Une nébuleuse activiste
Redoutés des institutions, des multinationales, et même des organisations criminelles, les Anonymous fascinent autant qu'ils intriguent. Sans organisation définie, ils créent des rapports de force nouveaux avec le cyber-establishment.
Je m'abonneInsaisissables, incontrôlables, mais désormais incontournables, les Anonymous sont-ils de véritables héros d'un monde virtuel menacé dans sa liberté, ou de simples amateurs mécontents et malhabiles, dont les combats ne sont déjà plus qu'une chimère? Trop souvent encore, ils sont présentés comme des pirates informatiques, mais en vérité, il n'en est rien. Alors, qui sont véritablement les Anonymous?
Petit retour en arrière. Novembre 2011 , le cartel de la drogue mexicain «Los Zetas» courbe l'échine face aux Anonymous locaux, en acceptant de libérer un de leurs membres, enlevé à Veracruz. Le collectif avait menacé de révéler l'identité des alliés des narcotrafiquants au sein d'institutions mexicaines. «En Amérique latine, les Anonymous sont très actifs dans la lutte contre la corruption, une problématique spécifique à cette région du monde», explique Nicolas Danet, coauteur, avec Frédéric Bardeau de l'ouvrage Anonymous, peuvent-ils changer le monde?
Des actions de plus en plus spectaculaires
Dernièrement, les Anonymous français ont réussi à pirater le site de la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet), mettant la main sur de nombreux mails comprenant des détails techniques sur la manière employée pour surveiller les fichiers échangés sur les réseaux peer-to-peer. En effet, la colère du collectif a pris une autre dimension depuis la fermeture du site de téléchargement Megaupload, en janvier 2012. Voulant défendre «le futur de la liberté sur Internet», les Anonymous ont déployé des attaques en chaîne sur des sites gouvernementaux et de multinationales, tombés les uns après les autres: CIA, Universal, Parlement européen, ministère de l'Intérieur français, EMI, Warner, Disney... C'est dire l'étendue de leur pouvoir, et la volonté dont ils font preuve lorsqu'il s'agit de se mobiliser pour la défense de causes qu'ils estiment justes. Ces causes sont très diverses, mais, historiquement, leur cible première est l'Eglise de scientologie, qu'ils ont attaquée pour la première fois en 2008, l'estimant rétrograde pour la liberté d'expression, et donc contraire aux lois du cyberespace. Anonymous décide de l'exclure définitivement d'Internet en attaquant son site de toutes parts. Cette initiative signe l'acte de naissance officiel des Anonymous. «Plus généralement, ils s'en prennent aux sectes, luttent contre la pédophilie sur Internet ou les lobbies des ayants droit», note Nicolas Danet.
En outre, cette mobilisation témoigne de leur capacité à coordonner leurs énergies. Et contrairement aux idées reçues, « ils se coordonnent aux yeux de tous, sur les canaux de discussion en ligne et autres forums».
Une organisation sans visage
Les Anonymous suivent les règles de la do-ocratie, concentré du verbe «to do» («faire» en anglais, NDLR) et de «démocratie». En clair, ce sont les individus de la collectivité «qui choisissent eux-mêmes les tâches qu'ils doivent accomplir, et les exécutent pour ensuite enjoindre les autres à les amplifier ou les relayer», analysent Nicolas Danet et Frédéric Bardeau dans leur ouvrage. Un principe simple mais diablement efficace, puisqu'au plus fort de leurs attaques contre des sites Internet, ils étaient entre 5 et 10000, et leurs actions, dont les effets sont retentissants, sont relayées et analysées dans le monde entier. Conséquence: multinationales et Etats du monde entier essayent de comprendre à qui ils ont à faire, en vain. «Le FBI a tenté de dresser leur portrait robot: ils peuvent être Américains, Européens, Asiatiques, ont entre 15 et 55 ans, sont des hommes ou des femmes, et ne sont pas forcément des geeks», s'amuse Nicolas Danet. Car l'Anonymous-type n'existe pas, et n'entre dans aucun cadre organisationnel connu. Les membres ne forment ni une association+ ni une ONG. Sans chef, les Anonymous évoluent un peu comme des électrons libres, mais ils se rassemblent derrière des codes très distinctifs, sortes de bannières du mouvement. Leur masque tout d'abord. Destiné à préserver l'anonymat, c'est aussi un symbole: il s'agit du masque de Guy Fawkes, un conspirateur anglais des XVIe et XVIIe siècles, initiateur d'un attentat manqué visant le palais de Westminster, où siégeait le roi d'Angleterre Jacques 1er et les membres du parlement. Ce masque est aussi une pièce maîtresse du costume de super-héros issu du comic américain V pour Vendetta. Leur logo est aussi très présent, visible sur chaque vidéo Anonymous, de même que leur slogan: «Nous sommes Anonymes. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n'oublions pas. Redoutez-nous». Une manière de faire comprendre aux plus sceptiques qu'ils ne plaisantent pas.