Visionnaire éclairé
Nombre de vocations entrepreneuriales ont disparu au rythme de la chute des valeurs Internet. Jérôme Adam ne fait pas partie de ce lot-là. Ce jeune chef d'entreprise s'est découvert entrepreneur et compte bien mener à terme l'aventure Visual Friendly.
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Malgré un visage juvénile, Jérôme Adam paraît avoir bien plus de 25 ans. Il
suffit d'ailleurs de parler quelques minutes avec lui pour être convaincu que
le jeune président du directoire de Visual Friendly a déjà acquis une certaine
maturité professionnelle et que la création de sa société ne s'est pas faite
par hasard. La solution logicielle de cette start-up permet aux éditeurs de
sites d'offrir à leurs internautes un service innovant : rendre leurs pages
plus accessibles et plus lisibles aux déficients visuels. L'internaute peut en
effet choisir ses propres paramètres : changer la police ou la taille des
caractères, jouer sur le contraste mais aussi adopter une navigation simple, en
regroupant tous les liens hypertextes de la page au même endroit. Jérôme Adam
est bien loin du portait type du "start-uper" de l'époque euphorique du Web.
Pourtant, comme bien d'autres, il a créé sa société dès sa sortie de l'Essec,
courant 2000 avec deux autres collègues de promo. « Je ne crois pas que l'on
devient entrepreneur, lance t-il. On l'est, ou du moins on se découvre en tant
que tel. » Des découvertes, Jérôme Adam en a fait malgré lui, à l'âge de 15
ans, lorsqu'il perd la vue et doit appréhender un univers inconnu. Son
sentiment d'alors est unilatéral : il veut absolument continuer à vivre
normalement et achever ses études. Après avoir poursuivi sa scolarité pendant
deux ans à l'Institut national des jeunes aveugle de Paris, il retourne en
lycée classique, dans sa ville natale de Reims pour décrocher son bac. Il
s'oriente ensuite sur Sciences Po Paris, qu'il intègre pour trois ans, se
spécialisant dans les ressources humaines et la communication. Période durant
laquelle il se forge ses premières qualités d'entrepreneur : séduire et
persuader. D'ailleurs, le directeur de Sciences Po de l'époque lui prédit qu'un
jour il créera sa société. Un signe avant coureur parmi d'autres. Car Jérôme
Adam ne semble pas être de ceux qui abandonnent une partie en cours. Sa cécité
l'a empêché de poursuivre en tant que joueur sa passion du football, même s'il
reste aujourd'hui un supporter actif. Lorsqu'il intègre Sciences Po, il se met
au ski nautique et monte un club d'athlétisme destiné aux déficients visuels.
Au cours de ses premières expériences professionnelles aussi, Jérôme Adam se
concentre particulièrement sur le public des déficients visuels. Lors d'un
stage au sein des Laboratoires Vichy, il orchestre un projet baptisé "La beauté
sans miroir", qui donne naissance à un serveur vocal destiné aux non-voyants ou
malvoyants. A l'Essec, qu'il intègre après Sciences Po en seconde année, il
finit son cycle par un semestre aux Etats-Unis, suivant un MBA à La Nouvelle
Orléans. Une occasion de découvrir le Web tout en se penchant sur la
problématique du confort visuel des seniors. Des expériences qui lui font
réaliser que le public qu'il vise est bien plus large que celui qu'il
imaginait. « 95 % des déficients visuels sont des malvoyants, qu'il s'agisse
des seniors ou des personnes qui souffrent de fatigues visuelles. Un site web
s'adresse ainsi à différents publics internautes. Et pourtant, une seule
version du site est disponible. » Le concept de Visual Friendly germe, renforcé
par un travail avec les ergonomes du laboratoire de Paris V Descartes. Dernière
touche au projet : la rencontre avec l'un des professeurs de l'Essec. Il s'agit
de Philippe Hayat..., fondateur de l'incubateur Kangaroo Village qui prend le
projet sous sa coupe et y insuffle les fonds d'amorçage. Aujourd'hui, Visual
Friendly a déjà parcouru du chemin et compte une vingtaine de personnes. En mai
2001, la jeune pousse lève pour son premier tour de table 2,2 millions d'euros
(14,4 MF). Une belle performance dans le contexte actuel, qui doit assurer le
développement commercial en France. « Je suis convaincu de l'utilité de notre
produit qui intéresse autant les sites institutionnels que les marchands ou les
sites de contenu. Il ne s'agit pas de simplement modifier l'aspect du site mais
de renforcer son accessibilité et de travailler sur son ergonomie. » Nouvelles
Frontières et le site du Premier ministre constituent les deux premières
références clients de la start-up, qui devrait annoncer rapidement des
signatures avec Yahoo! France, la Fnac ou encore Sport24. L'aventure démarre
sous de bons auspices. Comment Jérôme Adam envisage-t-il Visual Friendly d'ici
deux ans ? « Je pense que nous aurons entamé notre développement international,
et notre approche du marché américain. » Et, s'il lui faut un jour céder sa
place pour un manager plus expérimenté, il se dit également prêt à l'accepter.
« Si je sens qu'un jour mes compétences sont dépassées, je céderai logiquement
la place. Pour monter un autre projet, dans le sport par exemple. »
Repères
1976 : naissance. 1992 : perte de la vue. 1995 : entrée à Sciences Po Paris. 1998 : entrée à l'Essec, doublée en fin de cycle d'un MBA aux Etats-Unis. Août 2000 : création de Visual Friendly. La société est labellisée "Entreprise innovante" par l'Anvar qui apporte 381 000 euros comme aide à l'innovation. Kangaroo Village incube la start-up et y insuffle 1 million de francs en amorçage. Mai 2001 : première levée de fonds de 2,2 millions d'euros auprès du Crédit Lyonnais Asset Management Private Equity et de business angels.