avec parfois des résultats surprenants comme le raconte Antoine d'Arifat de Brand Online: « Un prospect est venu nous voir. Nous avons jugé que ses coûts d'acquisitions étaient trop minorés. Nous lui avons déconseillé de se lancer et nous ne lui avons pas proposé de contrat. » Quand il sent que la marque ou le site n'affiche pas suffisamment d'ambition sur son activité de commerce en ligne, le délégataire met souvent en garde son client quitte à décliner un projet trop peu ambitieux.
Bénéfices et écueils
L'objectif de la marque reste en effet de maximiser son activité commerciale en investissant au plus juste. Ce qu'elle doit attendre en premier, c'est que la délégation e-commerce génère le chiffre d'affaires le plus important possible en ligne. Les deux parties y ont un intérêt direct, puisque le prestataire est financièrement impliqué dans la performance économique du site. Et cela marche. Pour la marque Bonton, Thomas Cohen se félicite du résultat: «Notre chiffre d'affaires a doublé», souligne-t-il. Remarque identique chez Naf Naf. «Nous ne communiquons pas les chiffres mais nous sommes très satisfaits de notre activité Internet lancée en délégation», se félicite la directrice de la communication, Julie Bigot.
Déléguer, comme le soulignent prestataires et marques, c'est accéder à un niveau de compétences, à un professionnalisme, à une motivation, que la marque ne pourrait pas atteindre seule, à n'en pas douter. A moins qu'elle ne consente à réaliser des investissements et des recrutements dispendieux, qui, de toute façon, ne lui assureront jamais le même «time to market» qu'un délégataire. En effet, avec une marque qui sait ce qu'elle veut, un opérateur e-commerce est généralement à même d'ouvrir le site en moins de six mois après la signature du contrat. Déléguer, c'est aussi profiter directement de la mutualisation des développements et de la prise en compte des dernières technologies ou tendances du Web.
Mais la route comporte cependant quelques embûches. A commencer par celle de la délégation par manque de compétences. Si certains délégataires estiment que leurs prospects ont une bonne connaissance de l'e-commerce, ils sont encore nombreux à constater en effet que le commerce en ligne reste un sujet encore trop méconnu. «Il y a bien souvent un problème, naturel, de connaissance de l'e-commerce chez les marques qui n'en n'ont jamais fait. Quand la marque fait déjà de l'e-commerce, la personne en charge est généralement au marketing global et ne peut pas être aussi pointue qu'un professionnel du canal Internet», explique Antoine d'Arifat de Brand Online. Le risque pour la marque est alors de trop se reposer sur son délégataire pour la mise en oeuvre du projet.
Autre écueil à éviter, le manque de force de proposition du délégataire. Son modèle économique étant d'être rémunéré via une commission sur les ventes, il n'a pas forcément intérêt à proposer à son client des enrichissements du site ou de services qui pourraient s'avérer bénéfiques mais n'augmenteraient pas le chiffre d'affaires rapidement. La marque a donc tout intérêt à vérifier que le délégataire pourra satisfaire ses futurs besoins et lui fournit des outils à la pointe de la technologie. «Nos clients sont des innovateurs qui ne veulent pas se faire distancer», souligne Rachid El Idrissi, de Be2Store. Une posture ou la richesse d'un bon partenariat prend toute sa dimension...
Rachid El Idrissi (Be2Store):
«Nous ne prenons pas de frais d'entrée et notre taux de commission se situe entre 30 % et 40 %. Les marques apprécient cela en temps de crise.»
3 question à... Antoine d'Arifat, de Brand Online Commerce Antoine d'Arifat, de Brand Online Commerce «Le principe de notre activité, c'est d'être rentable pour le client»
Brand Online est un acteur international de la délégation e-commerce. Quelles prestations offrez-vous à vos clients?
Déléguer l'e-commerce c'est externaliser tout le département en charge des ventes sur Internet. Nous offrons à nos clients une palette de services assez large, depuis la plateforme technique jusqu'à la logistique ou le CRM. Mais les marques ne peuvent souscrire qu'à une partie. La délégation pure et dure, c'est confier à un prestataire unique la totalité des tâches. Dans la réalité, il y a des aménagements.
Quelle est la clé de la réussite dans votre métier?
Nous formons avec nos collaborateurs et nos propres prestataires une chaîne dont chacun est un maillon. Il faut connaître chacun d'eux, savoir ce qu'il fait et s'il a des faiblesses. Car la solidité de l'ensemble dépend du maillon le plus faible. Par exemple, si le CRM est mauvais, tout le business en pâtit même si vous réalisez par ailleurs de très beaux e-mails.
Qu'est-ce qui vous fera refuser une marque comme client?
Le principe même de notre activité est que nous soyons rentables pour le client. Il y a trois critères capitaux pour déterminer sa rentabilité: le chiffre d'affaires potentiel, le taux de commissions et la valeur du panier moyen.