Sound design: les agences donnent le “la”
Longtemps parent pauvre de l'e-commerce, le sound design des sites est en pleine évolution. Vecteur d'émotion mais aussi facilitateur de navigation, le son intéresse de plus en plus annonceurs et agences interactives. Dans un but : sceller l'identité de la marque ou du site, et faire vivre des expériences singulières à l'internaute.
Je m'abonneAgences et annonceurs ne sont plus sourds aux sirènes du sound design. C'est le constat que dresse une large majorité d'agences interactives, tout en insistant sur la difficulté d'intégrer le son dans les briefs comme une variable à part entière. « Il y a toujours eu du son dans les créations, mais c'était, jusqu'à présent, de l'accompagnement dissocié qui ne servait pas forcément la création et le message véhiculé par le site. Avec les outils de Rich Media et de Flash, le son devient complémentaire des messages. C'est un phénomène relativement récent », souligne Olivier Delas, directeur de la création au sein de Digitas. Et les agences web ouvrent la voie, dans un contexte technologique de plus en plus mature. « Il y a quelques années, les professionnels étaient focalisés sur l'interface des sites. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Tout le monde maîtrise l'ergonomie et nous devenons de plus en plus des producteurs de contenus », résume Elie Trotignon, directeur de création au sein de l'agence Visual Link. Finis, donc, les atermoiements des débuts. Les contraintes d'interface, de gestion des débits et d'architectures prenaient alors logiquement le pas sur les initiatives créatives. Désormais, le Web 2.0 inscrit l'internaute dans un contexte immersif, qui fait tache d'huile sur l'ensemble des acteurs de la Toile. « Auparavant, on se heurtait à de gros problèmes de bande passante. Désormais, avec le haut débit, le son revient en force », confirme Nicolas Forestier, directeur conseil associé au sein de Mégalo (s). D'où une prime logique au contenu et à la créativité...
Pour autant, et même si de nombreux sites de marques ou événementiels jouent à plein la carte de l'expérientiel, il reste encore beaucoup à faire pour intégrer complètement le son aux créations de sites et aux campagnes menées en ligne.
Elie Trotignon et Pascal Joseph (Visual Link) :
« Un effet qui n'est pas poussé par un son passe à la trappe. De manière invisible pour l'internaute, nous dirigeons son attention. »
Le son revalorisé
Dans ce domaine, en effet, les mentalités évoluent doucement. « La grande différence avec ce qui se pratiquait il y a peu est qu'aujourd'hui le son est intégré dès le début des projets », précise Olivier Delas. Rares sont désormais les agences qui répondent à une compétition en faisant l'impasse sur le design sonore des sites. « On sent que la musique fait partie de l'expérience vécue par l'internaute et certains budgets sont remportés sur cette dimension-là », explique François Garcia, directeur général de l'agence interactive X prime. Cependant, même si les agences osent des créations de plus en plus immersives en anticipant les attentes des internautes, elles peinent encore à valoriser le son auprès des annonceurs. « Trop souvent cette variable est intégrée à la fin de la création et cela n'est pas optimisé », regrette Antoine Sapin, cofondateur de l'agence de design sonore Cadence. Et dans les budgets de campagnes, il est encore très rare que des moyens soient octroyés pour l'achat de droits musicaux.
« L'importance du son est primordiale pour les internautes, mais elle ne l'est pas du tout pour les marques. Pour ces dernières, la dimension du son est totalement oubliée », estime pour sa part Sabine Maréchal, P-dg de l'Agitateur e-Média.
Un travail important resterait donc à accomplir pour éduquer l'ensemble des acteurs de la chaîne, ce qui demande logiquement une certaine énergie aux agences. « Les annonceurs ont beaucoup de mal à verbaliser leurs attentes concernant le son », explique Pascal Joseph, directeur du développement de Visual Link Paris. Aussi, bien souvent, laissent-ils ce volet à la libre créativité des directeurs artistiques. « Le son est un moyen d'apporter de nouveaux éléments : complément de choix, complicité avec les internautes. C'est ce qui occupe une part importante de l'esprit humain. On connaît plus de chansons que de films », note, enthousiaste, Jean-Louis Lesage, P-dg de Novacom. Alors pourquoi le design sonore interactif tarde-t-il à décoller ? Manque de maturité ou défaut de réelle méthodologie, par ailleurs bien huilée sur les aspects graphiques ? Les deux sans doute. Un constat s'impose néanmoins : peu à peu, les mentalités évoluent et permettent de mieux valoriser le son, en qualité et en quantité, dans l'univers des sites. « De plus en plus de sound designers créent des musiques ad hoc pour le Web. C'est la solution la plus affective. La musique peut ensuite être réutilisée. C'est un levier sur lequel les agences doivent être très fines. Le son est en effet très impliquant pour la marque », explique Sabine Maréchal.
Nicolas Forestier (Mégalo(s)) :
« Le son est indispensable. 75 à 80 % des émotions sont transmises à travers lui. »
Un vecteur d'émotion
Impliquer les internautes. L'intérêt d'inclure du design sonore est bien là. Dans cette capacité à soutenir le message, ou bien l'image véhiculée par la marque ou le site. « Le son a trois fonctions principales. L'ergonomie, pour aider à guider l'internaute dans la recherche d'informations. Un volet immersif très fort en produisant un effet important d'un point de vue expérientiel. Enfin, la troisième fonction du son est de diffuser un message. On se rapproche alors du modèle de la radio », synthétise Olivier Sales, designer sonore de l'agence Duke. En effet, le son va renforcer, en ligne, la réalité, l'étonnement et la capacité de navigation. « C'est un média hyperémotionnel. Il ne peut se travailler avec systématisme », insiste, quant à lui, Antoine Sapin. Cohésion, émotion... le son travaillé sur mesure aurait ainsi de nombreuses vertus. « Il est indispensable, estime Nicolas Forestier. 75 à 80 % des émotions sont transmises à travers le son. » Allié des mots, il les compléterait. Parlant à nos émotions, il faciliterait notre mémorisation et notre adhésion aux messages et aux valeurs émises. Certes, mais à quelques conditions ? Que la création sonore soit bien sentie. Que le son ne soit pas intrusif. Qu'il soit d'une qualité irréprochable... Sans quoi l'effet produit risquerait d'être inverse à celui escompté.
Faciliter la navigation
Bien entendu, en la matière, un dosage tout particulier mérite d'être réalisé pour créer une alchimie parfaite. « Il est important que la navigation de l'internaute ne soit pas polluée par le son », insiste Pascal Meunier, directeur de production au sein de Nextedia, tout en précisant que même s'il est indispensable dans des sites expérientiels, le son n'en demeure pas moins facultatif sur des sites où l'internaute ne doit pas être distrait dans sa navigation. « Il y a une véritable voie à explorer avec le son concernant le parcours des internautes », ajoute-t-il. Une fonction encore trop souvent sous-employée, mais dont le potentiel semble faire l'unanimité. « Le son est comme un code couleur sur un rayon. Il peut être efficace pour ponctuer une création », note Olivier Delas. Pertinence et légitimité. Telles sont les attentes des créatifs et des annonceurs vis-à-vis du son. « Un effet qui n'est pas poussé par un son passe à la trappe. De manière invisible pour l'internaute, nous dirigeons ainsi son attention », illustre Elie Trotignon. Dès lors, la dimension sonore des sites est-elle suffisamment utilisée ? Quelle valeur ajoutée peut-on en attendre ? Des questions qui trouvent quelques pistes de réponses sans avoir été, pour l'heure, totalement analysées par les professionnels de la Toile...
Pascal Meunier (Nextedia):
« Au niveau du parcours des internautes, il y a une véritable voie à explorer avec le son. »
La valeur ajoutée du son
En termes d'efficacité publicitaire, cependant, Olivier Sales constate que « lorsqu'on crée une campagne de bannière avec du son, les internautes réagissent mieux ». Quelques rares chiffres sont même avancés par Sabine Maréchal, qui précise que « d'un point de vue juridique, sur les campagnes sonores, c'est à l'internaute de décider s'il met le son ou pas. Globalement, l'appréciation positive des sites où il a de la musique est de 30 à 40 % supérieure en post-test ».
Des données à croiser avec les résultats d'autres agences, mais qui permettent néanmoins de donner une tendance. Autre avantage mentionné régulièrement, la capacité du son à simplifier une navigation rendue parfois difficile par la masse d'informations accessibles en ligne. « Les écrans en e-business sont très encombrés. Dans une navigation catalogue, beaucoup d'éléments sont présents. Le son peut être un moyen de donner un message supplémentaire qui ne trouverait pas sa place dans l'interface », souligne Nicolas Forestier. Pour faciliter la navigation, ou bien encore communiquer, le son - et de plus en plus la vidéo - peut faire la différence.
Exemple récent de design sonore appliqué à l'e-commerce, le site marchand de la fameuse enseigne Le Bon Marché. Treeslbm.com, au- delà d'être marchand, se présente comme un « site concept, mélangeant e-commerce et contenu éditorial », explique Pascal Meunier, dont l'agence a réalisé le site. Pour ce lancement, en mai 2008, l'enseigne et son agence ont fait appel au compositeur Bertrand Burgalat pour réaliser l'environnement sonore du portail.
Dans cet esprit, les sites d'e-commerce parviendront-ils à innover pour rendre l'expérience sonore des achats en ligne plus présente et ludique ? « La tendance actuelle, c'est la vidéo. Finalement, le sound design va proposer une expérience. Mais sur les sites d'e-commerce notamment, ce sont les expériences liées à la vidéo qui prévalent », tempère François Garcia. Nul doute cependant qu'entraînés par les initiatives de leurs homologues - les sites de marques et d'image - et par des campagnes efficaces donnant la part belle à des identités sonores fortes, ils y soient poussés, encouragés par les internautes eux-mêmes. « Au travers de nos créations, nous imaginons des univers immersifs. Notre métier fusionne avec le film, la musique, l'événementiel et les jeux vidéo », résume Pascal Joseph. Des évolutions à prévoir, donc, pour inscrire l'acte d'achat dans une véritable logique d'expérience de vente en ligne.
Les agences spécialisées fortement sollicitées
L'agence de design sonore Cadence. Des musiciens indépendants pour Business Interactif. Des indépendants au sein de l'agence interactive X prime. Des prestataires externes chez Nurun et Nextedia. La variable son est encore souvent externalisée, à quelques rares exceptions près, comme l'agence web Duke. « Notre choix est de faire appel à des prestataires. Cela donne une plus grande liberté car ils ne sont pas dans un processus industriel », souligne Olivier Delas, directeur de la création de Business Interactif (BI). L'agence Cadence, partenaire régulier de BI, fait donc appel à des artistes pour procéder à des arrangements sur les musiques de sites. Aux commandes, deux musiciens apportent leur vision artistique et extérieure au sérail de la communication. Même approche chez Visual Link : « Nous n'utilisons jamais de musique au kilomètre. Nous essayons de faire travailler des musiciens indépendants, en marge des codes classiques de la communication. Nous n'hésitons pas à choisir des DA spécifiques, des musiciens qui gravitent autour de l'agence pour nous apporter un plus », explique Elie Trotignon, son directeur de création. Un positionnement assez répandu, qui, s'il a un coût pour l'annonceur, lui procure une identité sonore originale.
Pour Ilan Daddad (à g.) et Olivier Sales, «le son a toute sa place dans le processus créatif».
Portrait
Des professionnels éclectiques
Sound designers chez Duke, Ilan Daddad et Olivier Sales créent une identité sonore pour chaque projet.
Leur terrain de jeu ? Une table de mixage, des consoles d'enregistrement et des guitares électriques éparpillées dans des bureaux encombrés de CD.
Les sound designers de l'agence Duke, Ilan Daddad, 29 ans, et Olivier Sales, 30 ans, affichent des parcours atypiques, rythmés par un intérêt commun pour la musique. Le premier, auparavant graphiste chez Duke, a participé au lancement de la cellule il y a trois ans sous l'impulsion de Matthieu de Lesseux, le dirigeant de l'agence, attaché à disposer d'une cellule de veille en interne. Le second, Olivier Sales, passionné de musique et free-lance pendant plusieurs années dans ce secteur, avait débuté sa vie professionnelle en vendant des cerfs-volants... Rester dans le vent en composant des airs de musique, un métier que l'agence Duke décline au quotidien. « Pour un site ou dans une campagne en ligne, le son a toute sa place dans le processus créatif. On va tenter d'adapter le son à la problématique pour qu'il soit en cohérence avec la cible. Nous effectuons aussi un travail important de test et de réflexion pour que le son ne soit pas dérangeant », explique Ilan Daddad. Une démarche destinée à ne pas négliger le design sonore interactif au sein de l'agence.
Lacoste explore le futur sur un air de “pop”
« Nous avons cherché à contrebalancer le côté futuriste du site et de la campagne en ramenant de la douceur. Nous avons cassé le rythme par le son pour retrouver plus de nostalgie et d'espoir, en choisissant un registre de pop anglaise plus lent. Par ailleurs, la campagne met en avant un mécanisme de synthèse vocale et un appel à contribution. Les internautes tapent leur message et choisissent la voix qui va le lire... »
Nicolas Forestier (Mégalo(s))
Des créations interactives sonores
Souvenez-vous du proverbe « la parole est d'argent mais le silence est d'or ». Avoir une bonne maîtrise de la langue est important, mais savoir se taire est signe de sagesse. Au pays du Web, c'est l'art de bien doser effets sonores et silences qui prévaut. Tour d'horizon de quelques créations au design sonore particulièrement réussi.
Le sandwich 280° de McDo pousse la chansonnette
« Nous avons basé en grande partie cette campagne de lancement sur le son et la chanson, en jouant le décalage. Une petite musique est adaptée à chacune des trois sauces (poivre, fromage et moutarde) accompagnant le sandwich. La cible, les 15-25 ans, apprécie ces effets. Nous avons choisi une musique R&B pour la sauce fromage, évocation du coulant et du moelleux, une musique rock pour la sauce au poivre et, enfin, du hip-hop pour la sauce moutarde. »
Olivier Sales (Duke)
La Mutuelle du bâtiment donne de la voix
« La campagne de Pro BTP (lancée en mai 2008, NDLR) fait la part belle à un univers humoristique, où le son prend toute sa dimension. Face aux problèmes de recrutement de la filière du BTP, la mutuelle a souhaité s'adresser aux jeunes de 13 à 16 ans au travers d'une série de 12 films, intitulés “une vie de chien”. Le son a une dimension très forte sur ce site. L'internaute se retrouve par exemple aux manettes d'une grue. La variable son est présente pour soutenir l'animation et le message. »
Pascal Joseph (Visual Link)
Renault Nissan mise sur l'expérientiel et le son
« Le son doit être totalement synchronisé avec l'image et le texte. Dans le showroom déployé pour Renault, le son joue un rôle important : sur fond de musique tonique, un carrousel en 3D permet d'accéder à tous les modèles de la gamme Renault. Au sein de Novacom, nous travaillons depuis un an avec des sound designers pour habiller nos sites. Les annonceurs y sont sensibles.»
Jean-Louis Lesage (Novacom)
Un blog dédié à la communication sonore des marques
Le premier blog consacré à la musique dans la communication des marques a été mis en ligne en juin dernier. Son nom ? Dusonpourmamarque.com. Lancé par l'agence By Music, ce blog complet et didactique a pour vocation de “parler de musique sur un autre ton”. Tendances, exemples de réalisations et débats autour du design sonore pourront nourrir les réflexions tant des annonceurs que des agences... Preuve que le sujet ne laisse pas indifférent, un congrès autour de la communication sonore s'est déroulé en mai dernier au sein de la PDA (Pan European Brand Design Association). Car si le design sonore interactif reste encore trop souvent cantonné à la création d'ambiances sonores en vue de remporter des appels d'offres au détriment d'une réflexion approfondie en amont, ce niveau de maturité est loin de satisfaire l'ensemble des professionnels. Les sites d'e-commerce, plus particulièrement, restent, de l'avis de beaucoup, encore trop souvent muets...